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Les Palestiniens en panne de direction politique
jeudi 3 septembre 2015 - Ramzy Baroud
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Manifestation à Nabi Saleh, en Cisjordanie sous occupation

Abbas a sans doute fait plus de dommages à la crédibilité de la direction palestinienne que tout autre chef de file dans le passé, mais il est aussi un sous-produit d’un processus de fraude politique qui a commencé beaucoup plus tôt que le moment où sa présidence a expiré.

La démission surprise d’Abbas le 27 août - accompagnée de celles de quelques autres - du Comité exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine, et son appel à une session d’urgence du Conseil national palestinien (CNP) sont deux preuves de sa mauvaise gestion. De plus, il expose ainsi son mépris du minimum de sens des responsabilités qui sied à un dirigeant politique.

Abbas, comme son prédécesseur Yasser Arafat, a utilisé et manipulé l’OLP et ses différentes - quasi-défuntes - institutions, comme si c’était son terrain de jeu politique privé : sommant les membres du PNC de voter sur un ordre du jour décidé et adopté d’avance, puis redistribuant les rôles au sein du Comité exécutif de l’OLP selon un système de punitions et récompenses.

Âgé aujourd’hui de 80 ans, Abbas est évidemment préoccupé par ce qu’il va laisser derrière lui, le sort de l’OLP et de son Autorité palestinienne (AP), une fois qu’il aura passé la main. Quelles que soient les manœuvres politiques qu’il a prévues pour l’avenir (y compris la désignation des nouveaux membres du Comité exécutif qui sera supervisé par lui et par ses acolytes), ce n’est rien d’encourageant. Après l’accord d’unité signé par Abbas et le Fatah avec le mouvement Hamas, la restructuration de l’OLP pour inclure en priorité à la fois le Hamas et le Djihad islamique dans un corps palestinien fédérateur et relativement représentatif, était une priorité absolue.

Eh bien, il n’en est plus question. Le Hamas est rendu furieux par l’appel d’Abbas à la convocation d’un nouveau PNC, une session de deux jours qui doit se tenir le mois prochain à Ramallah, en Cisjordanie. Le siège du mouvement Hamas à Gaza appelle à présent les organisations palestiniennes à ne pas y participer. Dans tous les cas, un approfondissement de la désunion palestinienne est assurée.

Maintenant que toute perspective d’unité s’éloigne, le Hamas cherche ses propres alternatives pour briser le siège de Gaza en menant ce qui est décrit comme des « pourparlers indirects » avec Israël, via le sinistrement connu ancien Premier ministre britannique, Tony Blair. Ce dernier aurait rencontré le chef du Hamas, Khaled Mechaal, à plus d’une occasion. Les discussions ont porté sur un cessez-le à long terme entre le Hamas et Israël en échange d’un accès par la mer grâce auquel les Palestiniens de Gaza pourraient jouir d’un certain degré de liberté en contournant le siège et les restrictions israéliennes et égyptiennes.

Inutile de dire que si les informations concernant le rôle de Blair dans les négociations indirectes et les intentions du Hamas sont exactes, ce serait en effet une grande folie. D’une part, le bilan pro-Israël de Blair le disqualifie du moindre rôle dans toute médiation honnête. D’autre part, choisir entre la résistance ou une trêve n’est pas une décision politique devant être prise par une seule organisation, quel que soit le niveau des sacrifices endurés où le degré de confiance que l’on puisse accorder à ses intentions.

Rappelons en passant que Abbas n’est pas en position de critiquer le Hamas pour ses entretiens avec Blair. Il est particulièrement hypocrite que Abbas et son parti puissent accuser le Hamas de bafouer l’unité et le consensus palestiniens, alors que les deux - Abbas et le Fatah - ont contribué à l’abaissement politique de la Palestine plus que tout autre dirigeant ou toute autre faction dans le passé. En fait, alors que la bande de Gaza a survécu et a terriblement souffert sous un siège interminable et les successives guerres israéliennes, Abbas a géré son Autorité à Ramallah avec le plein consentement de l’occupant israélien. La ainsi-nommée « coordination de sécurité », principalement destinée à écraser la résistance palestinienne en Cisjordanie, s’est poursuivie sans discontinuer.

