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Vies sous occupation : « L’exil était l’unique option »
mercredi 10 juillet 2013 - PCHR Gaza
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Ayman Sharawna, 36 ans, transféré de force vers la Bande de Gaza en mars 2013

Avant sa toute dernière détention, Ayman avait passé 10 ans dans les prisons israéliennes. Il a ensuite été libéré le 18 octobre 2011 aux termes de l’accord d’échange des prisonniers, où 1027 détenus palestiniens avaient été relâchés contre la libération du soldat Israélien Gilad Shalit.

Faisant parti des libérés, Ayman devait respecter les conditions de l’accord, notamment l’interdiction de quitter le district d’Hébron, son lieu de résidence. Il était également appelé à assister à la réunion des services de renseignements israéliens tous les deux mois.

Malgré toutes ces dispositions, Ayman Sharawna a été de nouveau arrêté le 31 janvier 2012, à 2 h du matin, lors d’un assaut lancé par les soldats israéliens sur sa maison. L’arrestation intervenait suite à un soi-disant dossier administratif secret contenant les preuves que Sharawna avait transgressé les termes de son accord de libération.

Le parquet militaire avait alors demandé que Sharawna purge le restant de sa peine initiale, à savoir 28 ans. Face à cette situation, le prisonnier a répondu par une grève de la faim ouverte, entamée le 1er juillet 2012. La grève de la faim a duré 261 jours jusqu’à ce que les autorités israéliennes finissent par convenir de sa libération à condition qu’il mette fin à sa grève de la faim et qu’il élise domicile dans la Bande de Gaza. Cette décision équivaut à un transfert forcé qui viole le droit humanitaire international.

L’ancien prisonnier revient sur les raisons ayant motivé sa grève de la faim : «  La raison principale qui m’a poussée à entamer une grève de la faim est mon arrestation survenue trois mois seulement après ma libération dans le cadre de l’accord d’échange des prisonniers, sans que je ne sois pour autant informé de mon tort ou des chefs d’inculpation portés contre moi. En l’absence d’enquête, je ne savais pas quand on allait me libérer. Les services de renseignements israéliens ont préparé un dossier secret contre moi auquel même mes avocats n’avaient pas accès. Selon eux [les services de renseignements], le caractère confidentiel de mon dossier vise à protéger la ou les personne(s) qui a/ont fourni des informations contre moi. Croyez-moi, être en détention administrative est pire qu’être carrément accusé d’un quelconque crime car vous ne savez même pas de quoi on vous accuse. A ce moment-là, j’ai senti que les autorités israéliennes voulaient me faire exécuter ma précédente peine bien que ma libération entre dans le cadre d’un accord bien établi. Je n’avais plus aucun espoir.  »

Par ailleurs, Sharawna décrit le mauvais traitement infligé dans les prisons israéliennes : « Les autorités pénitentiaires me réservaient les pires des traitements. Ils maltraitent tous les prisonniers Palestiniens, avec un degré de plus pour les grévistes de la faim. Lorsque j’ai entamé ma grève, j’ai été physiquement et psychologiquement maltraité et harcelé. Ils m’insultaient et adoptaient une attitude de froideur et d’indifférence envers moi, mais je savais qu’ils appliquaient les instructions de leurs supérieurs. Souffrant et malade, ils m’ont transféré d’une prison à une autre, et d’un hôpital à un autre. Ensuite, ils m’ont placé à l’isolement cellulaire pendant plusieurs mois. J’étais complètement coupé du monde extérieur. Les seuls visages que je pouvais voir étaient ceux des gardiens et des médecins. Ils ont essayé par tous les moyens de me convaincre de manger ; ils ont même placé la nourriture et l’eau en face de moi pour que je cède. Ils m’ont interdit de m’entretenir avec mes avocats et d’avoir accès à la radio ou à la télévision. Je ne savais plus ce qui se passait à l’extérieur. Enfermé dans une cellule minuscule, je n’avais ni rayons du soleil, ni air pur, ni la possibilité de sortir ou de faire quelques exercices. » Quant aux médecins, Ayman déplore : «  Le traitement des médecins, notamment à l’hôpital Soroka, était le plus impitoyable. Ils n’affichaient aucune compassion ou sympathie à mon encontre. Lorsque je me suis plains des douleurs insupportables aux reins et aux yeux, ils ont juste répondu ‘’si vous mangez, vous vous sentirez mieux, si non, vous continuerez de souffrir.’’ »

