Au moment où la Géorgie a lancé la semaine dernière une attaque par surprise sur la minuscule région semi-indépendante de l’Ossetie du sud, provoquant une féroce contre-attaque russe, Israël a essayé de prendre ses distances par rapport au conflit. C’est compréhensible : avec les forces géorgiennes en déroute, un grand nombre de civils tués et blessés et une Russie dont la colère est loin de se calmer, la profonde implication d’Israël est extrêmement embarrassante.
L’effondrement de l’offensive géorgienne représente non seulement un désastre pour ce pays et ses dirigeants soutenus par les Etats-Unis, mais il porte un autre coup au mythe du prestige et des prouesses militaires d’Israël. Pire encore, Israël craint que la Russie puisse exercer des représailles en renforçant son aide militaire aux adversaires d’Israël dont l’Iran.
« Israël suit avec avec la plus grande inquiétude les développements en Ossetie du sud et en Abkhazie et espère que la violence cessera, » a indiqué son ministère des affaires étrangères, ajoutant avec un inhabituel vocabulaire de colombe : « Israël reconnait l’intégrité nationale de la Géorgie et appelle à un règlement pacifique. »
Le premier diplomate de Tbilisi à Tel Aviv s’est plaint que la réponse israélienne soit si terne face à la situation fâcheuse de son pays et il a peut-être surestimé l’influence israélienne, réclamant « une pression diplomatique israélienne sur Moscou. » Le diplomate a prétendu que comme Israël, la Géorgie menait une guerre contre le « terrorisme. » Les officiels israéliens ont poliment répondu aux géorgiens que « l’adresse pour ce type de pression était Washington » (Herb Keinon, « Tbilisi veut qu’Israël fasse pression sur la Russie, » Jérusalem-Post, 11 août 2008).
Alors qu’Israël était pressé de minimiser l’importance de son rôle, la Géorgie a peut-être espéré que la flatterie pourrait engager Israël plus profondément [dans le conflit]. Le ministre géorgien Temur Yakobashvili — qui serait juif selon le quotidien israélien Haaretz — a déclaré à la radio de l’armée israélienne que « Israël devrait être fier de ses militaires qui ont formé les soldats géorgiens. » Yakobashvili a revendiqué, de façon peu crédible selon Haaretz, qu’ « un petit groupe de soldats géorgiens avait pu éliminer une division militaire russe entière grâce à l’entraînement israélien » (« Le ministre géorgien déclare à la radio israélienne : Grâce à la formation israélienne, nous sommes à l’aise contre l’armée russe, » Haaretz, 11 août 2008).
Depuis l’année 2000, Israël a vendu à la Géorgie pour des centaines de millions de dollars d’armes et de stages d’entraînement au combat. Les armes comprennent des pistolets, des munitions, des obus, des systèmes de missiles tactiques, des systèmes antiaériens, des tourelles automatiques pour les véhicules blindés, du matériel électronique et des avions sans pilote. Ces ventes ont été autorisées par le ministère de la défense israélien (Arie Egozi, « Guerre en Géorgie : l’Israël connection, » Ynet, 10 août 2008).
Les formations ont également impliqué des dirigeants du service secret du Shin Bet israélien — celui-là même qui depuis des décennies assassine et torture les Palestiniens dans les territoires occupés — la police israélienne, ainsi qu’Elbit et Rafaël, les principales compagnies de ventes d’armes du pays.
L’axe militaire Tel Aviv-Tbilisi semble avoir été cimenté aux niveaux les plus élevés, et selon YNet, « le fait que le ministre de la défense de la Géorgie, Davit Kezerashvili, soit un ancien israélien à l’aise avec l’hébreu a contribué à cette coopération. » On trouve parmi les personnes impliquées dans ce juteux commerce d’armes l’ancien ministre israélien et maire de Tel Aviv Roni Milo ainsi que plusieurs officiers militaires israéliens de rang élevé.
L’homme-clé était le brigadier général de réserve Gal Hirsch qui a commandé les forces israéliennes à la frontière libanaise pendant la seconde guerre contre le Liban en juillet 2006. (Yossi Melman, « Violence en Géorgie - une alliance gelée, » Haaretz, 10 août 2008). Il a démissionné de l’armée après que la commission Winograd ait sévèrement critiqué la conduite de la guerre contre le Liban et qu’une enquête israélienne interne à l’armée l’ait blâmé pour la capture de deux soldats par le Hizballah [mouvement de la résistance libanaise].
Selon un des instructeurs israéliens pour le combat, un officier dans une unité « d’élite » de l’armée israélienne, Hirsch et des collègues auraient parfois personnellement dirigé la formation des forces géorgiennes qui incluait « le combat maison par maison. » La formation a été prise en charge par plusieurs compagnies « privées » ayant des liens étroits avec les militaires israéliens.
