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Égypte : une mobilisation étudiante qui ne faiblit pas !
jeudi 13 février 2014 - Safa Joudeh
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9 janvier 2014 - Un étudiant de l’Université Al-Azhar, qui est un partisan des Frères musulmans, lance une pierre lors d’affrontements avec la police anti-émeute et les habitants de la zone, sur le campus de l’université de Nasr City au Caire - Photo : Reuters/Mohamed Abd El Ghany

En gros, les mobilisations étudiantes ont augmenté ces derniers mois en réponse à l’attaque sans précédent contre les revendications pour la défense des droits civils exprimées par les voies traditionnelles de l’activité politique.

Selon l’Association pour la liberté de pensée et d’expression (AFTE ), 692 étudiants des universités à travers l’Égypte sont actuellement détenus suite à une répression largement orientée contre la composante islamiste du mouvement d’opposition, mais également contre les militants étudiants libéraux.

Des dizaines d’étudiants ont été condamnés à des peines de prison allant jusqu’à 17 ans pour des faits liés à des manifestations, sous l’accusation d’appartenance aux Frères musulmans et d’incitation à la violence. Les médias égyptiens ont régulièrement mis en question l’indépendance de l’engagement politique des étudiants, alléguant que la recrudescence des manifestations d’étudiants est une extension de l’activité soutenue des Frères musulmans dans différentes parties du pays.

Un large mouvement étudiant

Avec la neutralisation progressive de l’expression politique dans la rue à la suite des protestations du 30 juin dernier, l’activisme des jeunes est de plus en plus canalisé à travers l’espace relativement indépendant des campus universitaires. Après le coup d’État contre Mohammed Morsi en juillet, a été fondé à Al- Azhar - un bastion des Frères musulmans - le mouvement des Étudiants contre le coup de force (Students Against the Coup, ou SAC) sous la forme d’une coalition dirigée par des islamistes et représentée dans les universités à travers l’Égypte. Le SAC a réussi au cours des quatre derniers mois à consolider une base puissante d’étudiants de diverses tendances opposées au régime actuel, et à travers l’Égypte .

Pendant ce temps, le ministère de l’Intérieur, comme le font les médias, affirme que les manifestations étudiantes sont orchestrées par les Frères musulmans, soit-disant dans le cadre d’ un complot visant à déclencher une vaste confrontation avec les forces de sécurité. Hoda Abdel Aziz, une étudiante sans affiliation politique et inscrite à l’Université du Caire, n’est pas d’accord. « La force de la présence des Frères musulmans dans ces manifestations est le résultat automatique de la persécution des membres de ce mouvement, et cela ne remet pas en cause la diversité du mouvement d’opposition des étudiants, » affirme-t-elle.

Le porte-parole du SAC, Yousef Salhein, a déclaré à Al -Monitor que l’opposition au pouvoir n’est pas une orientation strictement islamiste, notant la persécution croissante et au grand jour des journalistes et des militants démocrates. « Nous avons des représentants dans toutes les universités, y compris celles avec une petite présence islamiste. Nous nous félicitons de l’arrivée de tout étudiant qui est contre le coup d’État et qui soutient la démocratie, indépendamment de son origine politique, » dit-il.

Diverses manifestations d’étudiants attaquées par la police au cours des derniers mois étaient nettement indépendantes. Le meurtre d’un étudiant après la dispersion violente d’une manifestation à l’Université du Caire, le 28 novembre dernier, a déclenché des manifestations regroupant un large éventail de tendances politiques à travers le pays.

Fait à noter, un sit-in à la Faculté de génie de l’Université Zagazig a été organisé par des groupes laïques et indépendants et a pris fin suite à l’arrestation de militants étudiants de gauche et membres du Parti de la Constitution. Abdel Aziz a déclaré à Al -Monitor : « Il y a un consensus sur les questions essentielles : l’indépendance de nos universités, la liberté d’expression et d’association et la résistance face aux mesures policières et étatiques. »

Une marée montante de manifestations

La réponse du gouvernement à la mobilisation des étudiants est typique de la politique conduite en général en Égypte. La loi anti-manifestation qui interdit de fait les rassemblements politiques dans la rue, est mise en parallèle dans les universités avec un décret publié à l’improviste le 21 octobre par le Conseil suprême des universités, un organisme relevant du ministère de l’Enseignement supérieur. Le décret impose de lourdes restrictions sur les manifestations et les rassemblements de nature politique ou partisane dans les universités du pays.

« Alors que la loi sur les manifestations ne s’applique pas aux étudiants qui manifestaient sur ​​le campus, le décret impose l’essentiel de ses éléments de base » », a souligné Mohammad Abdel Salam, un chercheur pour le Programme des libertés et des droits des étudiants des universités à l’AFTE. « Elle interdit les manifestations contre l’armée et la police, contre les institutions de sécurité de l’État en général. »

Un mois plus tard, une décision du Cabinet a permis l’ intervention immédiate et non autorisée des forces de sécurité lors des manifestations sur les campus. Cette décision supprimait une réalisation majeure de l’évolution vers la liberté académique - la mise en œuvre d’une décision de 2009 de la cour administrative interdisant à la police d’entrer sur les campus universitaires. Les dirigeants islamistes et laïques du mouvement étudiant ont rejeté la décision du cabinet, en faisant valoir qu’elle revient à donner à la police un mandat pour réglementer les activités des étudiants.

