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Damas, capitale de la culture arabe
mercredi 21 mai 2008 - Sayed Mahmoud - Al-Ahram/hebdo

Capter la diversité

En dépit de l’importance de ce colloque et de ses sessions d’études, son intérêt populaire et médiatique était limité, si on le compare à d’autres manifestations dans le cadre des célébrations de l’année de Damas, capitale de la culture arabe. De plus, le colloque n’a pas attiré les participants que l’on espérait, beaucoup se sont excusés, notamment l’écrivain algérien Wassini Laaraj et le koweïtien Taleb Al-Réfaï.

« Damas est toujours, avec ses lieux, ses places publiques, ses cafés, un lieu d’échange culturel et elle continue à conserver ce rôle durant toute son histoire », affirme pourtant Hanane Qassab, secrétaire générale des cérémonies de Damas, capitale de la culture arabe, lors de la session inaugurale. Au milieu des défis où vit le monde arabe, elle souligne qu’« entre la peur, la fusion culturelle et le repli sur soi d’une part et l’ouverture sur le monde d’autre part, il existe un fil qu’il importe de ne pas couper (...). Nous devons être plus sûrs de notre civilisation, de notre culture, de notre identité afin d’accueillir tout ce qui provient du monde et de pouvoir dialoguer avec l’autre, en recevoir et y rajouter, puisque la culture n’est qu’un échange ». Quant à Gamal Chéhayed, organisateur scientifique du colloque, il a attiré l’attention sur le Damas de la fin du XXe siècle, et le début du XXIe siècle et son rapport avec la culture, en insistant sur la nécessité de se poser la question de la présence de services culturels dignes d’une ville qui date de 10 000 ans.

Le colloque a abordé de nombreux axes, en premier lieu : La ville et la production culturelle, en soulignant les changements culturels qui résultent de la mouvance sociale, économique, politique et idéologique. Quant au second axe, il a développé la dimension historique de la ville de Damas comme centre de rayonnement culturel dans la région du Proche-Orient. Le troisième axe s’est centré sur l’élaboration de la culture moderne à Damas à travers les diverses productions (littérature, théâtre, cinéma et arts appliqués) qui ont pour sujet la ville même de Damas.

Lors de la première session du colloque, l’éminente étude du critique Kamal Abou-Dib prend pour thème La ville et la culture du postmodernisme. « La ville de Damas ne s’est jamais satisfaite de jouer un seul rôle sur le plan de la créativité et de la production culturelle, et ce à travers le rapport de la ville, avec le mouvement de la modernité et du postmodernisme », avance Abou-Dib. Pendant la période du modernisme, selon Abou-Dib, la ville était le lieu par excellence où s’élaborent et fusionnent tous les éléments hirsutes enfantant un tissu homogène. Tandis qu’à la période du postmodernisme, la ville s’est transformée en icône incarnant la différence donnant lieu à la parution de l’esthétique, de la juxtaposition, où chaque force ne tente pas de fondre la variété, mais affirme sa présence et sa spécificité. Lors de la seconde session, Hassan Abbass, professeur à l’Institut des arts théâtraux à Damas, a présenté La ville et la culture de citoyenneté indiquant que les premières villes se sont trouvées ici sur la terre de l’Est de la Méditerranée ou dans les pays de la Mésopotamie, mais le regard centralisé de l’Europe est celui qui a guidé la pensée universelle, après l’époque des lumières, a référé le retour du rayonnement de la cité à la civilisation grecque. Il a passé en revue dans quelle mesure les conditions de la citoyenneté entre la ville de Damas et le citoyen qui y habite sont réalisées, remontant au début de cette notion à la fin du XVIIIe siècle.

Ecrire l’errance dans la ville

La Palestinienne Sahar Khalifa, l’Italienne Paula Viviani, professeure de littérature arabe contemporaine à l’Université de Naples, et la Libanaise Ghada Al-Semmane ont quant à elles attiré l’attention sur la présence de la ville dans les textes littéraires. « La mosaïque damascène dans le roman était le titre de l’étude de l’écrivain et critique syrien Nabil Soliman où il a étudié 14 romans abordant Damas écrits par des écrivains qui y habitent ou qui y vivent. Il a classifié de nombreux niveaux sur lesquels reposent les romans : Damas, la nostalgie, l’ancienne ville à laquelle on se réfère pour compenser une Damas défigurée par l’urbanisme et la perte de spécificité. Puis Damas, le bas-fond qui comprend les romans soucieux de présenter des groupes sociaux débarquant à Damas et habitant le fond. Et là, Damas est tantôt décrite comme étreinte et tantôt rendue à l’image d’un requin ». « Parmi les divers niveaux, une confusion a toujours existé entre l’arrivant à Damas et le Damascène », conclut Soliman. Damas est une mosaïque autant sur le plan du roman que sur celui du réel. Toutefois, Damas le roman, le vrai, reste toujours reporté.

A la clôture du colloque, le critique palestinien Faysal Derrague s’est centré sur la ville entre hier et aujourd’hui, à travers Paris entre Baudelaire et Walter Benjamin. Il précise que Baudelaire a créé sa modernité propre en vivant parallèlement un urbanisme moderne qui s’entrechoque avec un autre plus archaïque. La spécificité de Baudelaire est, d’après Derrague, d’avoir conçu la modernité en mettant l’être humain au-devant du patrimoine ancien et du patrimoine naturel. « La défaite de l’ancien face au nouveau est ce qui a entraîné le poète à concevoir le modernisme dans tout ce qui est passager et en voie de disparition, dans les relations en mutation », explique Derrague.

Ce conflit de la destruction et de la construction est ce qui a transformé Paris en une ville moderne ayant ses rues, ses thèmes, sa géométrie, ses groupes qui marchent librement dans le vaste espace. C’est pourquoi Baudelaire est conscient qu’à « chaque époque sa propre modernité, et que le rôle de la créativité littéraire est de capter le nouveau avant sa disparition ». Il donne aussi l’exemple de Walter Benjamin qui a réussi à saisir Paris en lisant Baudelaire, et qui a relié cette ville à l’image de la bourgeoisie moderne. « L’idée de l’errant occupe une place centrale dans l’écrit de Benjamin, mais ce n’est pas le chômeur, c’est plutôt l’homme capable de marcher librement et avec plaisir dans les rues », insiste-t-il. Derrague conclut que l’important dans la poésie de Baudelaire est de défendre Paris, ville de la modernité et de la critique en même temps.

Al-Ahram/hebdo - Semaine du 21 au 27 mai 2008, numéro 715 (Idées)