Fermer la page
www.info-palestine.net
Gaza : Où sont passés tous les camions ?
jeudi 8 novembre 2007 - Jesse Rosenfeld - The Electronic Intifada
JPEG - 56.8 ko
La grand-route pour Karni est vide. Les transports de bétail sont censés la prendre pour aller à Gaza.




La route qui mène à Gaza a été longue, poussiéreuse, et on n’y voyait guère que des véhicules de l’armée israélienne ce 24 octobre, les chars, qui faisaient un exercice militaire, étant bien plus nombreux que les camions qui emmenaient des marchandises vers la frontière. Les points de passage contrôlés sont les seuls endroits par lesquels Gaza peut réceptionner de la marchandise et Israël les a fermés depuis le mois de juin, il a durcit récemment son blocus en coupant le carburant et est sur le point de couper l’électricité. Autrefois animés, ces passages frontaliers restent aujourd’hui déserts.

Entrer dans Gaza est très difficile maintenant, depuis un an l’armée empêche même les journalistes israéliens de passer et tous les rapports venant de l’intérieur indiquent que la bande de Gaza s’enfonce dans une crise humanitaire, manquant de marchandises et de médicaments. Les habitants affirment qu’à cause de ces pénuries, le prix d’un sac de farine est passé de 80 à 200 shekels (NIS) [14 à 35 ?] et les étagères dans les magasins sont quasiment vides. Les médias, tous ces derniers mois, ont publié des photos de ces passages montrant les routes vers Gaza bloquées, avec des camions qui ne peuvent livrer leur cargaison. Me rendant sur place avec un photographe la semaine dernière, il m’a semblé que les chauffeurs de camion avaient même abandonné l’idée de tenter de franchir ce passage.

Karni est traditionnellement un passage important pour les marchandises en direction de Gaza, mais alors qu’un journaliste de l’Associated Press nous emmenait après nous avoir pris en stop, des jeeps de l’armée nous ont arrêtés deux kilomètres avant le passage et l’armée nous a dit que celui-ci était fermé. Nous sommes descendus de la voiture et nous sommes retournés à pied jusqu’à un parking poussiéreux, à trois kilomètres, où une dizaine de camions étaient stationnés. Les seuls véhicules à partir en direction de Karni étaient quelques voitures qui prenaient la bretelle de sortie vers le kibboutz voisin, des véhicules militaires, et des camions citerne se rendant à la base militaire à 500 mètres d’où nous étions arrêtés.

Arrivant à hauteur d’un camion à l’arrêt, nous voyons une dizaine de conducteurs - la plupart étant des Juifs israéliens et quelques Israéliens palestiniens - bavardant, décontractés, se cachant du soleil contre leurs camions, fumant, et attendant la fin du jour. En regardant au loin de Karni, le paysage nous apparaît tranquille et s’étend à perte de vue, tandis que du coté de la base militaire, avec les chars qui poursuivent leur exercice, nous voyons un mur, et derrière, Gaza. Un chauffeur dit que la plupart des camions transportent seulement de la marchandise israélienne pour la région, et quelques autres ont du bétail pour Gaza.

« Nous prenons des poulets et des vaches, rien ne sort » dit-il. « Nous emmenons notre cargaison jusqu’au passage et les Palestiniens la récupèrent de l’autre côté. Seule, la nourriture peut passer. » Il dit que Karni est un passage pour le bétail et que seuls les conducteurs israéliens peuvent délivrer leur chargement. Quand le camion arrive près du passage, la cargaison est déchargée, contrôlée par l’armée et mise sur une voie en direction Gaza, ajoute-t-il avec son accent hébreu épais. Néanmoins, aucun camion de bétail ne part vers le passage, et même s’ils partaient, l’armée a fermé la route deux kilomètres avant. Le chauffeur dit qu’il y a plus de camions et d’activité aux passages de Sufa et de Kerem Shalom, mais que, seule, la nourriture peut passer.

Nous les laissons aux camions et commençons à faire du stop en direction de Sufa et Kerem Shalom ; tout ce temps, je pense à cette marchandise de première nécessité qui est exclue de Gaza. Quelques jours plus tard, dans un échange de mels avec la société Atfaluna pour les Enfants sourds, de Gaza, celle-ci m’informera que leurs appareils auditifs et les batteries sont bloqués par l’armée depuis juin. L’organisation assure la fourniture d’appareils auditifs, les équipements inhérents et de matériel scolaire pour les enfants malentendants de Gaza.

« Actuellement, la plupart des 30 enfants, âgés entre 3 et 17 ans, à l’école Atfalluna, ne portent pas leur appareil auditif car ils n’ont pas de batterie. De plus, la clinique d’audiologie Atfaluna suit aussi des patients externes et presque tous n’ont pas de batterie pour leur appareil » écrivait Eman Shanan, chargée des relations publiques d’Atfaluna. Elle dit que l’armée prétend qu’elle ne laisse pas entrer le matériel parce que le zinc des batteries représente un risque sécuritaire. Néanmoins, Shanan croit que cela fait partie d’un processus de punition collective pour la prise de contrôle de la Bande de Gaza par le Hamas.

