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« Aimer le Liban » empêche-t-il de dire « Désolé ! » ?
jeudi 1er novembre 2007 - Franklin Lamb - Counterpunch

Jeffrey Feltman, ambassadeur des Etat-Unis, quitte son poste au Liban

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Nous devons reconnaitre publiquement que Jeffrey Feltman
n’a pas « perdu le Liban » à lui tout seul.




Alors que l’ambassadeur américain Jeffrey Feltman fait ses valises et se prépare à quitter le Liban pour son prochain poste, il ne faut pas lui reprocher de s’être senti malmené ces derniers mois.

Son dépit doit remonter au 22 octobre quand il a, avec grossièreté, insulté son hôte, son éminence chrétienne Monseigneur Mattar, en particulier, et le journalisme libanais en général, en le comparant à un clown de cour chargé de le distraire au lever pour l’aider à oublier ses soucis libanais. Les médias de Beyrouth, notamment Al Safir, ne se sont pas privés en commentant l’activité pro-israélienne sans précédent de l’ambassadeur américain, alors qu’il prétendait « aimer le Liban ».

Talal Salman, le rédacteur en chef d’Al SAfir, écrit le 24 octobre :

« S’il y avait eu un véritable Etat au Liban, l’ambassadeur américain à Beyrouth, Jeffery Feltman, aurait été « expulsé » dans son pays. Jamais dans l’histoire des relations entre les pays, un ambassadeur étranger s’est arrogé le droit de s’immiscer, par des communications personnelles publiques et privées, par des déclarations télévisées quotidiennes, et dernièrement dans les colonnes des journaux, dans les plus sensibles des affaires intérieures de l’Etat qui le recevait...

« S’agissant de l’opposition (le Hezbollah), l’ambassadeur persiste dans ses attaques contre elle, contre ses commissions politiques, ses personnalités de premier plan et ses dirigeants, comme s’il était un citoyen de ce pays, ou une personnalité incontournable au sens juridique, constitutionnel et populaire. L’ambassadeur dépasse souvent les bornes car il ne se contente pas de défendre Israël quand ce pays est accusé d’avoir fait une guerre destructrice au Liban sur de piètres prétextes, mais il falsifie tous les faits et insiste en déclarant le Hezbollah responsable des pertes matérielles et humaines dont le Liban a souffert alors que le monde entier sait que c’est l’administration de Feltman à Washington qui a contraint son sempiternel allié, Ehud Olmert, à monter en épingle un accrochage courant à la frontière pour s’engager dan une guerre à laquelle les Israéliens n’étaient pas préparés, ce qui a conduit Olmert à tout faire pour imposer le maximum de souffrances au Liban afin de masquer la perte du prestige d’Israël après la défaite de ses armées invincibles. Le plus que les Libanais puissent espérer aujourd’hui est que cet ambassadeur nous laisse en paix avant que l’incendie qu’il a attisé ne se propage et ne brûle ce qui reste du Liban. »

Un autre chroniqueur a écrit : « Nous remercions l’ambassadeur américain pour ses derniers jours passés au Liban et nous espérons qu’il réussira là où il ira, et que ce qu’il est advenu au Liban pendant sa fonction n’adviendra pas aux prochaines destinations de l’ambassadeur Feltman. »

Soyons justes avec l’ambassadeur, sa mission n’était pas facile. Etre ambassadeur des Etats-Unis ces temps-ci, au Moyen-Orient, exige plus que de couper des rubans, de siffler de la bière le vendredi soir avec les marines de garde à l’ambassade, et de s’assurer de la discrétion des visiteurs et des officiels US trop bavards.