Alors que la violence faisait rage en Géorgie, l’instructeur essayait désespérément de contacter ses anciens élèves géorgiens sur le champ de bataille par l’intermédiaire d’un téléphone portable : les israéliens voulaient savoir si les géorgiens avait « assimilé la technique militaire israélienne et si les forces spéciales de reconnaissance avaient remporté un quelconque succès » (Jonathan Lis et Moti Katz, « Les instructeurs qui ont formé les troupes géorgiennes disent que la guerre avec la Russie n’est pas une surprise, » Haaretz, 11 août 2008).
Mais au sol, les forces géorgiennes entraînées par Israël et sans surprise complètement dominées par les Russes, ont peu fait pour racheter l’image des militaires israéliens après leur défaite face au Hizballah en juillet -août 2006.
La question demeure quant à savoir pourquoi Israël a été impliqué en première ligne. Il y a plusieurs raisons à cela. La première est simplement l’opportunisme économique : pendant des années, particulièrement depuis les attaques du 11 septembre 2001, les exportations d’armes et « l’expertise en sécurité » ont été des industries en expansion pour Israël. Mais la forte implication israélienne dans une région que la Russie considère d’un intérêt essentiel suggère qu’Israël pourrait avoir agi dans le cadre d’un accord plus large avec le projet des Etats-Unis d’encercler la Russie et de contenir sa puissance renaissante.
Depuis la fin de la guerre froide, les Etats-Unis s’en sont résolument pris aux frontières de la Russie et ont étendu la zone de l’OTAN d’une façon que le Kremlin considère fortement provocatrice. Peu de temps après sa prise de fonction, l’administration Bush a mis en pièces le traité sur les missiles anti-ballistiques et comme l’a fait le gouvernement Clinton, elle a pris sous son aile d’anciens états satellites soviétiques, les utilisant pour y installer des systèmes anti-missiles que la Russie considère comme une menace. En plus de leur « guerre globale contre la terreur, » les faucons de Washington avaient récemment évoqué une nouvelle guerre froide avec la Russie.
La Géorgie était un volontaire très motivé et elle a rapidement appris la rhétorique correcte : un ministre géorgien a clamé que « chaque bombe qui tombe sur nos têtes est une attaque contre la démocratie, contre l’Union Européenne et contre l’Amérique. » La Géorgie avait tenté d’adhérer à l’OTAN et envoyé 2000 soldats pour aider les Etats-Unis à occuper l’Irak. Une fois la guerre commencée, elle a sans doute espéré que sa fidélité serait récompensée avec un transport aérien d’armes jour et nuit, du genre de celui dont Israël a bénéficié de la part des Etats-Unis pendant ses guerres. Au lieu de cela, le seul transport aérien fourni par les Etats-Unis était pour le rapatriement les troupes géorgiennes d’Irak vers le nouveau front.
En aidant la Géorgie, Israël a semble-t-il fait sa part pour reproduire sa propre expérience en soutenant l’expansion à l’est de l’empire « euro-atlantique ». Alors que soutenir la Géorgie était certainement risqué pour Israël étant donné la réaction russe possible, elle a une raison indiscutable d’intervenir dans une région qui est fortement contestée entre les puissances mondiales. Israël doit constamment se réinventer un rôle « capital » pour la puissance américaine afin de sauvegarder l’appui des Etats-Unis, lesquels assurent sa survie en tant qu’enclave coloniale au Moyen-Orient. C’est un rôle habituel : dans les années 70 et les années 80, à la demande de Washington, Israël a aidé le régime d’Apartheid d’Afrique du Sud à combattre les insurrections soutenues par les soviétiques en Namibie et en Angola occupées par cette même Afrique du Sud, et il a formé les escadrons de la mort alliés des Etats-Unis qui combattaient les mouvements et gouvernements de gauche en Amérique Centrale. Après 2001, Israël s’est placé sur le marché en tant qu’expert pour combattre « le terrorisme islamique. »
Le président vénézuélien Hugo Chavez a récemment dénoncé la Colombie — depuis longtemps un des plus grands bénéficiaires de l’aide militaire américaine après Israël — comme « l’Israël de l’Amérique latine. » Le gouvernement de la Géorgie, au détriment de son peuple, a pu avoir voulu jouer le rôle d’un « Israël du Caucase » — un fidèle valet des ambitions des Etats-Unis dans cette région — et perdu au jeu. Jouer avec des empires est dangereux pour un petit pays.
La doctrine Bush ayant échoué à donner naissance au « nouveau Moyen-Orient » dont les Etats-Unis ont besoin pour maintenir leur puissance dans la région face à une résistance grandissante, un Israël toujours plus désespéré et plus voyou [« rogue » dans le texte - N.d.T] doit rechercher des occasions de prouver sa valeur partout ailleurs. C’est terriblement effrayant.
* Ali Abunimah est co-fondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de One Country : A Bold Proposal to End the Israeli-Palestinian Impasse (Metropolitan Books, 2006).
Du même auteur :
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12 août 2008 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Traduction de l’anglais : Claude Zurbach