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« Qu’arriverait-il si la Vierge Marie arrivait à Bethléem aujourd’hui ? »
samedi 6 janvier 2007 - Johann Hari - The Independent

Dans deux jours, un tiers de l’humanité se rassemblera pour fêter les douleurs de l’enfantement d’une réfugiée palestinienne à Bethléem - mais deux millénaires plus tard, une autre mère dans une autre étable glorifiée dans cette ville jonchée de décombres et verrouillée, essaie de ne pas hurler.

Fadia Jemal est une femme de 27 ans à laquelle manquent des dents, au sourire las et faible. « Qu’est-ce qui arriverait si la Vierge Marie arrivait à Bethléem aujourd’hui ? Elle endurerait ce que j’ai enduré », dit-elle.

Fadia serre si fort un trousseau de clés que la peau de ses mains en est marquée, tandis qu’elle décrit, à l’aide de phrases coupées et irrégulières, ce qui est arrivé. « Il était 17h quand j’ai commencé à ressentir les contractions », dit-elle. Elle se sentait déjà nerveuse au sujet de la naissance - sa première, et des jumeaux - elle a donc dit à son mari d’attraper son sac pour l’hôpital et de l’y conduire directement en voiture.

Ils se sont arrêtés pour prendre sa s ?ur et sa mère et se mirent en route pour l’hôpital Hussein, à vingt minutes de là. Mais la route avait été bloquée par des soldats israéliens, qui ont dit que personne n’était autorisé à passer jusqu’au lendemain matin. « Bien sûr, nous leur avons dit que nous ne pouvions pas attendre jusqu’au matin. Je saignais fort sur le siège arrière. Un des soldats regarda le sang et se mit à rire. Je me réveille encore la nuit en entendant ce rire. Cela avait été un tel choc pour moi. Je ne comprenais pas. »

Sa famille supplia les soldats de les laisser passer, mais ils ne se sont pas laissés fléchir. Et ainsi, à 1h du matin, sur le siège arrière à côté d’un checkpoint inamical, sans médecin ni infirmières, Fadia a mis au monde un tout petit garçon appelé Mahmoud et une toute petite fille appelée Mariam. « Je ne me souviens de rien d’autre avant de m’éveiller à l’hôpital » , dit-elle maintenant. Pendant deux jours, sa famille lui a caché la mort de Mahmoud, et les docteurs ont dit qu’ils auraient certainement pu lui sauver la vie en le plaçant dans un incubateur.

« Maintenant Mariam est arrivée à l’âge où elle me demande où est son frère, » dit Fadia. « Elle veut savoir ce qui lui est arrivé. Mais comment le lui expliquer ? » Elle regarde le sol. « Parfois, la nuit, je crie, je crie » . Dans les années qui ont suivi, elle a encore été enceinte quatre fois, mais elle n’arrête pas d’avoir des fausses couches. « Je ne pouvais pas supporter d’avoir un autre bébé. J’étais convaincue que la même chose m’arriverait de nouveau. » explique-t-elle. « Quand je vois des soldats (israéliens) je me demande chaque fois - qu’est-ce que mon bébé a fait à Israël ? »

Depuis l’accouchement de Fadia, en 2002, les Nations Unies confirment qu’un total de 36 bébés sont morts parce que leur mère avait été retenue pendant le travail à un check-point israélien. Dans tout Bethléem - dans toute la Cisjordanie - il y a des femmes dont la grossesse est perturbée ou pire, par l’occupation militaire de leur pays.

A Safit, de l’autre côté de la Cisjordanie, Jamilla Alahad Naim, 29 ans, attend le premier examen médical de ses cinq mois de grossesse. « « J’ai peur tout le temps, » dit-elle. « J’ai peur pour mon bébé parce que je ne dispose que d’un traitement médical minimum et que je ne peux pas me permettre une alimentation convenable...Je sais que je donnerai naissance à la maison sans aide, comme j’ai fait avec Mohammed (son dernier enfant). J’ai trop peur d’aller à l’hôpital parce qu’il y a deux check-point sur le chemin et je sais que si on est retenu par les soldats, la mère ou le bébé peuvent mourir là dans le froid. Mais donner naissance à domicile est aussi très dangereux. »

Hindia Abu Nabah - qui est une infirmière inflexible de 31 ans à la clinique Al Zawya dans le district de Salfit - dit que c’est un « cauchemar » d’être enceinte en Cisjordanie aujourd’hui. « Récemment, deux de nos patientes enceintes ont été intoxiquées par du gaz lacrymogène dans leurs maisons... Les femmes n’arrivaient pas à respirer et sont entrée au travail prématurément. Le temps d’arriver et les bébés étaient arrivés, mort-nés. »

Beaucoup des problèmes médicaux qui touchent les femmes enceintes sont plus courants que les peurs les plus sombres de Jamilla : 30% des Palestiniennes enceintes souffrent d’anémie, un manque de globules rouges. La pauvreté extrême provoquée par le siège et le boycott international actuel semblent être des facteurs clés. Les docteurs ici mettent en garde farouchement que du fait de l’évaporation des revenus des Palestiniens ordinaires, ils mangent plus de d’aliments de base et peu de protéines - une recette pour l’anémie. Il y a certains indices, ajoutent-ils, que les femmes donnent la meilleure nourriture à leurs maris et leurs enfants, subsistant par des nerfs (de viande) et des restes. L’anémie soumet les femmes à un plus grand risque de saignements importants et de contracter une infection pendant la portée.

