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Gaza, terre fantôme des médias israéliens
dimanche 11 novembre 2007 - Benjamin Barthe - Le Monde

Pour les journalistes israéliens, la bande de Gaza n’a jamais été un territoire aussi lointain. Qu’ils soient juifs ou arabes, l’armée israélienne les empêche, depuis un an, d’y pénétrer, pour des raisons de "sécurité". La poignée de courageux qui, en dépit de l’Intifada et de l’anarchie locale, persistaient à franchir le terminal d’Erez, portail de la bande côtière palestinienne, sont désormais interdits de "terrain". La mesure concerne aussi une cinquantaine de correspondants de médias étrangers qui disposent également de la nationalité israélienne.

Gaza, déclarée "entité hostile" par l’Etat juif, est devenue une entité fantôme. "En novembre 2006, quand l’armée m’a refoulé pour la première fois, le porte-parole évoquait des risques d’enlèvement", explique le journaliste Gideon Levy, qui signe chaque semaine, dans le quotidien Haaretz, un reportage "coup de poing" sur la vie dans les territoires occupés. "Cette mesure, qui devait être temporaire, est en train de devenir permanente. Et, le pire, c’est que la profession ne s’en émeut même pas", ajoute-t-il.

De fait, le syndicat des journalistes israéliens ne trouve rien à redire à cet embargo médiatique. "Dans la période actuelle, les journalistes doivent obéir aux forces de sécurité, assure Yossi Barmucha, un responsable du syndicat. Si je lance une campagne de protestation au nom de la liberté de la presse et que, dans les jours qui suivent, un confrère est kidnappé à Gaza, vous imaginez ma situation ?" Shlomi Eldar, le reporter casse-cou de la chaîne de télévision 10, se refuse, lui aussi, à critiquer l’armée. "Je désapprouve cette décision, mais je peux la comprendre, dit-il. Depuis mon premier reportage à Gaza, en 1991, je m’y suis toujours senti en sécurité. Les seuls problèmes que j’ai rencontrés sont d’ailleurs venus de l’armée, qui, en 2003, a blessé par balle mon cameraman. Mais, aujourd’hui, la situation est beaucoup plus compliquée. C’est le balagan (chaos), comme on dit chez nous. Entre le Fatah, le Hamas, le Djihad islamique et les clans armés jusqu’aux dents, il n’est pas déraisonnable d’imaginer qu’un Israélien puisse se faire enlever."

Gideon Levy, franc-tireur patenté de la presse israélienne, est d’un avis rigoureusement contraire. Il estime que la prise du pouvoir par le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), en juin, a obligé les gangs qui semaient le chaos à rentrer dans le rang et que, de ce fait, les risques y sont bien moindres qu’au printemps. Comme Shlomi Eldar, il doit à l’armée israélienne le seul moment véritablement dangereux de sa carrière : quand une balle a traversé le pare-brise de sa voiture à Tulkarem, en Cisjordanie, en 2003. "Personne ne m’a empêché d’aller couvrir la guerre à Sarajevo parce que c’était risqué, dit-il. Il y a des dangers à Gaza, c’est évident, mais cela fait partie de notre travail. Et d’ailleurs, avant de rentrer là-bas, nous signions toujours une décharge qui exemptait l’armée de toute responsabilité."

Selon Gideon Levy, le veto de l’armée israélienne, inchangé depuis un an, relève de la censure déguisée. "Cette décision fait l’affaire des généraux, du gouvernement, des patrons de journaux et même des lecteurs, qui n’ont aucune envie d’entendre parler de la misère qui règne à Gaza", affirme-t-il.

Suleiman Al-Shafi, journaliste pour la chaîne 2, partage ce point de vue. "Je connais chaque pierre de Gaza, où je me sens parfaitement en sécurité. L’armée cherche à contrôler les médias pour mieux faire passer "sa" vérité", juge-t-il.

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Amira Hass, la seule journaliste juive israélienne installée dans les territoires occupés, dans son bureau à Ramallah, le 13 mars 2003 (AFP/J. Aruri)

De son côté, Amira Hass, l’autre expert ès affaires palestiniennes du quotidien Ha’aretz, impute le blocage à l’attitude de la presse en général. Dès le début de l’Intifada, en 2000, elle a eu besoin des coups de téléphone de sa hiérarchie à l’état-major pour obtenir le droit de traverser le point de contrôle d’Erez. Un soutien qui, aujourd’hui, lui fait défaut. "Le problème tient moins aux ordres de l’armée qu’au manque de volonté des médias de s’y opposer et de couvrir la réalité de Gaza, affirme-t-elle. Ils se comportent comme si ce territoire n’existait pas, comme si, depuis le désengagement (israélien de 2005), l’occupation en avait disparu."

Les reporters israéliens couvrent donc Gaza à distance : par téléphone, à l’aide des dépêches d’agences et grâce aux images envoyées par leurs collaborateurs palestiniens. Un traitement par défaut qui les frustre d’autant plus que, entre le coup de force du Hamas et le blocus économique imposé par Israël, la situation sur place n’a jamais été aussi critique. "Le Hamas est en train de créer un Etat, un Etat stupide qui va dans le sens des plans de l’armée, visant à couper Gaza de la Cisjordanie, et nous sommes incapables de couvrir cette histoire", soupire Amira Hass.

Si Israël, comme le ministre de la défense Ehoud Barak l’a évoqué, met à exécution sa menace d’offensive contre Gaza, la presse israélienne risque de rater une autre histoire. Ou presque : les seuls témoins seront les correspondants militaires "embedded" (embarqués) dans les blindés de l’armée.


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Benjamin Barthe - Le Monde, le 9 novembre 2007