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Comment rendre présentable une bande criminelle ?
mercredi 17 juin 2015 - Robert Fisk
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Combattants d’Al-Nusrah, armés et financés par les pays du Golfe et l’Occident, et soutenus par Israël - Photo : The Independent

C’est une combine évidente. Au moment même où les Américains se cassent la tête pour trouver quelque chose de raisonnable à dire au sujet de leur politique inexistante au Moyen-Orient, arrive sur la scène le Front Al-Nusra - les coupeurs de tête et les assassins sectaires d’Al-Quaida - pour suggérer qu’ils sont justement les « modérés » que cherche Washington pour combattre le régime d’Assad en Syrie. Le mot vient du patron lui-même. Les possibilités d’une attaque de l’Occident par Al-Nusra ? N’y pensez pas. Un ennemi des Chrétiens, des Alawites et d’autres minorités en Syrie ? Tout cela passe aux oubliettes. Les minorités de la Syrie peuvent venir « sous la protection de l’Islam ». Et Al-Nusra pense que « l’État Islamique/Califat Islamique/ISIS/Isil/Daesh » est « illégitime ».

Nous avons appris cela de la bouche d’Abu Mohammed al-Golani, le patron noir-encapuchonné de la milice islamiste qui concurrence ses copains « illégitimes » d’ISIS dans la bataille contre les « infidèles » en Syrie. A peine Al-Nusra a-t-il pris Idlib, Jisr Al-Shughour et Ariha à l’armée syrienne, qu’ISIS se saisit de Palmyre. Concurrence en effet. Mais Al-Golani est clairement notre homme. Le « Califat » est « illégitime » parce que les « savants [en religion] » l’ont rejeté. ISIS a tué 700 membres d’Al-Nusra. Ils devraient « se repentir et retourner au peuple sunnite » (l’expression suggère qu’Al-Nusra est juste comme il a toujours été).

La campagne promotionnelle a commencé le mois dernier sur Al-Jazeera, qui s’avère justement être financé par le Qatar. Et une grande partie de la « résistance » au régime d’Assad en Syrie s’avère comme de juste, naturellement, financée par des Qataris. Juste autant que les armes de la milice s’avèrent justement être payées par le Qatar... On a même suggéré - oh combien les théoriciens de la conspiration au Moyen-Orient peuvent être sévères - que le Qatar veut voir installé un régime post-Assad qui soit un ennemi du Hezbollah et un protecteur potentiel d’Israël. Il n’y a aucun meilleur ami de l’Amérique, évidemment.

A l’extérieur de Damas, vous pouvez encore voir le palais à moitié construit du père de l’actuel Émir du Qatar - remontant aux jours où lui et la famille d’Assad étaient des amis - et il est étrange qu’il y ait environ 18 mois, le Qatar a versé des millions pour la libération de 14 nonnes chrétiennes tenues en otage par Al-Nusra dans la ville partiellement chrétienne de Yabroud au nord de Damas. Les bonnes - et extrêmement chères nonnes - ont remercié Al-Nusra pour leur bon traitement et plus tard remercié le Président Bashar al-Assad pour leur libération.

Après la libération des nonnes, les soldats de Bashar pouvaient reprendre Yabroud des mains d’Al-Nusra sans tirer un seul coup de feu. Il y avait même des bruits selon quoi le Qatar pourrait trouver un rôle pour la famille d’Assad dans la « nouvelle » Syrie - et reconstruire même tout le pays, faisant du minuscule, et serti d’or, État du Qatar le propriétaire d’un territoire qui s’étendrait de la frontière jordanienne à la Turquie.

Alors l’Émir actuel pourrait terminer la construction du palais de son papa, dicter les termes de la prochaine paix au Moyen-Orient et expulser l’Arabie saoudite de son rôle de faiseur de roi arabe régional. Ce serait un empire à une échelle bien plus grande qu’Al-Jazeera.

Et c’est un pari beaucoup plus sûr que la Coupe du Monde de foot. Mais ne riez pas, cher lecteur. C’est ainsi que flottent les rêves au Moyen-Orient. Et écoutez juste ce que dit le bon M. Golani - qui a donné son entrevue à l’interviewer Ahmed Mansour, apparemment en Syrie du nord - au sujet de ses ambitions en Syrie. « Notre mission, » dit-il, « est la chute du régime, de ses symboles et de ses alliés, comme le Hezbollah. »

Ce qui est résume les objectifs des Etats-Unis en une seule phrase - à supposer que ceux-ci aient une politique - et l’enjoué M. Golani a même ajouté la remarque tout à fait rassurante qu’il avait reçu une sollicitation du commandement central d’Al-Quaida (à supposer toujours qu’un commandement central existe) de ne pas attaquer l’Occident. Aucune inquiétude donc au sujet de jihadistes renvoyés à Manchester pour faire sauter l’Angleterre ou à Washington pour réduire en poudre le Capitol. Et M. Golani - qui a sagement gardé son visage hors de vue - a même dit que « un nombre restreint d’Américains » étaient membres de ses forces. Du coup il n’y a aucun problème avec la traduction des notices explicatives quand arrivent les premières cargaisons d’armes de la CIA !

Le problème est que les armes de la CIA ont été déversées en Syrie - presque toute par l’intermédiaire de la Turquie - pendant des années et qu’elles ont fini, inévitablement, dans les mains d’ISIS et Al-Nusra, l’Armée « Libre » de la Syrie étant pratiquement inexistante. Les armes tendent à devenir des objets de tractations lorsqu’elles franchissent les frontières et se transforment en or au moment où les « mauvais types » veulent les acheter aux « bons types ». Vous pouvez être sûr que si Washington ne sait pas grand’chose au sujet d’Al-Nusra, ses agents de renseignements sur le terrain sont déjà à tu et à toi avec eux.

Tout ceci procède d’une vue à court terme, naturellement. Les États-Unis ont soutenu le régime d’Assad pendant des années. Hafez était auparavant le Lion de Damas - la « clé de la paix au Moyen-Orient », il me semble me rappeler. Et Bashar était très bien vu dans le rôle du jeune technocrate intelligent qui allait moderniser la Syrie et faire la paix voulu par son père avec Israël. George W Bush l’a tellement aimé qu’il lui a envoyé des prisonniers tirés d’un endroit des États-Unis et expédiés à Damas pour être soumis à des interrogatoires sérieux par les tortionnaires syriens.

Puis sont arrivées les révolutions arabes et les États-Unis ont soutenu l’opposition à Assad - cela semblait une idée lumineuse aussi bien que morale au Département d’État américain - et comme le parti Baath en Syrie en a décidé autrement, les coupeurs de têtes et les égorgeurs jihadistes sont sortis du désert. L’enchaînement est si évident que vous pouvez comprendre pourquoi beaucoup d’arabes sont convaincus qu’ISIS - sans oublier al-Nusra - sont des créatures de l’Amérique. Ne demandez pas, par exemple, pourquoi ISIS ne lève pas un petit doigt pour les Palestiniens - ou pourquoi les combattants blessés d’Al-Nusra sur le Golan reçoivent des soins dans les hôpitaux israéliens.

Les guerres au Moyen-Orient - les vraies et terrifiantes guerres avec le sang et l’horreur, plutôt que des infographies et des couvertures télévisées avec quelques « gouttes » sur des visages des morts - produiront des monceaux de livres et de thèses de doctorat pendant les années à venir. Savoir exactement de quel côté étaient les États-Unis en Syrie sera le thème de bon nombre d’entre elles. En attendant, nous avons les tueurs d’Al-Nusra qui combattent les tueurs d’Assad tout en prétendant que leurs égorgements sont moins douloureux que ceux pratiqués par ISIS. Au moins Al-Nusra ne diffuse pas les bandes vidéo de toutes ses exécutions. C’est une bonne campagne de communication... Et les Américains, d’une certaine manière, sont sûrs de payer les pots cassés.

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* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

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7 juin 2015 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/voices...
Traduction : Info-Palestine.eu - al-Mukhtar