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Pour réprimer la campagne BDS, la France de Hollande et Valls fait mieux qu’Israël !
lundi 9 novembre 2015 - Ali Abunimah
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Flics de Hollande et Valls en plein action pour réprimer une manifestation de soutien à la Palestine - Photo : Flickr

La décision de la Cour de cassation ajoute à l’inquiétude déjà grande que suscitent les graves violations de la liberté d’expression soutenues par le président français François Hollande, depuis l’assassinat des journalistes dans les bureaux du magazine Charlie Hebdo en janvier.

Elle fait aussi de la France,le seul pays, avec Israël, à pénaliser les appels à ne pas acheter de produits israéliens.

Mais la loi française, qui comprend des sanctions pénales, est plus sévère que celle d’Israël qui permet de poursuivre les partisans du boycott pour préjudice financier, mais pas de les emprisonner.

« Une triste journée »

« Cette décision est une mauvaise nouvelle pour le respect de la liberté d’expression dans notre pays », a déclaré la Ligue des Droits de l’Homme, le groupe français de défense des droits humains qui a cent ans d’existence. « Cela révèle une volonté de museler toute critique de la politique des gouvernements d’Israël et toute opposition aux graves violations des droits humains dont ils se rendent coupables. »

(Mais il faut noter que la Ligue des Droits de l’Homme a elle-même porté plainte contre deux militants BDS de Montpelier pour un post prétendument antisémite sur Facebook durant la guerre d’Israël contre Gaza de l’été 2014 -. un geste tout à fait incompatible avec son engagement déclaré en faveur de la liberté d’expression).

Le porte-parole de la Campagne BDS France a dit que la décision du tribunal faisait de cette journée, « une bien triste journée » pour la démocratie française puisqu’un appel à boycotter un état criminel qui viole les droits humains n’était plus considéré comme quelque chose qui va de soi », et que le gouvernement pouvait « fausser l’esprit de la loi chaque fois qu’elle dérangeait un allié politique. »

Le CRIF, le principal lobby pro-israélien de France, s’est félicité de la décision.

Les groupes français anti-palestiniens ont activement soutenu la répression judiciaire - sous couvert de lutte contre l’antisémitisme - en espérant qu’elle mettrait un terme à la campagne de Boycott, de Désinvestissement et de Sanctions (BDS).

La criminalisation de la protestation pacifique

En 2009 et 2010, une douzaine de militants du BDS, arborant des T-shirts exhortant au boycott des produits israéliens, sont entrés dans des supermarchés dans la ville de Mulhouse, à l’est de la France, et ils ont scandé des slogans et distribué des tracts.

Leur but, comme BDS France l’explique, était « d’informer les clients sur les problèmes éthiques liés à l’achat de marchandises en provenance d’Israël », notamment le fait que leur production « est partie intégrante de la situation d’apartheid imposée au peuple palestinien, de la dépossession de ses terres [et] du rejet du droit au retour des réfugiés. »

Mais en 2010, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, a donné la consigne aux procureurs de poursuivre les militants du BDS dans tout le pays.

En décembre 2011, les militants de Mulhouse ont été acquittés des accusations portées par les procureurs locaux, mais en 2013 une cour d’appel les a reconnus coupables en vertu d’une loi de 1972 qui permet de condamner jusqu’à un an de prison ainsi qu’à de lourdes amendes toute personne qui « incite à la discrimination, la haine ou la violence contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion particulière ».

Les militants ont été condamnés aux dépens, à des amendes et à des dommages et intérêts pour un montant total de 32 000 euros.

La Cour de cassation a confirmé la condamnation de 2013.

« La nation israélienne »

Les militants ont été reconnus coupables de discours appelant à la « discrimination » contre des producteurs et des fournisseurs en raison de leur appartenance à la « nation israélienne ».

Ironie suprême dont les juges français n’ont apparemment pas conscience, la haute cour d’Israël elle-même a rejeté en 2013 l’existence d’une nation « israélienne ».

Israël ne reconnaît que la nationalité juive ainsi que d’autres catégories ethniques et sectorielles auxquelles il attribue ou refuse arbitrairement la citoyenneté.

Le magistrat français, Ghislain Poissonnier, décrit le contexte et fait l’analyse juridique de l’affaire de Mulhouse dans un article publié par l’AURDIP, un organe regroupant des universitaires qui défendent les droits des Palestiniens.

Il écrit que la loi de 1972, un amendement à la loi française sur la presse de 1881, avait pour but de lutter contre la « discrimination à l’encontre des personnes physiques et n’avait en aucun cas pour objet d’interdire les appels pacifiques à boycotter les produits d’un Etat dont la politique [est] critiquée ».

Poissonnier ajoute que la Cour de cassation a violé des principes établis du droit français et européen, et que sa décision est d’autant plus contestable que les appels au boycott des produits d’autres états accusés de violer les droits de l’homme se sont multipliés ces dernières années.

