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La porte de la liberté entre Gaza et les hôpitaux égyptiens
mardi 17 juin 2014 - Nadeen Shaker
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Un homme attend avec ses affaires près de la porte du poste-frontière de Rafah le 23 février 2014 - Photo : AFP-Said Khatib

Essam Hasna, 20 ans, est un patient cancéreux de la bande de Gaza qui était censé commencer son traitement il y a quatre mois. En février il s’est rendu au poste de Rafah, principale porte d’accès à l’Egypte, à la Turquie, à l’Arabie Saoudite et au monde extérieur pour les patients de Gaza. Au contrôle on lui a dit qu’il ne pouvait pas passer en Egypte parce que son frère, Mohammed, qui l’accompagnait dans son voyage, avait été mis en liste noire par les autorités égyptiennes.

En 2008 Mohammed avait été inscrit sur une liste noire des interdits de séjour en Egypte, pour des raisons qui lui sont toujours inconnues, dit-il. Malgré son nom sur la liste, il avait pu voyager en Egypte avec une habilitation des services de renseignement égyptiens jusqu’en juin de l’an dernier, lorsque les manifestations de masse et le coup d’état militaire ont renversé le président égyptien Mohammed Morsi, entraînant des mesures de sécurité renforcées, surtout aux frontières.

Mohammed a dit à al-Akhbar que comme beaucoup d’autres il avait été injustement mis en liste noire et en souffrait. Il ressent que son statut a porté un coup à son frère malade Essam, qui a besoin de soins médicaux au-delà de la frontière, en Egypte, ce genre de traitement n’étant pas disponible à Gaza à cause du siège étouffant imposé par Israël. Avant le mois de juin, Mohammed et Essam avaient pu effectuer quatre voyages médicaux ensemble.

« Je suis disposé à affronter un tribunal pour m’exonérer des accusations à mon encontre » dit-il d’une voix serrée de désespoir.

"Il y a environ un millier de cas médicaux comme celui d’Essam, qui ont un besoin urgent de soins médicaux", dit Iyad al-Bozm, porte-parole du Ministère de l’Intérieur de Gaza, au cours d’une interview téléphonique.

Al-Bozm dénonce le fait que la fermeture des frontières a provoqué une augmentation de décès chez des patients qui se voient refuser un traitement dans les hôpitaux égyptiens. Le poste-frontière de Rafah est considéré comme la seule possibilité de refuge humanitaire pour quelque 1,7 millions de Palestiniens vivant sous le blocus imposé par Israël à la bande de Gaza depuis 2007.

Entre le début de 2014 et la fin du mois de mai, le poste de Rafah n’a été ouvert que 14 jours sur 120, limitant l’accès aux patients médicaux et aux autres voyageurs autorisés – y compris les citoyens étrangers et les détenteurs de visas. La fermeture la plus longue de cette année a duré 50 jours et a pris fin en mars.

Selon un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) publié en mars 2014, 40 patients gazaouis seulement ont pu voyager en Egypte en passant par Rafah, à comparer à plus de 4.000 le même mois de 2013.

La décisions de rouvrir les frontières en mars ferait suite à une allocution du président par interim de l’Egypte, Adly Mansour, s’adressant au Sommet de la Ligue Arabe au Koweit ce même mois, et qui insistait sur la nécessité « d’alléger la détresse des Palestiniens à Gaza ».

Al-Bozm a également exprimé d’autres craintes à propos du manque de coordination entre les autorités égyptiennes et gazaouies. « Les autorités égyptiennes nous aviseront à l’improviste de la réouverture des frontières, sans aucune notification ni coordination préalable. Nous ne pouvons jamais prévoir quand cela va se produire » dit-il. Quand enfin les frontières sont rouvertes, ajoute-t-il, c’est pour quatre jours par mois seulement.

Des frontières qui sont politiques

"Cette fermeture quasi permanente répond au besoin sécuritaire égyptien qui a surgi à cause des mouvements d’individus ayant certaines affiliations politiques et qui passent la frontière entre Gaza et l’Egypte, et inversement" c’est ce qu’explique à al-Akhbar Eman Ragab, chercheur à l’Unité d’Etudes sécuritaires et stratégiques au Centre Al-Ahram d’Etudes Politiques et Stratégiques.

Après que des militants eurent attaqué un posté de l’armée dans le nord du Sinaï, en août 2012, tuant 16 soldats égyptiens, le gouvernement de l’Egypte s’est mis à détruire des centaines de tunnels souterrains entre la Péninsule du Sinaï et Gaza, route-clé pour le trafic de marchandises et – selon les allégations des autorités égyptiennes – le trafic d’armes – destinées à des militants anti-gouvernement dans le Sinaï.

Dès le 21 septembre 2013, cette opération n’avait laissé que 10 tunnels utilisables, sur environ 300 tunnels opérationnels avant juin 2013.

Depuis qu’elle a monté une offensive majeure contre les activistes islamistes dans la Péninsule du Sinaï, opérant pratiquement tous les jours depuis septembre dernier, l’Egypte a accusé le Hamas, issu de l’Association des Frères Musulmans, et les dirigeants de Gaza, de s’ingérer dans ses affaires intérieures, d’être complices des activités terroristes dans la région et d’accorder leur soutien à leurs alliés : Morsi et les Frères Musulmans.

Le Hamas a démenti ces accusations.

En mars dernier le gouvernement égyptien déclarait officiellement le Hamas « organisation terroriste » et interdisait les activités du parti en Egypte, réaffirmant une animosité préexistante entre les deux partis. Dans cette optique le Hamas doit « améliorer son image avec les autorités égyptiennes » lesquelles ont eu des relations incertaines avec le Hamas depuis son arrivée au pouvoir à Gaza, dit Ragab.

Avant toute chose : les droits humains

En réponse à une situation désespérée, les militants et les défenseurs des droits de l’homme ont remué ciel et terre pour attirer l’attention internationale.

Le Palestinien de Gaza Majed Abusalama, journaliste primé défenseur des droits de l’homme, mène une campagne populaire sur Twitter : #OpenRafahBordersNow and #LiftTheBlockade.

Il s’est rendu dans une trentaine de pays, surtout européens, afin de sonner l’alarme sur les dangers d’une fermeture permanente des frontières entre Gaza et l’Egypte. Avec des groupes de solidarité et des militants qui ont rejoint sa cause, il a collecté 13.000 signatures pour une pétition qui a été présentée aux ambassades égyptiennes et à des gouvernements étrangers.

Contrairement à certains militants, il a un plaidoyer viscéral : « Nous demandons à l’Egypte non pas de rouvrir les frontières pour de l’aide – car nous n’avons pas besoin que de l’aide et des convois arrivent. Ce dont nous avons besoin avant tout, c’est de droits humains » dit-il à Al-Akhbar.

Abusalama a démarré la campagne après avoir été expulsé à Gaza en 2012 en raison de son activité militante en Egypte. « La frontière de Rafah c’est la porte de la liberté, par où passent les rêves et la vie pour les patients et les étudiants qui rêvent de mener une vie meilleure » dit-il.

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* Nadeen Shaker est une jeune journaliste, écrivain et blogueuse égyptienne diplômée de l’Université de New York, spécialiste du Moyen-Orient

4 juin 2014 - al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.al-akhbar.com./node/20037
Traduction : Info-Palestine.eu - AMM