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Gaza : un environnement massacré
dimanche 11 décembre 2005 - Claudie-Marie Vadrot

"Gaza vit désormais sans colons israéliens. Mais pas sans problèmes même si, comme cet habitant de Gadi qui l’a fait devant moi, ils n’ont pas tous passé leurs cultures et leurs jardins au désherbant avant de partir."

Dans l’introduction d’un rapport sur Gaza publié en 2003, le Directeur du Programme des Nations Unies pour l’Environnement écrivait : " La dégradation de l’Environnement aggravera lentement et sûrement l’avenir d’une population qui fait déjà quotidiennement l’expérience d’une vie difficile.

Cette étude n’offre pas seulement des recommandations claires sur la façon dont les problèmes pourraient être résolus. Ce rapport identifie les questions environnementales critiques qui, en dépit des difficultés politiques, doivent être réglées le plus rapidement possible si l’on veut préserver les ressource naturelles et rétablir un environnement sain pour les générations futures ". Rien ne s’est arrangé depuis.

(...)

Avec 1,4 millions de personnes sur 378 km2, moins de quatre fois la superficie de Paris, les habitants de Gaza souffrent, outre des progrès sanglants de l’islamisme, d’un chômage dépassant 70 % et de toutes les formes possibles et imaginables de pollutions : des émanations d’amiante en passant par l’accumulation des déchets ou la dégradation de l’eau ; sans oubier la destruction du milieu naturel. Un territoire dont il est plus que jamais difficile de sortir après le retrait mouvementé des 9000 colons israéliens. Enfermement que souligne un livre publié il y a quelques semaines par Hervé Kempf dans le livre qu’il vient de consacrer à ce territoire avec le photographe Jérôme Equer : "Gaza, la vie en cage " (1). Une cage qui n’est pas dorée.

A Gaza 95 % des foyers possèdent une installation d’eau courante mais le robinet reste souvent sec, la nappe ne pouvant faire face à la demande et les installations de pompage et de distribution ayant été fréquemment victimes des combats et des bombardements. Ce qui rend problématique l’approvisionnement régulier des habitants, surtout avec des camions citernes de secours astreints à de longs détours ou à des attentes interminables aux barrages de l’armée israélienne, ce qui n’améliore pas la qualité de l’eau transportée.

D’après les experts de l’ONU, à Gaza, les colons utilisaient quatre fois plus d’eau, par personne que les Palestiniens vivant prés d’eux. D’autre part la source quasiment unique de l’approvisionnement se trouve sous ce territoire et reçoit des pollutions multiples en raison d’une population mal maîtrisée et maltraitée ; avec des effets néfastes sur la santé des habitants. Les produits de traitement agricoles, à commencer par ceux des colons, les nitrates, les sulfates, les métaux lourds, ont pénétré dans le sol et atteignent la nappe. Probablement parce qu’ils sont utilisés clandestinement, les analyses font même apparaître du DDT (interdit en Europe depuis 30 ans !) et du Lindane dans les eaux que boivent les Palestiniens. Avec, pour faire bon poids des teneurs en nitrates partout supérieures aux 50 mg considérés comme la limite de potabilité par l’Organisation mondiale de la santé. La sur-exploitation de cette ressource de Gaza entraîne, comme ailleurs dans la région mais plus rapidement, l’accroissement de sa salinisation qui la rendra un jour impropre à la boisson et aux usages agricoles.

Les trois stations d’épuration de Gaza ne fonctionnent pratiquement plus, faute de pièces de rechange ou parce qu’elles ont été touchées par des tirs israéliens. 60 % des habitants sont reliés au réseau d’égouts mais il n’existe pas de station de traitement dans les quatre grands camps de réfugiés de la bande de Gaza. 70 à 80 % des eaux usées partent sans traitement dans les champs, dans les puits ou à la mer.

Prés d’une station d’épuration à l’agonie entre Beit Lahia et Beit Hanien, au nord de Gaza, un lac de 40 hectares d’eaux usées s’est formé. Ces eaux se répandent et s’écoulent dans les cultures, et une quinzaine de puits a du être fermés. Quant à la station de traitement de Gaza, elle a été touchée par des obus et des tirs de blindés.
Autre pollution dangereuse : celle qui provient des toitures de nombreuses maisons et bâtiments palestiniens quand elles sont touchées ou détruites par des engins, des missiles ou des obus. Tout simplement parce que, notamment à Rafah et dans le sud de Gaza, j’ai pu le constater, la plupart de ces toits sont en amiante. Les explosions ont dispersé dans l’atmosphère de la poussière chargée en amiante balayée par les vents.

