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Les dictateurs saoudiens fêtent la nouvelle année par un bain de sang
lundi 4 janvier 2016 - Robert Fisk
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Hollande (à d.) ici reçu par le dictateur saoudien en mai 2015. La fréquentation assidue et éhontée de ces dictateurs moyenâgeux ne lui pose pas de problème, au contraire - Photo : Reuters

Le record en décapitations de l’Arabie Saoudite - 47 en tout, avec le responsable religieux chiite Cheikh Nimr Baqr al-Nimr, et suivi d’une justification coranique pour les exécutions - était digne d’ISIS. Peut-être ce qui était tout simplement le cas... Ce massacre impressionnant sur les terres de la monarchie musulmane et sunnite d’Al-Saud, a clairement pour but de mettre en colère les Iraniens et le monde chiite dans son ensemble, en mettant de l’huile sur le feu d’un conflit sectaire qu’ISIS lui-même s’est tellement activé à favoriser.

La seule chose qui manquait était la vidéo des décapitations - bien que les 158 décapitations du Royaume l’année dernière aient été parfaitement en accord avec les enseignements wahabites de l’État islamique. La formule de Macbeth « le sang appelle le sang » s’applique certainement aux Saoudiens, dont « la guerre contre le terrorisme » justifie maintenant n’importe quelle quantité de sang, sunnite et chiite. Mais combien de fois les anges de Dieu Le Plus Compatissant apparaissent-ils à l’actuel ministre de l’Intérieur saoudien actuel, le Prince héritier Mohamed bin Nayef ?

Cheik Nimr n’était pas n’importe qui. Il a passé des années en tant que chercheur à Téhéran et en Syrie ; il était un dirigeant chiite vénéré pour ses prières du vendredi dans la province orientale saoudienne, un homme resté à l’écart des partis politiques et qui exigeait des élections libres. Il a été régulièrement emprisonné et torturé - selon ses récits - pour s’être opposé au gouvernement sunnite et wahabite des Saoud. Cheik Nimr disait que les mots étaient plus puissants que la violence.

L’affirmation lunatique des Saoud selon quoi il n’y avait rien sectaire dans ce massacre - parce qu’ils ont décapité des sunnites aussi bien que des chiites - appartient à la rhétorique classique d’ISIS.

Après tout, ISIS coupe aussi facilement les têtes des apostats sunnites et des soldats syriens et irakiens sunnites, qu’il abat celles des chiites. Cheik Nimr aurait subi exactement le même traitement de la part des voyous de l’« État Islamique » que celui qu’il a eu de la part des Saoudiens - mais sans la farce du pseudo-procès que Cheik Nimr a dû subir et dont Amnesty International s’est plaint.

Mais ces massacres sont bien plus que le reflet de la haine saoudienne pour un ecclésiastique qui s’est réjoui à la mort de l’ancien ministre de l’Intérieur saoudien - le père de Mohamed bin Nayef’, Nayef Abdul-Aziz al-Saud - avec l’espoir qu’il « sera mangé par les vers et souffrira les supplices de l’enfer dans sa tombe ». L’exécution de Nimr revigorera la rébellion des Houthi au Yémen que les Saoudiens ont envahi et bombardé cette année afin d’essayer d’y détruire le pouvoir chiite. Cette exécution a exaspéré la majorité chiite au royaume sunnite de Bahrain, et les propres responsables religieux de l’Iran ont déjà annoncé que cette décapitation entraînera le renversement de la famille royale saoudienne.

Cette boucherie place également l’Occident devant le plus embarrassant des problèmes : la nécessité permanente de se coucher et de ramper devant les monarques riches et autocratiques du Golfe, tout en exprimant à petite voix leur malaise face au massacre grotesque que les cours saoudiennes ont infligé aux ennemis du Royaume. Si c’était ISIS qui avait coupé des têtes de sunnites et de chiites dans Raqqa - en particulier celle d’un prêtre chiite dérangeant comme Cheik Nimr - nous pourrions être sûrs que Dave Cameron aurait gazouillé son écœurement face à un acte si dégoûtant. Mais l’homme qui a mis en berne le drapeau britannique à la mort du dernier roi de cet état wahabite absurde, emploiera des mots ambigus pour évoquer cette débauche de décapitations.

Toutefois beaucoup de sunnites liés à Al-Quaida ont également perdu leurs têtes - au sens propre - aux mains des bourreaux saoudiens, et la question se posera dans des capitales aux États-Unis et en Europe : les Saoudiens essayent-ils de détruire l’accord nucléaire avec l’Iran en forçant leurs alliés occidentaux à soutenir jusqu’à ces derniers outrages ? Dans le monde obtus dans lequel ils logés et nourris - où le jeune ministre de la Défense qui a envahi le Yémen hait littéralement le ministre de l’Intérieur - les Saoudiens se glorifient toujours d’avoir lancé la coalition « anti-terroriste » de 34 nations en grande partie sunnites, censées former une légion de musulmans opposés à la « terreur ».

Les exécutions étaient certainement la manière saoudienne d’accueillir la nouvelle année - de façon aussi spectaculaire que l’était l’incendie géant à Dubaï qui a réduit en cendres l’un des hôtels les plus prestigieux de l’émirat. En dehors des implications politiques, cependant, il y a également une question évidente à se poser - et dans le monde arabe lui-même - concernant cette dynastie des Saoud qui se reproduit indéfiniment : les dirigeants du Royaume sont-ils devenus fous ?

* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

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3 janvier 2016 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/voices...
Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah