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Depuis des décennies, Israël pratique la politique de rétention des dépouilles mortelles des Palestiniens assassinés
mercredi 18 novembre 2015 - Emily Mulder
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Une foule de Palestiniens accompagne les cinq dépouilles mortelles à leur dernière demeure. Les victimes sont des Palestiniens assassinés suite à de prétendues tentatives d’attaques au couteau à Hébron, le 31 octobre 2015 - Photo : AFP

Vers la fin de la Seconde Intifada, les autorités Israéliennes avaient décidé de mettre un terme à leur politique de rétention des cadavres Palestiniens. Or, ces mêmes autorités refusent aujourd’hui de remettre les morts à leurs familles ; une mesure qui a suscité une controverse chez les responsables israéliens et a conduit à des protestations massives en Cisjordanie occupée.

Durant le mois d’octobre, le nombre total des dépouilles des Palestiniens s’est élevé à 33. Seulement 11 ont pu être remis à leurs familles respectives d’après le Comité National Palestinien pour la Récupération des Corps des Martyrs.

La majorité des détenus ont soit tué ou blessé des militaires et des civils israéliens dans diverses attaques, alors que l’implication réelle des autres dans des attaques au moment de leur mort a été contestée par les Nations Unies et Amnesty International.

La semaine écoulée, lors des funérailles communes de cinq Palestiniens, tous âgés de moins de 18 ans, des milliers de personnes ont pris part au cortège funèbre descendu dans la rue, un rassemblement de personnes endeuillées que la direction israélienne a qualifié d’ « événement nationaliste. »

D’après les médias israéliens, le ministre de la défense, Moshe Yaalon, qui avait pourtant approuvé la semaine dernière le retour des dépouilles chez elles car elles représentaient désormais un « fardeau et non un atout », a déclaré dimanche dernier que l’Autorité Palestinienne n’a pas été en mesure de respecter l’accord conclu avec Israël et qui stipulait l’interdiction des funérailles de masse pour les corps remis aux familles.

Lors d’une réunion du cabinet de sécurité, Yaalon aurait fait part de sa décision de suspendre temporairement l’opération de remise des corps des Palestiniens d’Hébron, et si l’AP manquait à sa promesse d’interdire les funérailles en masse, Israël ne restituera pas les dépouilles restantes et les enterrera en Israël.

L’Autorité Palestinienne se trouve coincée dans la spirale du ressentiment populaire et de ce fait, toute capacité potentielle à réprimer la participation et l’affluence aux funérailles donnerait probablement lieu à des malaises qui existent déjà dans sa coopération avec Israël.

« Les faire souffrir »

Selon Salwa Baker Hammad, porte-parole du Comité National Palestinien pour la Récupération des Corps des Martyrs, les corps des Palestiniens qui sont encore retenus depuis les attaques du mois d’octobre comprennent 10 d’Hébron, 10 de Jérusalem dont quatre mineurs, et un du Naqab (Néguev).

Au cours des années, Salwa a rencontré des dizaines de familles Palestiniennes qui ont fait appel auprès de la cour suprême Israélienne pour tenter de récupérer les dépouilles de leurs proches.

Quelles que soient les véritables motivations politiques qui se cachent derrière la politique de retenir les corps des morts, le seul résultat tangible qu’elle a pu noter est la souffrance des familles.

« J’ai rencontré le père de Bayan al-Esseily, la jeune fille de 17 ans, originaire d’Hébron, avant que sa dépouille ne soit restituée. Une semaine auparavant, il était comme un fou. Il nous a dit ‘’Je veux voir ma fille, je ne peux pas dormir, je ne peux pas manger’’. En somme, ils l’ont fait souffrir. »

Salwa a par ailleurs indiqué que la rétention des corps des victimes porte atteinte aux rites Musulmans et empêche les familles Musulmanes d’accomplir la tradition religieuse relative à l’enterrement et la prière, ce qui pousse les familles endeuillées à transgresser, malgré elles, leurs coutumes religieuses.

