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Où chaque jour est le jour de la femme
mercredi 11 mars 2009 - Jerrold Kessel et Pierre Klochendler
The Electronic Intifada

Beit Sahour - Cisjordanie occupée (IPS). Nous avions été prévenus qu’elle serait un « cas épineux ». Hésitante, elle entre, un sourire en retrait dissimulé derrière ses lunettes et un casque d’épais cheveux noirs. Impassible, elle raconte l’histoire de sa vie, tout comme s’ils s’agissait de la vie d’une autre : elle a 19 ans. Depuis l’âge de sept ans, elle est violentée par « un membre influent de sa famille ».

Il lui disait toujours que ce qu’ils étaient en train de faire était « normal entre un homme et une femme ». Elle se sentait écartée de sa propre famille par une promesse qu’elle avait dû faire de ne pas révéler leur « petit secret » : « Je ne savais que faire : il était si apprécié dans notre communauté. Je ne pouvais pas parler à mon père que j’adore. Ma mère ne m’apportait que peu de réconfort. J’avais peur. »

L’année dernière, elle a appris que ses deux jeunes s ?urs enduraient le même calvaire. Mais, elles sont mariées maintenant tandis qu’elle, elle est restée à la maison, seule avec son impuissance. Il y a deux mois, elle est partie, « sans savoir où aller ».

Finalement, elle a trouvé refuge derrière les murs ocres de cet établissement nouveau à Bethléhem, à flanc de coteau, dominant le rude désert de Judée : le centre Mehwar pour la protection et l’émancipation des familles et des femmes. Dans ce centre, chaque jour est le jour de la femme, chaque semaine est une semaine de la femme.

Mehwar signifie « c ?ur » en arabe. Le centre abrite des femmes palestiniennes et leurs enfants qui cherchent refuge contre des situations familiales ou conjugales difficiles dans les conditions spécifiques de la réalité palestinienne.

Najmlmolouk Ibrahim, directrice du centre, caresse doucement la joue de la femme « sans nom ». «  Elles nous sont envoyées par la police, par les organismes appropriés du gouvernement ou par des ONG » dit-elle. «  Quelquefois, elles nous trouvent toutes seules. Les refuges sont des lieux généralement tenus secrets. Nous avons choisi de lancer un message fort : ici c’est un espace ouvert, pas seulement aux femmes maltraitées, mais aussi à leur communauté. La violence ne doit pas rester cachée. Il faut y faire face. »

Mehwar est le premier centre palestinien apportant des réponses qui prennent en compte la violence familiale. Au centre, on ne fait pas que protéger les femmes abusées physiquement et sexuellement, on veut les « émanciper » et qu’elles exercent un rôle déterminant dans la société.

Financé par un bureau de la coopération italienne, par un fonds fiduciaire géré par la Banque mondiale, le centre a accueilli, depuis son inauguration en 2007, 84 femmes. Premier projet pilote de ce genre au Moyen-Orient, Mehwar est ouvert à toutes les femmes et à leurs enfants en situation de conflit. «  Elles nous viennent de tous les milieux et sociétés, de familles riches ou pauvres, bien ou peu éduquées, des camps de réfugiés, des villes et villages de Cisjordanie et des environs. » explique Ibrahim.

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La crèche du centre Mehwar.

Les 35 chambres du refuge sont disposées autour d’une terrasse reposante, à côté d’une crèche pour les enfants de la communauté locale, d’un centre médical et d’un lieu de discussion qui mixte un espace d’exposition pour les articles fabriqués ici même. « Nous sommes une plate-forme temporaire, l’idéal est que les femmes restent une année mais nous sommes souples, » dit Ibrahim. Elle est aidée par une équipe de travailleurs sociaux qualifiés, de formateurs et d’enseignants qui dispensent une formation professionnelle, d’un médecin, d’un psychologue et d’un avocat en droit de la famille.