Les juges, dit-il, n’ont pas tenu compte de faits essentiels : les actions dans les supermarchés étaient totalement pacifiques et les gérants de magasins n’ont pas porté plainte ; il n’y a pas eu d’atteinte à la liberté du commerce ; l’objectif des militants était de promouvoir le respect du droit international ; et les produits israéliens portent souvent des étiquettes frauduleuses pour cacher qu’ils viennent de colonies qui sont illégales en vertu du droit international. Les militants - et la campagne BDS en France - se sont, d’ailleurs, publiquement engagés contre toutes les formes de discrimination raciale et religieuse, y compris l’antisémitisme.

Autre ironie, le gouvernement français appuie, en ce moment, de toutes ses forces la mise en place de nouvelles règles à l’échelle européenne obligeant les produits des colonies à être clairement étiquetés pour que les consommateurs puissent les boycotter.

L’abolition de la liberté d’expression

Le journaliste et militant de la liberté d’expression, Glenn Greenwald, a dénoncé avec virulence l’hypocrisie de la liberté d’expression à la française depuis la marche de Paris, suite au massacre de Charlie Hebdo, « menée par des dizaines de dirigeants du monde entier, dont beaucoup emprisonnent ou même tuent les gens qui expriment des opinions qui ne leur plaisent pas ».

Dans un article de l’Intercept, Greenwald dit que l ’« absurdité que la France se félicite de sa liberté d’expression » est clairement mise en lumière par la condamnation des militants de BDS.

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Le leader de l’AP Mahmoud Abbas a rejoint les dirigeants du monde à Paris le 11 janvier pour marcher en faveur de la liberté d’expression, y compris le droit des caricaturistes français de représenter le prophète Mahomet d’une manière bestiale - Photo : Reuters/Philippe Wojazer

« Il faut bien se rendre compte à quel point tout cela est pernicieux. Il est parfaitement légal de préconiser des sanctions contre l’Iran, ou la Russie, ou le Soudan ou à peu près n’importe quel pays », remarque Greenwald. « Mais il est illégal - criminel - de préconiser des boycotts et des sanctions contre un seul pays : Israël ».

Il note que les dirigeants des groupes anti-palestiniens en Europe veulent que la répression française serve de modèle à d’autres pays, un objectif partagé par le puissant lobby américain pro-Israël, l’AIPAC.

Le gouvernement canadien conservateur sortant du premier ministre Stephen Harper a déjà menacé de recourir à des lois contre les discours de haine pour cibler les militants BDS.

Compte tenu de son propre bilan d’attaques contre les militants BDS et de la cour qu’il fait à Israël ces derniers temps, il y a peu de raisons d’espérer que Justin Trudeau, le premier ministre entrant, issu du parti libéral, se montre moins intolérant.

Quant à la France, même le think tank Freedom House financé par le Département d’Etat américain exprime son inquiétude devant les restrictions croissantes de la liberté d’expression.

Dans son dernier rapport annuel sur la liberté de l’Internet, la place de la France se dégrade sérieusement. Freedom House affirme que le gouvernement et la police sont passés en « surmultipliée » depuis la tuerie de Charlie Hebdo, qu’ils traduisent les gens en justice pour des choses qu’ils ont dites en ligne et qu’ils passent des décrets donnant aux ministres le pouvoir de bloquer des sites Web.

De telles mesures, affirme Freedom House, « menacent la liberté d’Internet dans le pays ».

L’un des cas cité par le rapport est celui du lycéen arrêté pour avoir publié une caricature ironique sur Facebook.

Le récent documentaire « Je ne suis pas Charlie » de James Kleinfeld suit le journaliste Max Blumenthal dans son tour de France. Le film, qu’on peut voir en ligne, se penche sur l’ambiance de racisme et d’oppression qui y règne depuis la tuerie de Charlie Hebdo.

Invaincus

Ghislain Poissonnier déplore qu’avec la décision de la Cour de cassation, « notre pays soit devenu le seul au monde - avec Israël - à pénaliser les appels civiques à ne pas acheter de produits israéliens ».

Il espère que les militants fassent appel de leurs condamnations devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Elle est, selon lui, « traditionnellement plus protectrice de la liberté d’expression » que la justice française et donc « il y a des raisons d’espérer pour tous ceux qui ont été choqués par une décision qui laisse la France totalement isolée."

BDS France exige qu’il soit mis un terme aux poursuites des militants au titre du décret Alliot-Marie de 2010 et réaffirme son soutien aux personnes condamnées pour de simples paroles.

La répression gouvernementale ne réussira pas à soumettre BDS France qui « appelle tous les hommes, en France et partout dans le monde, à appliquer la décision du peuple palestinien : promouvoir la campagne de Boycott, de Désinvestissement et de Sanctions contre l’état d’Israël jusqu’à ce qu’il respecte le droit international et les principes universels des droits de l’homme ».

« Promouvoir le BDS est non seulement le droit mais le devoir moral de tout citoyen qui a une conscience et qui défend les droits et la dignité des peuples ».

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* Ali Abunimah est un journaliste palestino-américain, auteur de The Battle for Justice in Palestine. Il a contribué à The Goldstone Report : The Legacy of the Landmark Investigation of the Gaza Conflict. Il est le cofondateur de la publication en ligne The Electronic Intifada et consultant politique auprès de Al-Shabaka.

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4 novembre 2015 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
https://electronicintifada.net/blog...
Traduction : Info-Palestine.eu - Dominique Muselet