Se confiant à Ma’an, Salwa estime que la raison qui a poussé Israël à remettre, jusqu’ici, onze corps est la pression subie sur le plan international comme sur le plan domestique où des communautés Palestiniennes se sont manifestées pour le retour des corps à leurs familles.

Elle a ajouté que le jeune âge des cinq Palestiniens retournés à Hébron la semaine passée a vraisemblablement contribué en faveur de la libération du reste, notamment que deux des dépouilles rendues sont celles d’adolescentes Palestiniennes.

« Toutes les familles pointent l’AP du doigt et estiment qu’elle aurait pu négocier pour obtenir les corps. En fait, les familles des victimes n’ont plus confiance en elle car, n’était-ce la pression que les familles ont elles-mêmes exercé sur l’AP, il n’y aurait eu aucun résultat. »

Et pendant ce temps, les 22 familles restantes attendent toujours les dépouilles de leurs êtres chers et risquent sérieusement de figurer parmi la longue liste des centaines d’autres familles Palestiniennes dont Israël refuse de remettre les corps de leurs proches.

Des dépouilles anonymes

Israël a longtemps eu des « cimetières pour les morts de l’ennemi, » également désignés comme « cimetières des chiffres, » où les Palestiniens morts dans des attaques contre les Israéliens sont retenus dans des tombes anonymes désignées par des chiffres.

Environ 262 corps seraient retenus par Israël. Les 19 corps des Palestiniens enterrés à l’intérieur d’Israël durant et après l’offensive de 2014 contre Gaza ainsi que les 22 autres retenus depuis le mois d’octobre ne sont pas compris dans le nombre global.

D’après un rapport établi conjointement par Hamoked et B’Tselem, les corps des morts Palestiniens ont certes été enterrés dans des cimetières depuis les années 60 mais la pratique de cette politique était assez incohérente durant les premières décennies de son application.

C’est en effet après un attentat à la voiture piégée, perpétré en 1994 contre la colonie Juive de Netzarim dans la Bande de Gaza, qu’Israël a commencé l’application de façon régulière de la mesure de rétention des corps des auteurs des attentats.

L’attaque en question eut lieu juste après le déclenchement de la Première Intifada et ouvrit la voie à une série d’autres attaques du même style, à ce moment-là, les factions politiques Palestiniennes avaient lancé la résistance armée contre l’occupation israélienne durant la Seconde Intifada de 2000 à 2005.

A cette époque, Hamoked et B’Tselem avaient rapporté que le motif principal du changement de la politique en 1994 était la capacité dont dispose Israël de punir les « cerveaux » des attaques puisqu’il était impossible de punir ceux qui exécutaient ces attaques.

En outre, le gouvernement espérait empêcher les funérailles et la vénération sociétale des « terroristes » instigateurs ; une politique qui a l’effet inverse selon les critiques. La possibilité d’utiliser les corps dans des négociations futures avec les groupes politiques Palestiniens était aussi envisageable.

En 2004, et pour des raisons non indiquées, la politique a été inversée. L’état remettait les corps aux familles à condition que l’identification scientifique soit faite, il s’agit de manière générale de tests ADN qui sont à la charge des familles, souligne Hamoked.

Au milieu des appels que lancent actuellement Hamoked et d’autres groupes, exhortant Israël de retourner les corps à leurs familles, plusieurs cas ont, au fil des années, mis à nu l’échec d’Israël dans le traitement des corps retenus.

En effet, Hamoked a noté l’an dernier des lacunes et des insuffisances du centre de la sécurité israélienne dans le traitement des dépouilles des Palestiniens, ce qui a mené à la nomination d’une commission spéciale pour cette question qui n’a toujours pas été résolue. Dans un appel devant le tribunal, le groupe a dénoncé Israël pour son échec à fournir un minimum d’effort pour assurer une identification correcte des personnes assassinées, pour marquer leurs tombes ou alors pour les enterrer en respectant la religion de chacun, tout cela constitue une violation du droit international.

Politique ou jeu de pouvoir ?

