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Al-Quds 2009, l’année commencera en mars
dimanche 15 février 2009 - Marie Medina - BabelMed

L’enjeu est de taille. Depuis les années 1980, la vie culturelle s’est réduite comme peau de chagrin dans la partie Est - palestinienne - de Jérusalem ("Al-Quds" en arabe). Aucun cinéma, un seul théâtre, quelques expositions et de rares concerts. "Cela fait un moment que Jérusalem est soumise à un siège culturel", commente l’artiste Rana Bishara.

De nombreux Palestiniens blâment Israël, qui a conquis Jérusalem-Est en 1967 et l’a annexée en 1980. Cependant, le déclin a véritablement commencé lors de la Première Intifada, lancée en 1987. Les institutions culturelles se sont vidées de leur public, qui n’osait plus sortir de chez lui à cause des affrontements. Avec la chute de leurs recettes, beaucoup se sont retrouvées dans l’incapacité de payer les dépenses de fonctionnement et les taxes municipales élevées. Elles ont dû mettre la clef sous la porte. La fréquentation n’a jamais repris.

Cette année culturelle est donc l’occasion rêvée de ranimer l’âge d’or de Jérusalem. C’est peut-être ce que s’est dit le gouvernement Hamas lorsqu’il a accepté, en novembre 2006, d’organiser cet événement, quasiment au pied levé.

L’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALESCO) a adopté l’initiative d’une capitale culturelle en 1995. L’année suivante, Le Caire ouvrait le bal. Suivaient Tunis, Beyrouth et Alger, parmi d’autres. Normalement, l’année 2009 devait être celle de Bagdad mais les autorités irakiennes ont passé leur tour, pour des raisons évidentes de sécurité. L’ALESCO a donc proposé à l’Autorité palestinienne de s’en charger et c’est ainsi que Jérusalem-Est succède cette année à Damas, capitale culturelle arabe 2008.

Al-Quds 2009 s’avère cependant un vrai casse-tête.

"C’est la première fois qu’on a une capitale culturelle occupée", remarque Ahmad Dari, qui a un temps supervisé la programmation d’Al-Quds 2009. Et la puissance d’occupation, Israël, n’est guère enchantée de voir Jérusalem qualifiée de capitale arabe.

"Ils peuvent avorter l’événement avant même qu’il commence", note Huda Imam, directrice du Centre d’études de Jérusalem. "Nous nous attendons à être confrontés à du harcèlement", confie le Dr Varsen Aghabekian, directrice exécutive d’Al-Quds 2009.

L’intimidation a déjà commencé. En mars 2008, le logo de la célébration devait être présenté au Théâtre national palestinien, à Jérusalem-Est. Un quart d’heure avant la cérémonie, la police israélienne est intervenue pour fermer l’établissement jusqu’au lendemain. Motif : Jérusalem, capitale de la culture arabe, a des liens avec l’Autorité palestinienne. Effectivement, le directeur de cabinet du président Mahmoud Abbas et les ministres de la Culture, de l’Education et du Tourisme siègent au haut comité national Al-Quds 2009, aux côtés des dirigeants des principales institutions culturelles palestiniennes. Or les accords d’Oslo stipulent que l’Autorité palestinienne ne doit avoir aucune activité à Jérusalem-Est.

La conférence de presse de présentation du logo a finalement eu lieu dans la rue et au moins deux organisateurs de l’événement ont été arrêtés et conduits au Complexe russe, un centre de détention de Jérusalem-Ouest.

Rana Bishara n’est pas optimiste pour la suite. "Israël ne va permettre à aucun événement d’avoir lieu. Israël ne veut voir ni nous, ni notre culture", affirme l’artiste. Selon elle, l’Etat hébreu "veut aussi peu de Palestiniens que possible dans cette ville".

Initialement prévu le 22 janvier, le lancement d’Al-Quds 2009 a été repoussé au mois de mars. Officiellement, à cause de l’offensive israélienne dans la Bande de Gaza. "Avec un tel massacre, on n’avait pas le c ?ur à le faire", confie Huda Imam, qui fait partie du comité organisateur.

Toutefois, étant donné l’avancement actuel des préparatifs, on peut se demander si un lancement était possible à cette date. Mi-février, le calendrier des manifestations n’est toujours pas publié. Un responsable culturel français à Jérusalem qualifie l’organisation d’"usine à gaz" et souffle que l’événement commence "en eau de boudin". Un artiste pointe du doigt le haut comité national Al-Quds 2009, dont la composition a été dictée selon lui par des "nominations politiques". Un membre même du bureau exécutif (organe chargé d’appliquer les décisions du haut comité) se plaint de l’amateurisme de ses collègues.

La directrice exécutive Varsen Aghabekian reconnaît qu’il y a quelques grains de sable dans les rouages. Elle explique que différents responsables se sont succédé à la tête des opérations. Dernier départ en date : Ahmad Dari, qui a démissionné de son poste de directeur des événements fin janvier. Ce Palestinien francophone explique qu’il était las des paperasseries et autres lourdeurs administratives qui ralentissaient l’organisation. Il avait demandé plus d’autonomie afin de pouvoir accélérer le mouvement, ce qui lui a été refusé.

Autre tracas : le financement.

"Le seul pays arabe qui ait donné de l’argent, c’est la Suède !" plaisante l’employé d’une galerie d’art.

Le comité organisateur, qui a prévu des manifestations à Jérusalem mais aussi en Cisjordanie et dans des villes arabes israéliennes, a évalué le budget à 45 millions de dollars : 15 millions pour les événements et 30 millions pour les infrastructures. Pour l’instant, il n’a reçu que 2,5 millions de dollars. On est loin du compte, même si l’Autorité palestinienne a promis de verser 5 millions de dollars. "Nous ne pouvons pas signer avec les artistes tant que nous n’avons pas reçu l’argent", glisse le Dr Aghabekian, en espérant que les pays arabes, européens et les organisations internationales voleront à la rescousse.