C’est la raison pour laquelle le commentateur politique israélien Raviv Drucker, a écrit dans Haaretz dans un article qui critiquait le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour ne pas savoir apprécier la valeur de Abbas :

« Nos plus grands génies en haute technologie travaillant dans les laboratoires les plus sophistiqués ne pouvaient pas inventer un partenaire palestinien plus complaisant. Un leader sans personne à sa gauche dans l’arène politique palestinienne et qui, lorsque son ennemi, Israël, bombarde son peuple à Gaza, publie une déclaration critiquant ceux qui capturent des soldats israéliens. »

Abbas a montré peu de compassion pour Gaza. Il n’a montré aucun respect pour le peuple palestinien et n’a rien fait pour que l’unité palestinienne soit sa priorité. Il s’active au contraire à réunir le PNC, convoquant ses près de 700 membres non pas pour discuter de l’intensification de la crise palestinienne intensification, ou de Gaza, de Jérusalem ou Yarmouk, mais pour concocter de nouvelles combines pour lui et ses copains.

Pourtant, cette crise du leadership palestinien a précèdé Abbas.

La première réunion du PNC a eu lieu à Jérusalem en 1964. Depuis lors, et depuis des années, malgré de nombreux défauts celui-ci a rempli un rôle important. Il était une plate-forme pour le dialogue politique palestinien et, au fil des ans, il a contribué à définir l’identité nationale et les priorités palestiniennes. Mais progressivement, en commençant à l’élection d’Arafat à la tête de l’OLP en février 1969, le PNC a cessé d’être un Parlement et est devenu pour l’essentiel un vulgaire tampon servant à valider toutes les décisions prises par l’OLP d’Arafat et en particulier sa faction du Fatah.

Cela a été souligné à plusieurs reprises tout au long de l’histoire par des exemples frappants :

Le 12 novembre 1988, le PNC a été convoqué à Alger pour approuver une stratégie politique fondée sur les résolutions 242 et 338 des Nations Unies, la condition habituelle des États-Unis pour engager des discussions avec l’OLP. À la fin de la délibération et, sur la base de cette approbation, Arafat a annoncé un État palestinien indépendant, établi dans les Territoires occupés avec Jérusalem-Est comme capitale.

Malgré cela, les Etats-Unis ont toujours soutenu que la déclaration du PNC ne correspondait pas à une acceptation « inconditionnelle » de la Résolution 242, faisant ainsi pression sur Arafat pour encore plus de concessions. Arafat s’est rendu à Genève et s’est adressé devant l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 1988, les Etats-Unis lui ayant refusé un visa d’entrée pour qu’il vienne s’exprimer au siège des Nations Unies à New York. Il s’est alors efforcé d’être encore plus précis.

Toutefois, les États-Unis ont maintenu leur position, obligeant Arafat le lendemain à réitérer les mêmes déclarations, mais cette fois-ci en renonçant explicitement à « toutes les formes de terrorisme, y compris individuelle, de groupe ou de terrorisme d’Etat. »

Ce ne fut pas la seule occasion où le PNC et ses membres respectés se sont retrouvés impliqués dans les paris politiques des dirigeants palestiniens. En 1991, ils ont voté en faveur de négociations directes à Madrid entre Palestiniens et Israël, pour ensuite être bernés par Arafat qui a négocié à Oslo un accord secret qui accordait peu d’attention au consensus en Palestine.

Le PNC a été une fois de plus convoqué à Gaza en 1996 pour décider d’effacer des éléments de la Charte palestinienne jugés inacceptables par Netanyahu et le président américain d’alors, Bill Clinton. Alors que les membres du PNC avaient voté, Clinton, présent à la réunion, s’est ostensiblement réjouit.

Mais contrairement à l’utilisation abusive par Arafat de la démocratie et sa manipulation du PNC - qui n’est plus représentatif et, dans sa composition actuelle, franchement pas pertinent - le jeu d’Abbas est encore plus dangereux.

Arafat s’est servi du Conseil pour ratifier ou propulser son propre agenda, qu’il jugeait à tort approprié aux intérêts palestiniens. L’ordre du jour de Abbas, cependant, est tout à fait personnel, entièrement élitiste et totalement corrompu. Pire, cela se produit à un moment où l’unité palestinienne n’est pas une simple question d’intelligence stratégique, un élément mais essentiel face à l’effondrement hélas possible de l’ensemble du projet national palestinien.

Il ne fait aucun doute que le moment où Abbas va quitter la scène est arrivé. Cela pourrait n’être qu’une transition avec l’héritage déplorable d’une direction palestinienne antidémocratique, mais cela pourrait être aussi l’occasion pour les Palestiniens de se débarrasser de la corruption, du tribalisme politique et de l’incompétence, pour surmonter la déroute morale de l’Autorité palestinienne et la mascarade de la « démocratie » self-service au profit des copains.

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* Ramzy Baroud est titulaire d’un doctorat à l’université d’Exeter, et journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net

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1e septembre 2015 - The Palestine Chronicle - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.palestinechronicle.com/p...
Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah