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La démocratie progressiste attaquée en Israël, ou l’inversion du colonialisme
samedi 12 mars 2016 - Neve Gordon
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Des militants anti-colonialistes israéliens manifestent contre la guerre sur la bande de Gaza, à Tel Aviv le 9 juillet 2014 - Photo : AFP

Une série de nouvelles lois draconiennes, de politiques et de réglementations que viennent renforcer des campagnes d’incitation à la haine envers les citoyens palestiniens d’Israël et de plus en plus envers les juifs progressistes conduit très rapidement à une inversion du projet colonial d’Israël.

Si auparavant on pouvait dire qu’Israël colonisait la Cisjordanie, la Bande de Gaza, Jérusalem-Est et les Hauteurs du Golan, aujourd’hui les stratégies de gouvernement mises au point et appliquées par Israël dans ces zones occupées ont également infiltré et colonisé l’état juif dans ses frontières d’avant 1967. De fait, le léviathan colonial se retourne sur lui même.

L’attaque initiale contre le vernis de démocratie progressiste incluait la proposition actuelle du gouvernement d’un nouveau projet de loi obligeant les militants des droits de l’homme dont les associations reçoivent des financements étrangers à porter un badge lorsqu’ils participent à des réunions à la Knesset ou dans d’autres lieux publics. Est venue ensuite la campagne d’incitation à la haine envers l’association de soldats démobilisés Breaking the Silence et d’autres organisations des droits de l’homme, ce qui est maintenant monnaie courante dans le paysage politique.

Puis, un roman sur une histoire d’amour entre une juive et un Palestinien fut exclu du programme d’enseignement secondaire en Israël, de crainte, soi-disant, qu’il n’encourage les mariages mixtes entre juifs et non-juifs. Enfin, le programme d’enseignement d’éducation civique du lycée est actuellement révisé, et certains des concepts fondamentaux qui traitent de la démocratie en sont retirés pour être remplacés par d’autres qui mettent l’accent sur l’histoire et l’identité juives.

Mais il s’avère que ce n’était que le siftah. Le projet de loi proposé « Loyauté dans la culture », qui déclare que l’état subventionnera uniquement l’art non critique du projet sioniste, pourrait venir tout droit de l’Union Soviétique de Staline. Rédigé par la ministre de la culture Miri Regev, le projet définie comme déloyal l’art qui « Conteste le caractère juif et démocratique de l’état d’Israël … soutient la lutte armée ou des actes de terreur contre l’état d’Israël de la part d’un pays ennemi ou d’une organisation terroriste ; commémore la Fête de l’Indépendance comme jour de deuil ; commet un acte de vandalisme ou de dégradation physique qui déshonore le drapeau du pays ou un symbole de l’état. »

Selon le metteur en scène Uri Rosenwaks, qui jusqu’à récemment siégeait comme président du Israeli Documentary Filmmakers Forum, « Les législateurs ont réussi à dépeindre comme traitres les écrivains et artistes qui traitent de questions comme les droits de l’homme, l’occupation et la démocratie. Le paradoxe c’est que Miri Regev et d’autres ministres espèrent que ces mêmes artistes critiqueront les nouvelles lois et réglementations, parce que sévir contre quiconque critique les mesures politiques israéliennes donne du crédit à ces ministres au sein de leur électorat. La critique elle-même est de plus en plus perçue comme illégitime, et c’est ce qu’il a de plus dangereux actuellement. »

Toutefois, cette démarche à l’encontre des artistes est comparable à la haine dirigée contre les citoyens palestiniens d’Israël, et tout particulièrement leurs représentants. Il se passe rarement un jour sans que des hommes/femmes politiques ou commentateurs politiques ne fassent une quelconque observation incitant à la haine de la minorité en Israël qui représente 20 pourcent de la population.

La députée à la Knesset Hanin Zoabi est présentée dans les organes des médias israéliens comme rien de moins que Satan, tandis que ses collègues de la Liste Unifiée sont régulièrement qualifiés de terroristes, de cinquième colonne ou de traitres. Le racisme est si manifeste, effrayant, et éhonté que mes amis palestiniens de Beer-Shiva n’allument plus leur poste de télévision.

En effet, lundi, la Commission Constitutionnelle de la Knesset a donné son accord préliminaire à la « Loi de Suspensive, » qui accorde aux élus (juifs) à la Knesset l’autorité de juger si l’idéologie de leurs collègues (palestiniens) est casher ou pas. Et alors que l’intitulé de la loi utilise le mot suspension, en réalité elle autorise la Knesset à expulser des députés dont le comportement est « inapproprié » ; à savoir, « qui nient le caractère juif et démocratique de l’état d’Israël ; qui font l’apologie du racisme ; et soutiennent la lutte armée d’un état ennemi ou d’une organisation terroriste contre l’état d’Israël. »

Exprimer un soutien quelconque à la résistance palestinienne en Cisjordanie et Gaza sera un motif suffisant pour prononcer une expulsion de la Knesset. Le message est clair : si à une époque l’égalité formelle (par opposition à réelle) était reconnue et présentée comme souhaitable en Israël dans ses frontières d’avant 1967, aujourd’hui l’égalité même formelle n’est plus de mise. L’objectif, comme l’affirme l’éditorial de Ha’aretz, c’est « une Knesset sans Arabes. »

Et qu’en est-il des citoyens palestiniens à l’intérieur d’Israël ?

Je me suis récemment rendu dans un village bédouin Um al-Hiran, qui est voué à être détruit et remplacé par une colonie juive dénommée Hiran. Les habitants d’Um al-Hiram sont, bien sûr, citoyens d’Israël. A quelques kilomètres d’Um al-Hiram, au milieu d’une forêt de la Jewish National Fund,* une trentaine de familles religieuses vivent dans des logements de fortune dans un périmètre clôturé, attendant patiemment que le gouvernement expulse les familles bédouines de leur maison.

Lors d’une visite récente de cette communauté juive improvisée, j’ai vu des maisons éparpillées autour d’une aire de jeux et d’une agréable école maternelle dont le mur extérieur est décoré de peintures gaies. Inutile de dire, que ce cadre bucolique était à la fois perturbant et surréaliste. J’ai trouvé sur le web cette photo des gens qui doivent déposséder les habitants d’Um al-Hiran. Ils sont souriants, heureux ; ce sont des colons de Cisjordanie qui sont revenus en Israël pour coloniser une terre bédouine. Le colon est de retour et importe avec lui la colonisation.

* Le Fonds national juif ou Keren Kayemeth LeIsrael, en hébreu, littéralement : « fonds pour la création d’Israël », est un fonds qui possède et gère plusieurs centaines de milliers d’hectares de terres en Israël. Wikipédia

Neve Gordon est un politologue et historien israélien, il est l’auteur de Israel’s Occupation, et de The Human Right to Dominate (co-écrit avec Nicola Perugini).

7 mars 2016 - Counterpunch - cet article peut être consulté à :
http://www.counterpunch.org/2016/03...
Traduction : Info-Palestine.eu - MJB