Une journée de la vie de Najmlmolouk, c’est une journée à Mehwar. Elle vit tout près avec son époux, l’écrivain palestinien Nasser Ibrahim, et leurs deux filles. Au travail dès 7h30 du matin - «  après, je n’ai plus un seul instant de libre » -, la journée se passe en réunions d’urgence, à appeler des partenaires, à des suivis avec la police, à faire face à des menaces. « Il y a une pression énorme de la part des familles sur la femme pour qu’elle "revienne à la maison" avant qu’elle ne révèle son histoire, aussi nous interdisons les visites des familles avant qu’elle n’ait eu la possibilité de s’ouvrir à nous. »

Une journée de la vie du centre se passe sous un régime d’activités rigoureux. Pour insuffler un sens perdu de la communauté, les responsabilités domestiques sont partagées équitablement. Il y a des discussions sur les concepts sociaux : le sens de la famille, la violence, l’honneur et la prostitution. Les plus traumatisées suivent une psychothérapie, «  apprenant à retrouver la confiance en soi et l’estime de soi, à exprimer ses besoins, à définir ses capacités, son ego.

« Jusqu’à récemment, et avant que le centre ne soit touché par la récession financière mondiale, on y enseignait des compétences professionnelles : poterie, langue anglaise et informatique. Certaines femmes prévoient de poursuivre leurs études de médecine ; d’autres sont employées comme secrétaires, cuisinières ou vendeuses  », explique Ibrahim.

Mehwar fonctionne aussi comme une plate-forme d’assistance. « Nous cherchons à insuffler le sens de la famille avec sérénité, pour que les enfants obtiennent de l’attention, les femmes retrouvent leur dignité. Des élèves, des enseignants, des parents, des médecins viennent au centre pour enseigner, et pour apprendre. Nous essayons de développer des méthodes et des politiques de sensibilisation à la communauté, en travaillant avec le ministère des Affaires sociales, avec les officiers de police et avec les juges.

« Les Palestiniens ont l’habitude de "solutionner" les cas de maltraitance en s’adressant au chef du clan familial. Nous sommes confrontés à un système patriarcal. Aller vers le public est la meilleure protection. Mais nos lois sont archaïques. Aussi, nous poussons pour un code juridique et pénal privé global contre la violence, et pour sa mise en ?uvre. Sinon, nous allons être pris au piège dans un cercle vicieux. »

Pourtant, il existe des signes pour espérer. Une commission nationale chargée d’augmenter le nombre de refuges et d’améliorer les lois a été créée. Mehwar coopère avec un service spécial de la police pour la protection des familles. Une fille ne peut être interrogée que par une femme policier. Mais Ibrahim reconnaît qu’il faut de la détermination et de la patience. «  Changer les modes de comportement demande du temps, peut-être toute une génération. Et les dirigeants religieux pourraient peut-être jouer un rôle plus positif, ne serait-ce qu’en inculquant des valeurs morales propres aux relations familiales. »

Et l’épreuve prosaïque de leur retour dans la société - passant de femme « blessée » à femme « libre » - n’est pas sans poser un dilemme. Certaines craignent de rester seules et veulent se marier à tout prix pour être protégées contre le risque d’être à nouveau maltraitée. « Nous ne perdons pas le contact avec elles » dit Ibrahim. «  Nous les conseillons quand elles sont à l’extérieur ».

Et la femme qui a accepté de laisser ses blessures s’exprimer ouvertement ? Elle a engagé le processus douloureux du dépôt de plainte mais elle est toujours dévorée par le désir de punir l’auteur de ses tourments : «  Il n’est pas humain, je le veux mort ! ».

Le centre, cependant, apporte de l’espoir : « Ici, je me sens en sécurité ; je ne suis pas seule. Je peux m’exprimer, je suis entendue. Ma douleur est partagée. Je veux étudier, être médecin. Je veux réussir. »

8 mars 2009 - The Electronic Intifada - traduction : JPP