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Sharawna a horriblement perdu du poids et a eu de sérieux problèmes de santé suite à sa grève de la faim




Il est tout à fait clair que refuser de se nourrir pendant très longtemps provoque la détérioration de l’état de santé du gréviste de la faim. Actuellement, Ayman se déplace à l’aide d’un déambulateur et explique : « Pendant la période de la grève, j’ai perdu connaissance et je me suis évanoui à plusieurs reprises. Lorsque j’ai été libéré et déporté ici à Gaza, j’avais de sérieux problèmes de vue. En fait, c’est toute ma santé qui fait défaut, comme ma jambe gauche que je ne peux utiliser. J’espère pouvoir subir une intervention chirurgicale à la fin de ce mois pour régler mes problèmes de dos et de jambe, comme ce fut le cas pour mes yeux.  »

Ayman poursuit : « Tout au long de ma grève de la faim, je n’ai pas cessé d’implorer la puissance d’Allah pour qu’Il m’aide à résister. Et c’est ma foi qui m’a soutenu. Avant la grève, je pesais 111 kg. J’avais l’habitude de travailler et de pratiquer le sport pendant 4 ou 5 heures par jour ; c’est ce qui m’a aidé à tenir le coup. Pendant les 61 premiers jours, seule l’eau entrait dans mon ventre. Ensuite, j’ai pris pendant 200 jours 22 comprimés de vitamines ainsi qu’une injection intraveineuse d’une solution saline. Sans cela, j’aurais péri. »

Prendre la décision d’accepter la condition des autorités israéliennes n’était pas facile pour Ayman Sharawna qui précise : « Les autorités israéliennes m’avaient à quatre ou cinq reprises proposé la libération sous réserve d’être déporté vers Gaza. Au début, je ne pensais pas qu’ils parlaient sérieusement. Au mois de mars, lorsqu’ils m’ont reparlé de l’accord, je leur ai dit que je devais d’abord en parler à mon avocat. J’ai beaucoup réfléchi à cette solution. Si je refusais, j’étais sûr que j’allais mourir. Je souffrais aussi bien physiquement que psychologiquement. C’est alors que j’ai décidé de partir à Gaza. Je sais que beaucoup de gens m’ont critiqué en apprenant ma décision, mais ma famille m’a soutenu. Les habitants de Gaza m’ont accueilli à bras ouverts, sachant qu’ils vivent dans de terribles conditions. Je suis content d’être ici et je n’ai pas regretté ma décision. Ici, je me sens plus en sécurité qu’à Hébron, même si tout reste limité. Mon expérience derrière les barreaux israéliens était comme une préparation pour ma vie à Gaza. Certes, être exilé à Gaza était un échec, mais à mes yeux, il demeure moins grave. Je suis contre le principe de l’exil, mais dans les conditions où j’étais, c’était l’unique option qui me restait. Le contraire m’aurait coûté la vie. »