Nous sommes pris sur le bord de la route par une femme israélienne qui vit dans le secteur depuis 1979. Elle dit qu’elle a le temps et nous propose gentiment de nous conduire aux deux points de passage. Bien qu’elle n’habite qu’à quelques kilomètres du passage pour Gaza, elle semble non concernée par l’impact du blocus sur Gaza et les graves pénuries qu’y subissent les gens. Elle normalise d’un air tranquille les restrictions sévères qui affament Gaza en disant « Vous n’allez probablement pas voir grand-chose ; l’armée s’assure minutieusement de tout ce qui rentre et qui sort. »

JPEG - 80 ko
Des chars font des exercices à la base militaire située juste avant le check-point de Karni.




Sufa est censé être le nouveau premier passage frontalier pour lequel Israël dit envisager entre 100 et 200 camions par jour. Toutefois, le passage ressemble plus à une carrière de sable pleine de tanks, et il y a une base militaire au loin. La route s’avance à travers le sable et s’arrête brusquement avec trois gros cubes de béton qui empêchent d’aller plus loin, mais avant même d’y arriver, les soldats, de l’intérieur de leur char à l’arrêt, nous ordonnent de stopper. Avec perplexité, ils sautent de leur engin et courent vers la voiture, mitrailleuse au côté ; après une rapide discussion en hébreu avec la conductrice, ils nous déclarent en anglais que nous ne pouvons pas aller plus loin.

Il n’y a pas un seul véhicule de transport en vue sur ce prétendu nouvel axe principal de transports routiers de marchandises, et si même il y en avait, on ne voit pas comment les camions pourraient faire pour passer ces blocs de ciment mis avant Gaza. Le soldat dit que, seuls, les camions transportant des ravitaillements humanitaires peuvent passer. « Seule, la nourriture peut traverser ainsi que l’humanitaire, tels que les médicaments, les choses dont ils ont absolument besoin pour rester en vie. Toutes les marchandises sont sécurisées puis contrôlées. » dit-il.

Cependant, on a du mal à le croire alors que les hôpitaux nous indiquaient, juste deux jours plus tôt, être en rupture de médicaments anesthésiques. Le 6 octobre, le PMRS (Palestinian Medical Relief Society alertait sur une crise sanitaire imminente en raison d’un blocus qui créait des difficultés extrêmes pour administrer les médicaments. Déjà, il signalait que le traitement des gens astreints à dialyse trois fois par semaine était réduit à deux fois par semaine à cause du manque d’équipements.

Le soldat nous dit qu’il y a beaucoup plus d’activité le matin, et que si nous sommes intéressés pour parler avec des conducteurs de camions et voir cette activité à un passage vers Gaza, nous devrions continuer sur Kerem Shalom. Nous remontons dans la voiture et nous nous dirigeons vers le dernier passage pour les marchandises, dont Israël prétend qu’il dessert 55 camions par jour. Nous sommes quasiment la seule voiture sur la route, et il n’y a aucun camion à rouler dans notre direction. Kerem Shalom est un poste frontière à trois directions, Israël, Gaza et Egypte, et comme les deux autres passages frontaliers, il est complètement désert en dehors des snipers et des miradors.

Il est 5 h de l’après-midi et les seuls camions que nous voyons sont des israéliens utilisant le passage comme raccourci pour le transport de marchandises depuis les fermes israéliennes des environs vers les autres régions d’Israël. La femme qui nous emmène essaie d’expliquer que, là aussi, les camions doivent être passés le matin, mais je reste à me demander comment des camions qui sont bloqués pendant des heures pour « sécuriser » les marchandises peuvent avoir disparu à 5 h du soir. Je suis troublé et sceptique, comment est-il possible qu’on ait ravitaillé en nourriture et en médicaments en assez grand nombre une bande de Gaza déjà affamée et que la frontière la plus fermée d’Israël se soit vidée en quelques heures dans la matinée ?

La femme, toujours aimable, nous conduit à l’arrêt de cars le plus proche ; le car nous fait faire un tour dans la ville de Be’er Sheva et nous laisse, en compagnie d’un soldat, pour faire de l’auto-stop sur le bas-côté de la route. Nous prenons le temps de discuter et tout en nous assurant que le magasin de son M16 est vide, le soldat nous dit qu’il part en absence maladie après une opération de nuit secrète dans la bande de Gaza, la nuit précédente. Quand il apprend que nous sommes des journalistes, il devient nerveux, nous disant qu’il ne nous l’aurait pas dit s’il l’avait su, son unité ayant reçu l’instruction expresse de ne pas en parler à la presse. A ce moment-là, il devient clair que les seuls qui ont pu vraiment rentrer dans Gaza sont ces types de 20 ans, armés jusqu’aux dents, qui ont traversé la frontière de nuit, et Israël veut garder ceci aussi discret que possible.

JPEG - 52.8 ko
Kerem Shalom, le principal passage pour l’entrée des nourritures et des médicaments dans Gaza.




Jesse Rosenfeld est un journaliste indépendant, basé à Ramallah. Cet article fut publié initialement par Palestine Monitor.

Ramallah, Cisjordanie occupée - The Electronic Intifada - Photos : Palestine Monitor. Traduction : JPP