Plus tôt cette année, les conditions déjà médiocres pour les femmes enceintes en Cisjordanie se sont écroulées. Suite à l’élection du Hamas, le monde a empêché le financement de l’Autorité palestinienne, qui soudain se trouva incapable de payer ses médecins et ses infirmières. Après quelques mois, le personnel médical se mit en grève, refusant de s’occuper d’autre chose que des cas d’urgence. Pendant plus de trois mois, les pavillons de maternité de Cisjordanie étaient vides et renvoyaient. Les lits étaient faits parfaitement, attendant des patientes qui ne pouvaient venir.

Pendant tout ce temps, on n’a pas distribué de vitamines, pas d’échographies, pas de détections d’anomalies congénitales. Imaginez que le Service National de Santé ait simplement fait ses paquets et s’était arrêté un jour pour ne rouvrir que 12 semaines plus tard et vous aurez la dimension de l’échelle du désastre médical.

Quelques femmes étaient suffisamment riches pour aller dans l’un des rares hôpitaux privés dispersés en Cisjordanie. Mais la majorité ne l’était pas. Et ainsi à cause du boycott international des Palestiniens, chaque hôpital a signalé une augmentation invisible et non rapportée de naissances à domicile en Cisjordanie.

J’ai rencontré le Dr Hamdan Hamdan, qui dirige les services de maternité de l’hôpital Hussein à Bethléem, faisant les cents pas dans un pavillon vide, fumant une cigarette après l’autre. « Ce pavillon est généralement plein, » dit-il. « Les femmes qui devraient être dans cet hôpital - que leur arrive-t-il ? »

Elles ont donné naissance dans des conditions étonnamment similaires à celles subies par Marie, il y a deux mille ans. Elles ont donné naissance à leur bébé sans docteur, sans matériel stérilisé, sans soutien en cas de complications. On les a boycottées jusqu’à les renvoyer à l’Age de la pierre. La grève a pris fin ce mois-ci après que l’AP ait réuni des fonds dans les pays arabes - mais les effets de l’arrêt des services de maternité ne deviennent clairs que maintenant. Hindia Abu Nabah dit :
« Il y a un lien évident entre la détérioration de la situation de santé et le boycott international »

Au milieu de cette horreur, une organisation charitable a continué à soutenir les femmes palestiniennes enceintes même quand les services de santé s’écroulèrent. « Merlin » - une des trois organisations de charité soutenue par l’Appel Chrétien indépendant - a mis sur pied deux équipes mobiles, avec un gynécologue full time et un pédiatre, pour apporter des services médicaux aux parties de Cisjordanie coupées par l’occupation israélienne.

Elles fournissent des techniciens de laboratoire et des machines ultrasons - les fruits du 21e siècle.

J’ai voyagé avec l’équipe dans la région de Salfit - marquée par les déversements d’eaux usées non traitées que les colonies israéliennes font couler sur des terres palestiniennes - pour voir des femmes et des enfants s’agglutiner désespérément autour d’eux, cherchant de l’aide. Au milieu des femmes nerveuses et les nuées d’enfants mal en point, Rahme Jima, 29 ans, est assise avec les mains convenablement pliées sur les genoux. Elle est dans le dernier mois de sa grossesse, et ceci est la première fois qu’elle voit un médecin depuis la conception.

« L’hôpital le plus proche est à Naplouse et nous ne pouvons pas nous permettre le transport pour y aller, en passant tous les check-points », dit-elle, révélant qu’elle a l’intention - en désespoir de cause - de donner naissance à domicile. Même si elle avait l’argent, elle dit qu’elle est « trop effrayée d’être retenue au check-point et forcée de donner naissance là ». Elle soupire et ajoute : « Je serai tellement soulagée d’être enfin examinée par un docteur, je me suis fait tant de soucis. » Mais quand elle revient de l’examen médical, elle dit : « J’ai de l’anémie, et ils m’ont donné des suppléments de fer », fournis par Merlin. Elle ne peut pas se permettre de manger convenablement ; elle vit avec son mari et quatre enfants dans une chambre de la maison de sa belle-mère, et son mari, Joseph, est chômeur depuis que son permis pour passer les check-points est expiré. « Le docteur a dit que j’aurais dû être examinée bien plus tôt dans ma grossesse. Mon bébé naîtra probablement trop petit. »

Tous ces problèmes qui affectent ces Maries du 21e siècle s’affichent dans la clinique Merlin. Une mère terrifiée, terrorisée après l’autre se présentent ici aux spécialistes, et quittent en empoignant des paquets d’acide folique, de calcium, de fer et de médicaments. Le Dr Bassam Said Nadi, le responsable médical pour cette région, dit : « Je remercie Merlin pour les soins spécialisés qu’ils ont fournis. Il n’y a pas longtemps, nous n’avions même pas d’essence dans nos voitures. Avec d’autres organisations, ils nous aident à survivre dans cette période terrible de l’histoire de notre pays. »

Merlin ne peut maintenir ces cliniques mobiles qu’avec votre aide. S’appuyant contre le chambranle de sa clinique vide, Hindia Abu Nabah dit : « Dites à vos lecteurs que nous avons besoin de leur aide. Il n’y a pas de f ?tus Hamas ou OLP. Ils ne méritent pas d’être punis. Je ne pourrais pas supporter de regarder dans les yeux une autre femme anémique et lui dire que son bébé aura un poids insuffisant ou sera malformé et n’avoir pas les suppléments de fer à lui donner. Je suis incapable de retourner à cette situation. J’en suis incapable. »

Johann Hari, The Independent, 23 décembre 2006 - ’What would happen if the Virgin Mary came to Bethlehem today ?’
Traduit de l’anglais par Edith Rubinstein