D’après Dalia Kerstein, responsable de l’organisme de contrôle israélien Hamoked, le recours à la politique de rétention des corps des Palestiniens n’a jamais atteint le niveau actuel, à savoir celui des Palestiniens qui ont mené des attaques durant le mois d’octobre, que ce soit avant, pendant ou après la Seconde Intifada.

La décision a d’abord été une initiative du Ministre de la Sécurité Publique Gilad Erdan puis a été approuvée par le Premier Ministre Netanyahu, ainsi que d’autres mesures punitives mises en place avec la façon la plus frénétique qui soit contre les Palestiniens, notamment avec la recrudescence des attaques contre les Israéliens durant le mois d’octobre.

Erdan a proposé de ne pas remettre les corps des « terroristes » à leurs familles et de les enterrer dans des cimetières à l’intérieur d’Israël.

Salwa et Kerstein ont soulevé la question de savoir si ces corps seront utilisés dans des négociations futures entre Israël et l’Autorité Palestinienne car pas plus tard que l’été dernier, Israël avait tenté de négocier la récupération des corps des deux soldats Israéliens retenus par le Hamas en échange de dépouilles de Palestiniens civils et de plusieurs membres du Hamas qui ont été détenus dans la Bande de Gaza.

Le Hamas détient toujours les soldats Hadar Goldin et Oron Shaul et leurs familles ont affiché leur mécontentement quant à la décision du gouvernement israélien de suspendre le processus de retour des corps des Palestiniens à leurs familles tant que le Hamas refuse de remettre leurs enfants.

En outre, Salwa et Kerstein ont souligné que l’intérêt national d’Israël d’interdire l’accès aux corps des morts Palestiniens a, dans le passé, permis à l’état de dissimuler les cas qui risquent de révéler des actes criminels commis par les forces israéliennes et qui ont conduit au décès de l’individu.

La tendance pratiquée par Israël durant la Seconde Intifada est en train de se reproduire à la lumière de l’augmentation du nombre des attaques individuelles Palestiniennes contre des militaires et des civils Israéliens, souligne Kerstein.

« C’est la même politique… Je ne dirais pas que c’est une politique, c’est en fait un jeu. Dans une politique, nous pouvons penser qu’il y a quelqu’un qui réfléchit, qui effectue des recherches, qui aboutit à une conclusion, mais ce que nous voyons là, c’est qu’ils sont en train de jouer à un jeu, » confie Kerstein à Ma’an.

Et pour les familles Palestiniennes dont les enfants tués en octobre ou bien les centaines avant cette date, le jeu israélien qui consiste à ne pas leur rendre les dépouilles des leurs ne fait que retarder l’acceptation de l’idée de la mort des êtres qui leur sont chers.

Dans une société habituée à la détention arbitraire continue, grâce à un système juridique qui est aux yeux des groupes défenseurs des droits de l’homme incompétent dans l’application d’un processus officiel pour les Palestiniens, les familles rejettent souvent l’idée que leurs proches soient réellement tués et pensent qu’ils sont enfermés dans les prisons israéliennes. Seule la réception de leurs dépouilles peut les soulager.

En attendant, retenir les corps des Palestiniens équivaut à une forme de punition collective qu’Israël inflige aux familles qui n’ont aucune main dans les crimes commis, estime Hamoked.

Interrogée sur l’influence politique que pourrait utiliser l’Autorité Palestinienne en vue de la récupération des corps, Kerstein a répondu que ces derniers sont généralement libérés lorsqu’Israël veut faire un geste pour « calmer l’Autorité Palestinienne ou bien la population. »

« Les demandes provenant de la partie Palestinienne sont utiles, sauf qu’Israël n’en veut pas, il est donc hors de question. Israël veut clamer ’nous sommes les plus forts et nous voulons que tout le monde comprenne que nous sommes les plus forts’. C’est un jeu de pouvoir. »

4 novembre 2015 – Maan News – Vous pouvez consulter cet article en anglais à :
http://www.maannews.com/Content.asp...
Traduction : Info-palestine.eu - Niha