Autre aspect des atteintes à l’environnement les zones frontières de Gaza et les limites des implantations de colons : l’arrachage des vergers. Au cours de la première Intifada, pour agrandir les zones de sécurité et de protection, les forces israéliennes, de source palestinienne, ont abattu des centaines de milliers d’arbres fruitiers dont une proportion importante d’oliviers.

D’après les Nations Unies, pour ce qui concerne la seconde intimidant en Cisjordanie et à Gaza, chiffres confirmés par la Banque Mondiale, entre 2000 et 2003, 155 000 oliviers, 150 000 citronniers, 54 200 amandiers, 12 500 palmiers dattiers, 18 000 bananiers et 49 000 arbres fruitiers " divers " ont été détruits. Plus 39 200 pieds de vignes. Conséquence de l’intensification des violences de part et d’autre, et donc d’une réponse plus forte des militaires israéliens, des sources indépendantes concordantes situent le chiffre des arrachages d’arbres fruitiers dans une fourchette d’un million et demi à deux millions au cours de la seconde intifada. Ce qui facilité une érosion éolienne et pluviale des sols dénudés, lesquels deviennent assez rapidement inutilisables, difficiles à remettre en culture.

Cette déstructuration des milieux naturels entraîne un appauvrissement rapide de la biodiversité de l’ensemble Palestine-Israël qui était, puisqu’il faut parler au passé, l’une des plus riches du Proche Orient.

Les naturalistes, il y a 20 ans, recensaient 530 espèces d’oiseaux nicheurs ou migrateurs, chiffre largement supérieur au nombre d’espèces fréquentant la France. Pour les mammifères, 116 espèces, le chiffre était quasiment le même qu’en France. Les spécialistes palestiniens et israéliens sont d’accord pour constater la diminution rapide des passages de cigognes et d’une façon plus générale de la plupart des oiseaux qui empruntent (ou empruntaient) depuis des millénaires ce corridor accueillant entre mer et désert pour gagner l’Egypte et le Soudan Le nombre des espèces serait descendu largement en dessous de 450 pour les oiseaux et en dessous de 80 pour les mammifères. La loutre, le loup, le chat des sables, le chat sauvage, la gazelle des montagnes et la chèvre nubienne étant au bord de l’extinction. La mise en place du grand mur en béton séparant la Cisjordanie, Gaza et Israël est un obstacle à la survie (liée aux échanges) de la faune et de la flore et il constitue probablement l’obstacle le plus parfait imaginé par les hommes contre la biodiversité. Et contre les hommes.

Les Palestiniens ont délimité trois réserves naturelles auxquelles les affrontements ont ôté depuis des années tous moyens, financiers et humains, de réelle protection. C’est notamment le cas de la réserve de Wadi Gaza régulièrement traitée...avec de l’essence pour éliminer les moustiques et recevant chaque jour des milliers de m3 d’eau usée en provenance des camps de réfugiés. Le Wadi Gaza, qui ressemble par endroit à un véritable égout, fut autrefois une zone naturelle, riche en flore et en faune. La chute de la biodiversité faunistique de la bande de Gaza a un autre aspect : sur cette plaine côtière comme sur la partie haute qui culmine à 90 mètres, la végétation d’origine relevée par les naturalistes anglais dans les années 40 a pratiquement disparu...

" La biodiversité, dit un rapport des Nations Unies, est menacée par toute une série de pressions de plus en plus aggravée par le conflit en cours. Pendant les affrontements, les intérêts politiques et les ressources financières sont détournées de tout ce qui est développement durable dans la gestion des ressources naturelles et la protection de la nature. Les conflits représentent une difficulté pour ceux, qui des deux côtés, ont besoin de travailler ensemble et d’échanger des informations pour réussir à protéger la nature ".

La Palestine qui vient de naître une nouvelle fois à Gaza n’est promise à un avenir en vert que sur ses drapeaux car la situation de l’environnement est souvent la même dans les Territoires Occupés de Cisjordanie...

(1) Editions du Seuil, 250 pages,
de nombreuses et superbes photographies, 26 euros

Président de l’association des Journalistes
pour la Nature et l’Ecologie
Gaza le 20 août 2005, - Publié sur http://www.jne-asso.org/edito.html et http://rezo.net/