Pour les institutions basées à Jérusalem-Est, le financement ne passera pas par le comité Al-Quds 2009. "Nous ne sommes pas autorisés à recevoir de l’argent de l’Autorité palestinienne", rappelle Rawan Sharaf, la directrice d’Al-Hoash, Palestinian Art Court. "Cela signifierait un risque majeur de fermeture". Sa galerie, qui a besoin de 200 000 dollars pour cette année exceptionnelle, tente donc d’obtenir des subventions directes de pays étrangers. Sans grand succès pour l’instant car "tous les donateurs ont les yeux tournés vers Gaza, ce qui est tout à fait justifié".

Les restrictions de circulation ne facilitent pas non plus les choses. Les Arabes israéliens et les Jérusalémites peuvent aller en Cisjordanie, mais la plupart des Cisjordaniens ne peuvent pas se rendre en Israël. Quant à la Bande de Gaza, les entrées sont rares et les sorties quasi-impossibles. "Les troupes qu’on aimerait faire participer ne peuvent pas" accéder à Jérusalem, regrette Huda Imam, en citant comme exemple la compagnie de danse El-Funoun, basée à Ramallah. "Notre principal souci est de pouvoir faire venir des artistes arabes", confie également Rawan Sharaf. Pour contourner cette difficulté, Al-Hoash invite des créateurs ayant une double nationalité, par exemple un Britanno-Egyptien ou un Franco-Tunisien. "Normalement, ils devraient être autorisés à entrer mais on ne sait jamais, avec les Israéliens".

Le tableau peut sembler bien noir. Il est pourtant traversé de touches de lumière.

Celle qui brille le plus est sans doute la culture palestinienne. "Le poète Mahmoud Darwich est traduit en 24 langues. Un film palestinien a été présenté à Cannes cette année", relève Ahmad Dari, en référence au Sel de la mer d’Annemarie Jacir. Et l’ancien directeur des événements de citer en contrepoint les pays du Golfe : "Avec tout l’argent du pétrole, ils n’ont pas pu créer un cinéma du Golfe !"

Autre atout : l’ambition des organisateurs de redonner à Jérusalem la place qu’elle a perdue. "Nous avons abandonné trop facilement en délocalisant tout à Ramallah. Jérusalem s’est retrouvée en marge de la scène culturelle palestinienne", déplore Rana Bishara, pour qui Jérusalem est maintenant "assiégée", coupée des autres villes palestiniennes par le Mur de Séparation. La directrice exécutive Varsen Aghabekian assure que les organisateurs ont la ferme intention d’utiliser Al-Quds 2009 pour "briser cet isolement autant que possible".

L’inauguration, prévue maintenant le 3 mars, devrait avoir lieu simultanément en cinq lieux différents : Jérusalem-Est, Bethléem (Cisjordanie), Gaza (Bande de Gaza), Nazareth (Israël) et dans un camp de réfugiés à Beyrouth (Liban), grâce à des liaisons satellites en direct et des écrans géants. Le but est de "faire le lien entre Jérusalem et les Palestiniens dans toutes les autres villes", insiste Huda Imam.

En raison des restrictions de circulation, la cérémonie qui rassemblera les officiels palestiniens et arabes se tiendra à Bethléem. A Jérusalem-Est, pour éviter que la police ne ferme le lieu de culture palestinien qui l’aurait accueillie, la manifestation aura probablement lieu en plein air.

Rawan Sharaf, la directrice d’Al-Hoash, se souvient que Jérusalem était culturellement très riche jusque dans les années 1980. "C’était le lieu de naissance d’artistes, d’écrivains, de poètes" ; des concerts et des pièces de théâtre étaient donnés "toutes les semaines". Elle espère qu’Al-Quds 2009 va "ramener un peu de ce caractère à Jérusalem et montrer au monde que Jérusalem est toujours une ville arabe, avec beaucoup de culture et de traditions".

Pour l’instant, ce n’est certes pas le retour à l’âge d’or mais un frémissement culturel semble s’esquisser. Al-Quds 2009 a reçu plus de 450 propositions de projets, selon le Dr Aghabekian. La galerie Al-Hoash a vu sa fréquentation augmenter ces quatre dernières années, et surtout la composition du public se rééquilibrer : de deux tiers d’étrangers à l’ouverture à 80% de Palestiniens pour une récente exposition sur la Nakba (en arabe, "catastrophe", mot par lequel les Palestiniens désignent la création de l’Etat d’Israël). A Jérusalem-Est, deux anciens cinémas en ruines sont en train d’être rénovés, l’un par l’association Yabous, l’autre par la holding Padico (Palestine Development and Investment Limited).

Enfin, certaines institutions prévoient de fêter Jérusalem, capitale 2009 de la culture arabe, comme il se doit. Pour Al-Hoash, Rawan Sharaf a préparé un programme qui correspond à "l’ampleur d’une telle célébration". En mars, une grande rétrospective reviendra sur les pionniers de l’art palestinien et leur vision de Jérusalem, des années 1950 à 1980. En juin, une dizaine de jeunes artistes palestiniens seront invités à présenter leur travail dans des lieux mi-publics mi-privés afin de faire de Jérusalem un véritable "espace d’exposition". Enfin, Al-Hoash veut inviter une douzaine d’artistes arabes pour des résidences de huit semaines ; les ?uvres que leur inspirera leur expérience de Jérusalem feront l’objet d’une grande exposition dont le vernissage est prévu le 8 octobre. On a hâte.

12 février 2009 - BabelMed