Après près de sept ans de service en Israël, tant à l’ambassade qu’au consulat des Etats-Unis, le fonctionnaire des Affaires étrangères Feltman a prêté serment à l’ambassade US au Liban le 22 juillet 2004, grâce à l’appui de l’ancien ambassadeur américain en Israël, Martin Indyk, sioniste passionné qui milite actuellement pour l’AIPAC à Washington DC comme porte-parole pour dénigrer systématiquement les musulmans et les arabes pour le lobby pro-israélien. Feltman a acquis le soutien d’Indyk pour devenir l’homme d’Israël au Liban au cours de l’année (2000-2001) où ils ont travaillé ensemble en Israël. Feltman était le collaborateur spécial de l’ambassadeur Indyk.

Mais, à peine arrivé à Beyrouth, Feltman s’est vu remettre un épais dossier qui comprenait près d’une « dizaine de projets inachevés ». Ce n’était pas seulement du quotidien, du « travail facile », et il n’en a mené aucun à bon terme.

Selon un membre du bureau Liban du département d’Etat (202-644-4000), qui n’a pas été autorisé à s’exprimer en public sur le sujet : « L’Etat comptait que Feltman règle au moins une partie de cette merde ! » ; et il donne une liste que les occupants du Foggy Bottom (ministère des Affaires étrangères US) connaissaient bien. En voici quelques-uns :

  • Proposer les moyens d’affaiblir le Hezbollah et l’influence de la résistance libanaise sur la politique libanaise et la région ;
  • Réduire fortement, en prévoyant éventuellement des éliminations, l’influence syrienne et iranienne sur la politique libanaise et contribuer à identifier ses « atouts » ;
  • Conduire et coordonner les visites d’officiels US sur les sites et engager des discussions avec les groupes sunnites de Tripoli/Bignin/Akkar sur la possibilité d’une base aérienne US-libanaise commune à Kleit ;
  • Analyser la faisabilité d’une armée sunnite au nord du Liban pour maîtriser la puissance militaire chiite du sud ;
  • Favoriser la création d’un nouveau parti politique chiite dans la région de Tyr afin de contrer et d’affaiblir le Amal et le Hezbollah ;
  • Analyser les perspectives d’une guerre civile au Liban impliquant les chrétiens du 14 Mars et les musulmans sunnites, contre les chrétiens (aounistes) et les musulmans chiites ;
  • Enquêter et procéder à une analyse sur l’éventualité d’un Liban divisé en régions autonomes sur le mode de l’Iraq ;
  • Faire avancer le projet d’ouverture d’une ambassade américaine vaste et plus sûre à Baabda ;
  • Appuyer l’acceptation et le soutien populaire du Liban aux Forces libanaises maronites et au Parti socialiste druze dirigés respectivement par Samir Geagea et Walid Jumblatt ; (entre-temps, les patrons de Feltman à Washington ont dit à Walid Jumblatt cette semaine qu’il pouvait compter sur l’aide militaire américaine pour la « zone autonome » qu’il ambitionne pour combattre le Hezbollah et la résistance libanaise) ;
  • Avancer dans l’analyse de la faisabilité d’une alliance stratégique américano-libanaise avec un point de vue éventuel de l’OTAN.

Et la liste se poursuit...

Le programme de Feltman et sa charge récente étaient de répondre à une multitude de questions qui se posent au Liban et au Moyen-Orient à propos du projet US/Israël pour la région. L’un des aspects est ladite « alliance stratégique », avec la « possibilité d’aller plus loin en projetant des bases militaires » que beaucoup pensent planifiées pour le Liban. La semaine dernière, Eric Edelman, sous-secrétaire à la Défense pour la planification stratégique semblait en promouvoir l’importance lors de sa rencontre avec un certain nombre d’officiels civils et militaires pendant sa visite ici, ainsi que lors d’une interview télévisée où il a formulé des déclarations claires réfutant les démentis publics de l’ambassadeur Feltman.

Le projet « alliance stratégique » est confirmé par plus d’un officiel américain de haut rang à Washington et est à l’étude au département d’Etat, à la commission des Services armés du Sénat et à la commission des Renseignements présidée par un critique de l’administration Bush, Patrick Leahy.

