Imaginez qu’un candidat présidentiel américain lance un appel à ses partisans un jour d’élection en faisant la déclaration suivante : « L’Administration républicaine est en danger. Les électeurs Noirs se rendent en masse aux bureaux de vote. Les ONGs libérales les amènent en autobus. »
Même dans un pays où Chris Matthews est une célébrité des médias et Pamela Geller passe pour une intellectuelle, la déclaration ferait scandale et serait la voie assurée pour une mort politique... En Israël, cependant, c’est le contraire qui est vrai.
Dans un message transmis dans une vidéo sur Facebook, le Premier ministre israélien en exercice, Benjamin Netanyahu, a lancé un appel sinistre jouant à plein sur le racisme enraciné dans la société israélienne : « Le gouvernement de droite est en danger. Les électeurs arabes se rendent en masse aux scrutins. Les ONGs de gauche les amènent en autobus. »
Le combat mené par Netanyahu n’était pas exactement contre les arabes. La Liste Commune, qui a réuni divers partis arabes et servi de réplique à de nouvelles lois israéliennes visant à réduire leur représentation à la Knesset, est arrivée en troisième position avec 14 sièges. Bien que ce résultat soit pour le moins impressionnant, il ne constitue pas une menace imminente pour Netanyahu ou le parti travailliste (l’Union sioniste).
Exploiter une menace imaginaire comme tactique pour faire peur est une constante dans la politique israélienne. C’est une méthode qui remonte à avant la création d’Israël en 1948 sur les ruines de la Palestine historique. Mais ce qui rend la dernière déclaration de Netanyahu plus importante qu’à l’accoutumé, c’est que le dirigeant israélien a fait voler en éclats un secret bien-gardé, au moins dans les médias dominants : Israël est un pays raciste. Non seulement Netanyahu a fait appel au racisme pour sauver sa carrière et rester dans la course, mais il a réellement gagné avec une marge substantielle en raison même de cet appel.
En effet, le racisme est la véritable explication de sa victoire électorale « surprise ». Il est maintenant sur la bonne voie pour devenir Premier ministre pour la quatrième fois, puisque son parti du Likud a obtenu 30 des 120 sièges de la Knesset. La supposée « gauche » essentiellement représentée par l’Union sioniste, a emporté 24 sièges bien que son programme politique était pratiquement indiscernable de celui du Likud.
Pour le principal opposant de Netanyahu, Isaac Herzog, les Palestiniens n’existent guère. L’occupation est une question sans aucun intérêt pour lui, comme d’ailleurs pour la plupart des adversaires politiques israéliens. Son programme de politique étrangère est soit identique à Netanyahu, soit en grande partie fait de questions remises à une date ultérieure. Le Herzog au parler si correct, n’a manifesté aucun scrupule à laisser intactes les colonies juives - lesquelles sont au coeur de l’occupation militaire israélienne de la Palestine.
« Qu’importe qui émerge comme Premier ministre à la suite des élections et des inévitables semaines de marchandages et maquignonnages qui entrent dans la formation d’une coalition, » a écrit Michael J Koplow. « La politique étrangère d’Israël sur les grandes questions sera marquée par la constance plutôt que par le changement. »
Bien que Netanyahu se soit voué à s’opposer à tout futur état palestinien - soulevant des inquiétudes parmi ses alliés occidentaux - Herzog s’est lui aussi opposé dans la pratique à un état palestinien contigu et souverain, car un tel état ne pourrait coexister avec des colonies et l’occupation militaire.
Cependant, le gouvernement des États-Unis et les experts des médias n’ont pas paru tracassés par Herzog autant qu’ils ont pu l’être par les diatribes de Netanyahu sur les électeurs arabes prétendument transportés en masse, ou par ses intentions affichées d’empêcher l’existence d’un état palestinien. Si les politiques étrangères des deux dirigeants auraient des résultats identiques, pourquoi l’Administration d’Obama ne s’est-elle pas aussi fortement opposée au programme politique de Herzog qu’aux harangues racistes de Netanyahu ?
Une des raisons est que Netanyahu est sorti du script non écrit qui sert de socle à l’alliance entre Washington et Tel Aviv depuis des décennies, et qui a servi de discours central au soi-disant processus de paix. Selon ce script, on permet à Israël de faire pratiquement tout ce que bon lui semble en Palestine, pourvu qu’il respecte un récit strict et convenu.
Mais dans sa fringale de pouvoir et en cohérence avec son insatiable arrogance, Netanyahu a violé la règle. Pour Washington, une ligne rouge est de plus en plus fréquemment franchie et il lui devient de plus en plus difficile de maintenir des relations spéciales avec Israël, lequel, sous Netanyahu, ne prête aucune attention aux intérêts de politique étrangère des États-Unis...
En dépit des protestations de l’Administration Obama, le discours triomphant de Netanyahu devant le Congrès le 3 mars dernier était peut-être l’épisode politique le plus humiliant pour les États-Unis depuis de nombreuses années.
En fin de compte, cette stratégie a pu produire un retour de flamme. Les singeries de Netanyahu rendent de plus en plus compliqué pour le gouvernement des États-Unis de maintenir un discours - même peu convaincant et en dehors des réalités - concernant le processus de paix, la sécurité israélienne, la démocratie et ainsi de suite, laissant la Maison Blanche face à deux options difficiles : soit suivre la voie d’un Netanyahu obsessionnel et raciste (ce qu’autant de Républicains et Démocrates ont déjà fait) ou s’en écarter.
Grâce à Netanyahu, certains des mythes israéliens les plus fallacieux promus comme des faits par les défenseurs d’Israël, tombent maintenant à plat.
D’abord, Israël ne peut pas être un état juif et démocratique. Il n’existe rien de tel. La démocratie juive est aussi viciée que n’importe quelle démocratie qui favorise l’intérêt d’un quelconque groupe racial ou ethnique aux dépens de tous les autres. L’incohérence intellectuelle collective, insérée dans tout israélien qui imagine que la démocratie peut être trafiquée pour se conformer à des besoins raciaux et ethniques, est complètement inacceptable en tant que norme de la démocratie.
La démocratie est basée sur le pluralisme et l’intégration, non sur l’exclusion raciste et des cris d’alarme au sujet des arabes votant en masse. Le fait que 4,5 millions de Palestiniens n’aient pas le droit de vote dans les zones sous contrôle israélien en dit des tonnes. Le fait que les Palestiniens qui ont voté dans des élections palestiniennes démocratiques en 2006 souffrent encore aujourd’hui sous un blocus imposé en punition de leur choix, est particulièrement dévastateur.
En second lieu, Israël n’est pas un allié américain et il n’y a aucune « relation spéciale ». Le discours de Netanyahu devant le Congrès à propos de l’Iran - au mépris du Président Obama et de la politique étrangère officielle des États-Unis sur le programme nucléaire iranien - a été le dernier clou dans le cercueil de l’argument éculé selon lequel Israël et les États-Unis sont liés par un ensemble clair d’intérêts partagés. L’argument de « la queue qui remue le chien » fait un retour en force, et les Américains doivent comprendre que les élites politiques de leur pays sont déchirées entre les intérêts de leur pays et ceux d’Israël. Rien de ce qui pourrait être affirmé au sujet « des relations spéciales » ne réparera les dommages provoqués par Netanyahu.
Troisièmement, le processus de paix a été une farce dès le début. En réalité, il a été conçu pour être une farce, censée contrôler le conflit mais sans le résoudre. Les Américains étaient arrivés à la conclusion qu’ils ne pourront pas faire pression sur Israël pour un changement de politique, et le processus de paix a ainsi été conçu pour entretenir l’illusion qu’une solution à deux états était encore possible, faisant des États-Unis un médiateurs entre les deux parties.
Il importait peu que le « processus de paix » traîne encore un siècle ou davantage, tant que les deux parties restaient verbalement engagées sur l’idée irréalisable d’une solution à deux états. Tandis que le chef de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, répétait le même discours comme demandé par Washington - en échange d’argent et d’appui politique de la part des États-Unis et de ses alliés occidentaux - Netanyahu a jeté le masque, ne faisant pas que démasquer Israël, mais exposant au grand jour la farce concoctée par les Américains. Sans discours sur les deux états, il n’y a aucun processus de paix, et par conséquent il n’y a aucune stratégie américaine au Moyen-Orient. Ce qui nous mène à la question : qu’en est-il maintenant ?
Quant aux Palestiniens, ils ne sont pas exactement « heureux » que Netanyahu ait gagné, mais certains voient sa victoire comme une étape importante pour en finir avec la plaisanterie vieille de 20 ans du processus de paix. Ils ne sont pas « soulagés » qu’un homme avec un tel bagage raciste et sanglant aille répandre encore plus de terreur et de guerre, mais ils comprennent qu’indépendamment des résultats électoraux, leur douleur durera, comme le siège et l’occupation.
Pour les Palestiniens, il y a peu de choses à apprendre des résultats des élections israéliennes, au contraire des Américains pour lesquels il y a véritablement matière à réflexion.
* Ramzy Baroud est doctorant à l’université d’Exeter, journaliste international directeur du site PalestineChronicle.com et responsable du site d’informations Middle East Eye. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net
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20 mars 2015 - Middle East Eye - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Info-Palestine.eu - Naguib