Le plus grand nombre de manifestations étudiantes ont été organisées sur les campus à travers le gouvernorat du Caire, ce qui représente près de 15% du total, selon le Centre pour le développement international, un organisme de recherche local. L’université de Gizeh a vu 13,6% des manifestations, suivie par celles des gouvernorats d’Alexandrie, du Delta du Nil et de la Haute-Égypte .

Beaucoup de manifestations ont pris fin dans de violents affrontements avec les forces de police qui utilisent régulièrement des gaz lacrymogènes, des balles réelles et des fusils à grenaille pour disperser la foule. L’université d’Alexandrie a vécu le plus récent face à face, le 23 janvier, au cours duquel un étudiant a été tué et au moins cinq autres ont été blessés.

Le porte-parole de l’Université du Caire, Adel Abdel Ghafar, assure que l’intervention de la police est nécessaire pour « assurer le bon ordre du processus académique ». Mais Salhein du mouvement SAC soutient que les autorités ont l’habitude de jouer la carte de la sécurité pour justifier l’usage disproportionné de la force pour réprimer l’agitation étudiante. Selon le chercheur Abdel Salam, la répression systématique contre les manifestations a coûté la vie à sept étudiants depuis le début de l’année universitaire. Et plus de 500 étudiants ont été blessés.

Lors d’un incident, le 16 janvier, les forces de sécurité ont pris d’assaut le campus de l’Université du Caire dans un raid qui s’est soldé par la mort de deux étudiants. Lorsqu’on lui demande pourquoi le président de l’université a choisi de faire appel à des forces du ministère de l’Intérieur, Abdel Ghafar a déclaré à Al -Monitor que l’administration de l’université avait été « forcée de le faire . ... Personne ne veut empêcher les manifestations pacifiques , mais quand elles deviennent violentes - quand les gens attaquent le bureau du doyen et tentent d’interrompre les examens - alors elles ne sont plus pacifiques et doivent être réprimées ».

Les manifestants à l’Université du Caire repoussent les accusations de vandalisme portées contre eux. Des témoins oculaires ont confirmé qu’un rassemblement avait eu lieu à l’extérieur des portes de l’université et que les étudiants ont fui à l’intérieur du campus lorsque les policiers ont commencé à disperser la foule. Abdel Salam estime que l’intervention de la police est dangereuse. « C’est alors que la violence se produit. C’est alors que des affrontements éclatent et que la vie des étudiants est en danger. C’est alors que le processus éducatif est perturbé », a-t-il noté.

Menaces sur la liberté des étudiants et répression de l’opposition

En plus de la menace du recours à une force meurtrière, le plus grand obstacle auquel font face les étudiants, explique Abdel Salam, est un article ajouté à la loi sur les règlements des Universités par le Conseil suprême des universités, le 6 janvier, permettant des enquêtes et mesures disciplinaires sans obligation de les justifier, à l’encontre des étudiants. Il fait valoir que l’expulsion récente d’au moins 200 étudiants d’Al-Azhar, soit-disant pour des actes de violence et de sabotage, est sans fondement et arbitraire, dans le but inavoué d’affaiblir l’activité politique dans le corps étudiant.

« Les décisions du Conseil suprême, » a -t-il noté, « n’ont aucun fondement juridique et restreignent des libertés que la Charte de l’étudiant ne restreint pas, le document du ministère de l’enseignement supérieur approuvant l’organisation d’activités étudiantes. »

Les mouvements d’étudiants en Égypte avaient toujours été l’un des rares fronts d’opposition relativement tolérés. Les universités ont été un foyer de dissidence lorsque le président Anouar el-Sadate a publié la charte des étudiants en 1979, limitant le droit de s’organiser librement dans les universités. Sous Hosni Moubarak, la charte a été modifiée de façon à faciliter l’intervention administrative et répressive dans les affaires étudiantes. Malgré des périodes intermittentes de friction avec l’État, il n’y avait pas de véritable émergence d’un large mouvement étudiant en tant que force politique dans la société égyptienne.

Alors que le ministère de l’Intérieur prétend en permamence qu’il réprime avant tout les partisans du président élu Morsi [renversé par le coup d’État], une source des services de sécurité qui a requis l’anonymat a déclaré à Al -Monitor que finalement, les efforts menés par le gouvernement pour interdire les manifestations d’étudiants vont au-delà de la répression des activités des Frères musulmans. « L’objectif », a-t-il dit, « est de dépolitiser le corps étudiant et d’instiller l’idée que l’engagement politique des étudiants est interdite. »

* Safa Joudeh est une journaliste basée au Caire. Sur Twitter : @SafaJoudeh

29 janvier 2014 - Al-Monitor - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.al-monitor.com/pulse/ori...
Traduction : Info-Palestine - Naguib