Frustré, Feltman - d’après As Safir de Beyrouth -, a révélé (dans sa réponse à leur reportage sur une nouvelle « alliance stratégique US/Liban ») « un certain nombre de secrets militaires restés inconnus de tous au Liban sur des bases militaires implantées sur le sol libanais depuis plus de 30 ans, mais qui n’avaient fait l’objet de remarques d’aucun autre ambassadeur avant lui, ni même d’un attaché militaire voire du moindre contrebandier. »

Le département d’Etat n’a pas beaucoup apprécié et le rapport d’évaluation de fin de mission de l’ambassadeur, lequel est rédigé au 5è étage du département d’Etat au Foggy Bottom pourrait bien évoquer ces indiscrétions verbales et son manque de réussite caractérisé dans l’avancement des objectifs du Welch Club (*). Pour un ambitieux FSO (officiel en service à l’étranger), un poste au Liban normalement n’est pas un tremplin pour sa carrière.

Nous devons reconnaitre publiquement, à la décharge de Jeffrey Feltman et dans une démarche correcte et équitable, qu’il n’a pas « perdu le Liban » à lui tout seul. Car l’administration Bush a perdu le Liban par son intensification d’une politique aveugle vieille de 30 ans, une politique qui a nui à la fois au Liban et aux intérêts nationaux du peuple américain, ainsi qu’à tout le Moyen-Orient et au-delà.

Feltman n’est pas non plus le premier ambassadeur à être confronté à des annonces mitigées de la Maison-Blanche alors qu’il essaie d’expliquer au pays hôte ce que son gouvernement a à l’esprit. Mais l’un des problèmes de Feltman, c’est que l’opinion libanaise, avec ses 18 religions et plus, s’est fortement cultivé, elle a évolué politiquement et possède une excellente idée des intentions de l’administration Bush, malgré les brouillages de celle-ci.

La rude tâche de Feltman a été de convaincre les Libanais de le remercier pour ses services, et de rappeler qu’avant l’agression israélienne de juillet 2006, l’aide américaine à leur pays était nulle et qu’elle n’a été augmentée qu’avec son aide après la guerre de juillet pour approcher les 250 millions, avec la promesse d’arriver éventuellement à un demi-milliard de dollars. Ce qui est peu comparé au total des largesses américaines annuelles de plus de 8 milliards de dollars à Israël (par-dessus et en dessous la table) mais là encore, comme ils disent dans ce quartier de spécialistes du district de Columbia, « le chien qui n’est pas idiot évolue ».

Jeffrey a dû déployer tous ses efforts de diplomatie pour essayer de faire oublier au peuple du Liban qu’il avait contribué à faire durer les massacres de juillet 2006 en leur apportant « les douleurs de l’enfantement du nouveau Moyen-Orient », message de sa patronne, Miss Rice, et pour qu’il néglige ses demandes de gratitude et de patience des Libanais durant la guerre, alors que de plus en plus de civils se faisaient tuer jusqu’à ce qu’ « un cessez-le-feu acceptable puisse être arrangé ».

Durant les derniers jours de sa mission, Feltman a régulièrement rappelé à son auditoire libanais « les martyrs de l’armée libanaise tombés dans le combat contre les terroristes du Fatah Al-Islam », tout en oubliant les martyrs de la même armée tués par des avions américains livrés à Israël, équipés de bombes made in USA, alors qu’ils dormaient dans leur caserne ou sous leur tente entre le 12 juillet et le 13 août 2006.

Feltman a hérité d’un grand nombre d’écueils et il s’est trouvé confronté à une tâche déprimante car l’administration Bush a plutôt été condamnée sans réserve par l’histoire, tant aux yeux des Américains que dans l’esprit des peuples du Moyen-Orient. La crédiblité de l’administration Bush au Liban est au point zéro.

