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Les enfants d’Abraham font leur cinéma
samedi 20 décembre 2008 - Yasrine Mouaatarif - BabelMed

Après avoir raconté les turpitudes d’une adolescente du quartier juif de Sarcelles dans La Petite Jérusalem, sorti en 2005, Karine Albou ouvre dans ce deuxième long-métrage une page jusqu’alors méconnue de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, et par là même de sa propre histoire familiale.

En général, mes désirs de film partent d’un non-dit, d’une zone d’ombre et de silence que j’ai besoin d’explorer en moi, explique la réalisatrice. Je pensais que ma famille, étant d’origine nord-africaine, n’avait pas été touchée par la guerre. Un jour, par hasard, j’ai découvert des lettres de mon grand-père. J’ai interrogé ma grand-mère et j’ai appris que les Juifs d’Algérie avaient été déchus de leur nationalité française pendant la guerre. Comme Tita que j’incarne dans le film, ma grand-mère ne pouvait plus travailler car elle était juive.

L’innocence et la perte

Karin Albou a construit une image et un film tout en contrastes, mettant ainsi en relief les aspérités de cette période obscure : l’esthétisme des films “à la tunisienne”, la beauté des ruelles à la chaux, des costumes et des décors d’époque, des ambiances intimistes violentées par l’irruption des bottes des SS dans les rues de la médina, dans les maisons à patio, et jusque dans les hammams pour femmes. Et en musique de fond, pas de doux gramophone, mais la voix de la propagande, nasillarde, omniprésente -authentiques documents d’époque - jaillissant des postes de radio pour mettre en garde les auditeurs arabes contre la “juiverie mondiale”.

Et c’est dans cette atmosphère oppressante que les deux adolescentes, acculées par leurs “communautés” respectives, vont, malgré elles, perdre leur innocence dans tous les sens du terme. Car c’est dans l’adversité que l’on voit en l’autre l’adversaire, et que la différence devient défiance. Les deux familles voisines qui faisaient jusqu’alors patios - et pays - communs deviennent plus que des ennemies, elles deviennent des étrangères.

Cet éloignement, véritable déchirement entre musulmans et Juifs d’Afrique du Nord, qui forme la trame du Chant des mariées, est aujourd’hui au c ?ur de nombreux films, fictions ou autobiographies, français ou maghrébins, récents ou à paraître.

L’avant-Israël

Même contexte de Seconde Guerre mondiale, mais au Maroc cette fois-ci. Sur une plage déserte, des dizaines de familles marocaines et algériennes campent des jours et des nuits durant. Elles attendent un bateau. Ce sont là les premières images de Revivre, mini-série en deux épisodes du réalisateur israélien Haïm Bouzaglo dont la diffusion est prévue sur Arte au printemps prochain, avec notamment Bernard Campan et Nadia Farès.

Retraçant l’exode des Juifs d’Afrique du Nord, rejoins par les Juifs d’Europe, jusqu’en Palestine, le film rappelle dans les costumes, le langage, les traditions, et jusque dans les insultes racistes de certains ashkénazes, “l’arabité” de ces Juifs séfarades d’avant Israël. Le dernier épisode s’achève d’ailleurs avant la création de cette dernière, et fort heureusement, aurions-nous envie de dire, vu la violence et la barbarie avec lesquelles sont caricaturés les premiers Palestiniens qui y font apparition un peu avant le générique de fin...

L’exode toujours, mais vu cette fois par “ceux qui sont restés” : c’est l’idée qui a inspiré le réalisateur marocain Hassan Benjelloun pour son film Où vas-tu Moshé ?, sorti en 2007. Un film qui a d’ailleurs failli s’appeler Le bar, et pour cause. Il y raconte l’histoire de Mustapha, tenancier dans la petite ville de Bejjad, au début des années 1960, et dont l’établissement est menacé de fermeture suite aux départs annoncés des derniers Juifs de la ville...

Et c’est cette même période charnière qu’a choisi d’explorer son compatriote Mohamed Ismaïl dans son film Adieux mères, au casting réunissant des noms comme Rachid El Ouali, Souad Hamidou et Nezha Regragui. L’histoire de deux familles casablancaises, voisines et amies, juive et musulmane, et toujours l’exode et la déchirure, accentués par les échos des premières guerres israéliennes contre les voisins arabes. Le film, sorti en salle au Maroc en février dernier, a d’ailleurs été sélectionné pour représenter le pays aux prochains Oscars à Hollywood en février 2009.

Et ce n’est pas fini. Car dans la lignée de ces films d’époque, réexplorant le passé pour mieux comprendre le présent, les téléspectateurs pourront dans quelques mois découvrir Villa Jasmin, téléfilm tiré du roman autobiographique éponyme de Serge Moati, et dont le tournage vient de s’achever. Et pour porter à l’écran sa propre histoire, le journaliste a choisi de faire appel au réalisateur tunisien Férid Boughédir, auquel on doit notamment le cultissime Halfaouine, l’enfant des terrasses.

Ayant travaillé à quatre mains, les deux hommes nous racontent ainsi l’histoire d’Henri - véritable prénom de Moati - qui, dans les années 1960, retourne à La Goulette, après vingt années passées loin de sa Tunisie natale. Ensemble, ils remontent dans ses souvenirs familiaux, génération après génération, au fil de son arbre généalogique et de la frise historique du pays, des années 20 à la Seconde Guerre mondiale, et jusqu’aux années post-indépendance. Un film passionnant qui sera diffusé l’année prochaine sur France 3, puis sur Arte, mais pas avant l’automne 2009.

Moati, Chraïbi, Bouzaglo, Albou... Même s’il s’agit d’une tendance actuelle notable, il n’est pas toujours nécessaire de parler au passé pour raconter les Maghrébins dans leur diversité. Et tout comme l’histoire fait et défait inlassablement les identités présentes, celles du passé peuvent elles aussi ressurgir par réminiscences, au gré de l’actualité. C’est ce qui transparaît en filigrane du film de Philippe Faucon Dans la vie, qui sort ce mois-ci en DVD.
Une comédie sobre et chaleureuse, qui raconte les relations explosives entre Esther et Halima, deux femmes d’origine algérienne, et deux destins qui vont se heurter un certain été 2006, en plein bombardements israéliens au Liban. Derrière l’histoire contemporaine suivie par JT interposés par les deux femmes, ressurgit celle, plus ancienne, de l’Algérie des années 1960, à travers les souvenirs et l’amertume restée intacte de l’ancienne pied-noir, qui va cependant peu à peu s’adoucir au contact de sa compatriote, dans un troublant effet de miroir.

16 décembre 2008 - BabelMed