Outre la souffrance physique, Sharawna a terriblement été affecté de sa séparation de sa famille qui d’ailleurs se poursuit jusqu’à ce jour : «  Lorsque j’étais détenu de 2002 à 2011, ma famille avait la possibilité de me rendre visite. Après ma libération en 2011, survenue suite à l’accord d’échange des prisonniers, j’ai quand même pu passer trois mois avec mes enfants. Toutefois, le répit n’a été que de courte durée et j’ai encore une fois été arrêté en 2012. Ma famille fut empêchée de me voir. Pendant 14 mois, je n’ai reçu aucune visite de la part des miens. Aujourd’hui, c’est pareil ; je suis toujours séparé d’eux et il leur est extrêmement difficile d’entrer à Gaza. Depuis ma libération et à ce jour, j’ai vu seulement ma mère qui a eu la chance de venir me voir ici. Tous mes 9 enfants – 5 garçons et 4 filles – sont en Cisjordanie. Le plus jeune de mes enfants a 11 ans et l’aînée, Suheir en a 18. Elle est mariée et mère d’une fille et d’un garçon. Je l’ai à peine vue contrairement à son mari que je n’ai pas encore eu la chance de rencontrer. »

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Sharawna a fêté ses 47 ans le 24 avril 2013. Il a soufflé sa bougie dans un lieu nouveau, loin de sa famille : « C’était la première fois que je voyais Gaza lorsque je suis arrivé au mois de mars dernier. Le décor général est totalement différent de la Cisjordanie. Là-bas, je vivais dans la montagne. Ici, je suis en bord de mer. J’habite dans un appartement loué, alors qu’en Cisjordanie, je possède deux maisons. Je ne connais personne ici. J’ai certes été libéré de la prison mais envoyé dans un lieu qui n’est pas ma maison. Mon village me manque, tout comme les mosquées, les écoles et les collines de Dura. Je plonge dans une tristesse indescriptible lorsque je pense à mes enfants et à ma mère malade. Il est vrai que je leur parle au téléphone, mais rien ne remplace le contact direct, la possibilité de les voir et de les toucher. En voulant obtenir ma libération, je visais essentiellement le retour auprès de ma famille. Bien que je sois actuellement avec ma deuxième famille, la population de Gaza, rien ne peut remplacer ma première famille de Dura. J’espère que je pourrai un jour les faire venir à Gaza pour qu’on vive tous ensemble. »

Pourtant, l’article 49 de la Quatrième Convention de Genève interdit «  Les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la puissance occupante ou dans celui de tout autre État, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif. » Le transfert illégal constitue une grave violation de la Quatrième Convention de Genève.

S’agissant de la libération des prisonniers originaires de la Cisjordanie, à condition qu’ils résident dans la Bande de Gaza, un porte-parole de la Croix-Rouge Internationale a souligné : « Avoir à choisir entre rester en détention ou être libéré vers un endroit différent du lieu de résidence habituel du prisonnier ne peut pas être considéré comme une véritable expression de libre arbitre.  »

La façon avec laquelle Israël continue d’appliquer la procédure de la détention administrative n’est pas conforme avec l’article 16 de la Convention contre la torture. Le PCHR est de plus en plus préoccupé par le maintien en détention des Palestiniens sans inculpation ni procès pendant de longues périodes sans avoir recours aux exigences les plus élémentaires de la procédure judiciaire. Les ordonnances de détention administrative sont généralement basées sur des informations classées inaccessibles aux avocats du détenu. Elles sont émises par les commandants de l’armée israélienne dans le Territoire palestinien occupé, plutôt que par les juges, et peuvent être renouvelées un nombre indéfini de fois.

Refuser au détenu l’accès à son avocat est interdit par l’article 72 de la Convention qui stipule que « Les accusés […] ont le droit d’être assistés par un avocat qualifié de leur choix, qui doit être en mesure de leur rendre visite librement et qui recevra les facilités nécessaires pour préparer sa défense. » De plus, l’imposition d’une interdiction collective sur les visites familiales constitue une nouvelle violation de la Convention, tel qu’indiqué dans l’article 33.


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17 avril 2013 – PCHR Gaza – Vous pouvez consulter l’article en anglais à :

http://www.pchrgaza.org/portal/en/i...
Traduction : Info-Palestine.eu - Niha