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L’histoire de la semaine
samedi 9 décembre 2006 - Margo Sabella

Que des femmes aient besoin de se faire exploser pour qu’on nous accorde l’attention que nous méritons est largement symptomatique d’une culture globale qui méconnaît la tâche pénible que les femmes doivent assumer, à la maison et au dehors, pour mettre à manger sur la table, pour éduquer leurs enfants, pour les garder sains et saufs malgré les attaques israéliennes continuelles dans les villes et les villages, partout dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie.

Ce n’est que lorsqu’il y a une explosion que les médias pensent à mettre un visage humain sur la souffrance du peuple palestinien, alors que ce devrait être le contraire. Au lieu de faire l’éloge des femmes qui sont confrontées, chaque jour, à des conditions de vie exceptionnellement dures, les médias et les journalistes occidentaux - même ceux qui vivent parmi nous - expliquent et jugent étonnamment ces actes d’une violence atroce en insinuant qu’une femme qui perd l’un des siens et qui vit dans des conditions extrêmes peut y être conduite. Aussi, le fait qu’elle réagisse avec ses tripes ne doit pas surprendre de la part d’un peuple qui doit supporter la violence quotidienne d’Israël. Ceci dit sans vouloir le justifier car cela deviendrait une mode et ces femmes - comme les hommes avant elles - deviendraient des héroïnes funestes et non de bons exemples pour leurs pairs.

Ainsi serait-il juste de ne pas entendre ces millions de femmes - la plupart endeuillées ou endurant des privations - qui ont fait le choix de la non violence pour s’exprimer, parce qu’elles ont décidé que le véritable sacrifice était de trouver le moyen de vivre malgré un régime d’oppression ? Cette société a besoin de trouver des formes créatives, constructives de résistance mais ses différentes tentatives ont été détournées par ceux qui ont choisi la violence comme moyen de résister à l’occupant. Plus les médias mettent en avant ces actes désespérés et plus ils laissent de côté l’histoire de ces femmes palestiniennes ordinaires qui font des choses extraordinaires, plus ils deviennent les complices d’un occupant qui refuse notre humanité.

Où entend-on l’histoire de ce professeur inspiré qui encourage ses étudiants à trouver leurs talents ? ou celle de ces vieilles femmes malvoyantes qui veulent rendre confiance à ces jeunes femmes malvoyantes dans une société si dure pour tous ceux qui ont le moindre handicap ? ou celle des militants dans les organisations qui agissent pour l’abolition de la violence contre les femmes ? Ces histoires ne vaudraient-elles pas un quelconque temps d’antenne ou quelques lignes dans un journal ?

Ma frustration quand je propose un tel article à la publication dans un média occidental est que, parce que c’est une histoire ordinaire, il est toujours refusé ou relégué dans un coin, merci. Est-ce parce qu’il n’y a pas de sang que cette histoire n’est pas publiée ? Ou y a-t-il une raison plus fondamentale à écarter mes articles ? Je ne prétends pas être une journaliste extrêmement experte, mais il y a quelque chose que je veux dire et je veux que les gens en Occident le sachent. Mais quand mon article est refusé, j’ai le sentiment - mais je peux me tromper - que ce n’est pas parce qu’il n’est « pas bon », ni à cause de son style ou de la langue, c’est parce qu’il manque de souffrances. Quelle sorte de politique pervertie défendent donc les médias occidentaux ?

Autant j’admire les nombreux journalistes qui soutiennent notre cause et leurs organismes qui écrivent ou parlent du vécu des Palestiniens, autant je ressens aussi une pointe de racisme, inconscient et involontaire, dans leur attitude : pour eux, ce sont eux, et eux seulement, qui peuvent le mieux parler de nos souffrances. Il y a beaucoup de Palestiniens capables de s’exprimer eux-mêmes, clairement, succinctement, auprès de l’opinion occidentale, sans être ni trop passionnés ni trop insensibles, mais on les considère non crédibles ou partiaux car ils ont un intérêt dans l’histoire. Mais c’est « précisément » pour cela qu’ils devraient être considérés comme crédibles.

Nous essayons tous de sortir d’une hégémonie des factions mais au lieu que les médias libéraux nous apportent au moins leur soutien, ils sont plus disposés à publier des gros titres sur des étoiles montantes de parti politique odieux. Les étoiles en déclin de la politique palestinienne elles aussi bénéficient d’un espace dans la presse parce qu’elles ont des noms réputés, sinon pour l’opinion occidentale au moins au niveau des élites gouvernantes. A lire les articles les concernant, c’est vraiment étrange quand on sait que dans leur pays ils ont perdu beaucoup de leur réputation de voir que l’Occident est toujours résolu à leur accorder confiance.

Quand notre voix est couverte à l’extérieur par celles de tels politiciens avides de puissance, des gens finis, dépassés, quand la douleur de perdre un enfant, un fiancé, un frère ou une s ?ur est trop lourde à porter pour certaines femmes, alors elles se font exploser. Je n’en impute pas toute la responsabilité aux médias, mais je sens qu’ils ont un rôle dans l’entretien de certaines idées et certains idéaux - contreproductifs pour notre combat national et nos aspirations politiques -, simplement en ignorant la voix de la majorité et en pervertissant volontiers nos objectifs. Les médias ont une influence bien plus grande qu’ils le pensent, même face à leur gouvernement et à une opinion hostile, mais ils manquent de courage pour modifier leurs approches et à la place, ils préfèrent continuer à montrer les vieux clichés que nous avons tenter d’effacer : que « les Palestiniens sont des monstres terroristes corrompus, que le seul langage que nous connaissons et que nous comprenons est celui de la violence et du meurtre ». Alors que c’est le contraire qui est vrai.

Il est très regrettable que la seule façon de pouvoir parler d’une jeune femme (et bien sûr d’une vieille femme) soit à travers un acte qu’elle commet sous la forme la plus tragique, qui lui prend non seulement sa propre vie mais aussi celles des autres et anéantisse toutes les promesses de sa vie.

Si on pouvait évoquer, honnêtement et avec une dignité humaine, l’histoire de chaque femme palestinienne vivant dans un camp, un village, une ville en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, alors peut-être que quelque chose interpellerait les gens de moralité et qu’ils rechercheraient les vraies raisons de l’angoisse des femmes qui en arrivent à se transformer en bombes humaines.

Tant que les médias courront après un article comme un loup après sa proie, les voix combattantes de millions de personnes évoquant les questions quotidiennes de la rue palestinienne continueront d’être étouffées. Et tant que ces histoires ne seront pas racontées, le bruit de la violence sera le seul à se faire entendre.

membre du programme de communication et d’information du Miftah. mip@miftah.org
6 décembre 2006 - http://www.miftah.org/Display.cfm?D...
Trad. : JPP