Faltman a échoué et les Etats-Unis ont perdu le Liban - au moins dans l’immédiat - pour un certain nombre de raisons notamment le soutien de l’administration Bush à l’occupation continue de la Palestine par Israël, l’intensification des violations des droit humains là-bas et l’agression US contre l’Iraq.

Les étrangers qui vivent au Liban s’étonnent souvent du niveau de connaissance des populations ici qui comprennent des milliers de réfugiés iraquiens, et de la façon dont ils peuvent s’émouvoir des statistiques en Iraq : 3 847 soldats US tués, 28 999 blessés, mais plus de 600 000 victimes iraquiennes, deux millions de réfugiés iraquiens et deux millions de déplacés internes. Ce pipeline d’informations qui arrive directement des réfugiés iraquiens au Liban et du près d’un million et demi de réfugiés en Syrie a convaincu le Liban que la guerre de Bush en Iraq et ce total croissant quasiment incalculable du nombre de morts n’avaient servi à rien. Absolument à rien. La plupart des Libanais ne veulent aucun projet US pour leur pays.

Ancien étudiant en Histoire et Beaux-arts dans son université, Feltman ressemble quelquefois à un « donneur de leçon » quand, souvent, il menace de l’arrêt des aides au Liban « à moins d’appliquer pleinement les résolutions des Nations unies ». Disant cela, il pense à la résolution 1559 pour « désarmer les milices », mais pas à la SCR 425, ni à la 1701 qui exigent qu’Israël se retirent du territoire libanais notamment des Fermes de Shebba et de Ghajar, et cesse ses violations quasi quotidiennes de la souveraineté libanaise.

Certains Libanais ne comprennent pas ce que Feltman veut dire quand il déclare régulièrement que « les Etats-Unis soutiendront le choix du peuple libanais pour un président librement élu, aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’ingérence extérieure ou d’influence excessive de la part de forces terroristes ou antidémocratiques. » Qu’il y ait quotidiennement « des ingérences de la part des étrangers américains » est souligné presque tous les vendredis par le plus haut dignitaire religieux chiite Mohammad Hussein Fadlallah, dans son sermon hebdomadaire à Haret Hreik.

En dernière analyse, le bilan du travail de Feltman, couvrant ses presque 7 années en Israël et ses 40 mois au Liban, laisse penser qu’Israël s’est arrangé pour que Feltman soit affecté au Liban pour faire le travail d’Israël.

Dans cette tâche il a réussi, mais beaucoup dans les près de 50 000 citoyens américains au Liban pensent que nous, les Américains, pouvons faire mieux la proche fois en choisissant un émissaire qui mettra les intérêts américains et libanais avant ceux d’Israël.

* Wesh Club : Club dont David Welch est le parrain. Il fut l’assistant de la Secrétaire d’Etat Condoleeza Rice et il est l’homme lige de l’administration Bush. C’est Eliott Abrams qui téléguide le Club. Parmi les membres-clés libanais du Welch Club on retrouve : Walid Joumblatt, chef du Parti druze (Parti socialiste progressiste), vétéran de la guerre civile, chef féodal et lunatique ; Samir Geagea, chef du parti extrémiste de la Phalange et des Forces libanaises, également vétéran de la guerre civile, chef de guerre et terroriste. Il a purgé 11 années de prison entre autres pour les massacres de compagnons chréiens. C’est son groupe qui a perpétré les massacres de Palestiniens à Sabra et Chatila, organisés par Israël ; le cheikh saoudien milliardaire Saad Hariri qui est le président du Club et dirige le Mouvement du Futur, sunnite. (Source : "Qui se trouve derrière les combats au Nord-Liban ?", mai 2007, de Franklin Lamb).

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Les membres du Welch Club (Samir Geagea, Saad Hariri & Walid Jumblat)
autour de Fouad Siniora.




Du même auteur :

- "25e anniversaire du massacre de Sabra et Shatila", 16 septembre 2007, Dissident Voice.

26 octobre 2007 - Counterpunch - traduction : JPP