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Autrefois, le monde arabe était synonyme de pluralisme
mardi 25 février 2014 - Robert Fisk
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Les chrétiens arabes, comme cette jeune fille copte égyptien exilé en Grèce, ont quitté le Moyen-Orient en grand nombre

Tarif Khalidi est une sorte de grand ours barbu, le genre que vous choisiriez pour jouer le Père Noël, ou peut-être un chef cosaque qui parcourt de long en large la steppe russe, les rênes dans une main, l’épée dans l’autre. Mais Tarif - ou oncle Tarif comme je l’appelle toujours - est un spécialiste de l’islam, le traducteur le plus récent du Coran et l’auteur d’un magnifique livre d’histoires musulmanes au sujet de Jésus. Je suis donc surpris - mais après quelques secondes pas du tout surpris - d’entendre à quel point ce Palestinien de Jérusalem parle en termes positifs de l’Imam Moussa Sadr, le leader chiite du sud du Liban qui a fait plus pour tirer son peuple de la misère que tout que je peux imaginer - jusqu’à ce que le colonel Mouammar Kadhafi le fasse assassiner en Libye en 1978.

« Il a traité les chrétiens du Liban d’une manière extraordinaire », dit Tarif. « Il a ravivé l’intérêt islamique en Jésus et Marie. C’était un artiste extraordinaire. Il a presque embrassé la théologie chrétienne. Il faisait des conférences dans les églises avec la croix à droite derrière lui ». Mais tout en faisant notre chemin entre les religions, je me rends compte de ce qui met en deuil le plus costaud des professeurs - il enseigne à l’ Université américaine de Beyrouth - alors qu’il parle lentement et avec éloquence du quasi exode biblique des chrétiens du Moyen-Orient.

« C’est une tragédie et un coup porté à la fierté de la civilisation arabo-islamique. C’est l’un des développements les plus horribles de ces dernières années. Si la civilisation islamique a queqlue chose à présenter, c’est son histoire de pluralisme et de coexistence. J’ai dit l’autre jour que si le Prix Nobel de la Paix avait existé des centaines d’années auparavant, il aurait été attribué à la civilisation islamique. Mais maintenant, les barbares sont à nos portes, des chrétiens sont tués, des religieuses sont kidnappées » - Tarif se réfère aux religieuses enlevées dans la ville syrienne chrétienne de Maaloula - « et des évêques disparaissent. C’est un coup porté au cœur même de ce qui avait pour nous le plus de valeur ».

Je lui pose une question évidente. Qu’avez-vous ressenti en traduisant le Coran ? La réponse est directe. « Je ressens une grande différence dans la rhétorique et l’éloquence. Certaines parties sont très émouvantes, très poétiques. D’autres parties sont banales, prosaïques, répétitives. Il s’agit d’un texte inégal. » Il fait une pause, puis dit qu ’« il n’y a pas encore eu de véritable critique du Coran. Cela peut arriver, mais ce n’est pas encore le cas. Les chrétiens se livraient à cette critique de la Bible à la fin du 19ème siècle. Nous devons, par exemple, très sérieusement réexaminer ce qui a trait aux relations entre les hommes et les femmes. L’implication de ces éléments n’a pas été pleinement explorée. Le port du voile, par exemple. Vous devez repenser les questions fondamentales des droits de l’homme. Et qu’est-ce que ’révélation’ signifie vraiment ? »

Tarif ne critique pas le Coran et il n’utilise pas le terme de « re-interprétation » - bien que je le fasse et qu’il reconnaisse que c’est ce dont il parle. Les érudits musulmans ont beaucoup souffert de harcèlement dans le passé lorsqu’ils suggéraient qu’il était temps pour les musulmans de réinterpréter leur livre saint. Je suggère - avec une certaine hésitation - que je trouve les musulmans chiites plus prêt à discuter de la signification du Coran que les musulmans sunnites, et Tarif Khalidi est tout à fait d’accord.

« Les religieux chiites reçoivent une éducation beaucoup plus rigoureuse que les clercs sunnites. Ils ont une solide formation dans les sciences théologiques. Ils apprennent la logique aristotélicienne avant le Coran. Je pense que la théologie est beaucoup plus vivante dans la communauté chiite. Les chiites sont plus théologiques, les sunnites sont légalistes. Et les chiites ont leur ’histoire de passion’ avec Hussein et Ali. C’est une invitation à réfléchir sur la nécessité de la justice ».

C’est presque un soulagement de se tourner vers le Moyen-Orient aujourd’hui, bien que la réponse de Tarif soit inattendue. « Je pense que le Moyen-Orient fait partie d’une épidémie plus générale - ça se passe en Ukraine, en Afrique du Nord. Il pourrait être question d’une sorte de contamination qui traverse les sociétés instables. Il est extrêmement difficile de distinguer ce qui, dans chaque cas, va se produire. C’est très triste, le coût en vies humaines est très élevé. Et avez-vous remarqué comment ces dirigeants n’ont pas dit un seul mot sur les victimes parmi leur propre peuple ? Ils parlent de réformes, d’élections, de nouvelle constitution, mais pas un mot sur la souffrance de leur propre peuple. »

« La Syrie a commencé comme une guerre légitime, mais maintenant c’est une sorte de corps à corps, un côté infectant l’autre avec son fanatisme. »

Concernant l’Égypte, Tarif est un peu méchant, surtout envers Mohamed Morsi, le premier président élu de l’Égypte qui pourrait être « présenté comme un clown ». Morsi « était comme un homme qui se sentait parachuté sur un poste dont il avait seulement rêvé. Il avait été dans l’opposition si longtemps, il ne savait pas quoi faire quand il est arrivé au pouvoir. » Tous les Égyptiens, soupçonne Tarif, voudraient être Nasser. Tarif ne nomme pas de noms, mais je peux certainement penser à un officier de l’armée qui veut à tout prix rentrer dans les vêtements de Nasser.

Tarif, dois-je préciser, n’abonde pas dans mon sens lorsque je parle du christianisme qui meurt en Occident. Il parle des Américains dans le Mid-West et des églises qui se remplissent à la venue du Pape Francis. Questionné par un autre journaliste pour savoir s’il a été menacé par des extrémistes, Tarif répond que « personne ne m’a contesté, parce que la plupart de ces fondamentalistes sont analphabètes - ce qui est une bénédiction ».

Pas si analphabètes, cependant, qu’ils n’auraient pas relevé le plus célèbre faux pas dans le Beyrouth de ces dernières années. L’oncle Tarif enseignait à l’Université américaine sur le Coran et l’annonce de son programme disait : « Le Coran, par Tarif al-Khalidi ». Tous les téléphones se sont mis à sonner à la fois, et l’annonce délictueuse a été rapidement enlevée avant que quiconque ait eu le temps de faire remarquer que l’auteur du Coran, c’était Dieu.

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* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.

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23 février 2014 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/voices...
Traduction : Info-Palestine.eu - Al-Mukhtar