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La Turquie retombe dans les filets israéliens
samedi 23 mars 2013 - Ramzy Baroud
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Lors de l’attaque -dans les eaux internationales - du Mavi Marmara, Israël a assassiné 9 citoyens turcs qui étaient à bord, dont un avait aussi la nationalité américaine

Les médias israéliens ont fait référence la semaine dernière à un article dans le journal turc Radikal, à propos de pourparlers secrets entre la Turquie et Israël. Ce dernier pourrait faire des excuses pour son attaque armée en mai 2010 contre la flottille d’aide turque, et en particulier le Mavi Marmara, qui était en route vers la bande de Gaza. L’agression s’était soldée par l’assassinat de 9 militants turcs, dont un citoyen américain.

L’attaque a provoqué une crise sans précédent depuis le renforcement des relations turco-israéliennes à partir de 1984, celles-ci devenant stratégiques en 1996. Mais cette crise n’avait pas commencé avec l’attaque meurtrière contre le Mavi Marmara, ni avec les insultes proférées par Israël à l’égard de la Turquie. Elle était même antérieure aux bombardements israéliens sur Gaza l’hiver 2008-2009.

Selon l’article de Radikal (publié le 20 février et cité par le journal israélien Ha’aretz deux jours plus tard), Israël est prêt à répondre à deux conditions posées par la Turquie en vue d’une reprise de relations complètes : des excuses et une indemnisation aux familles des victimes . « La Turquie a également demandé à Israël de lever le siège », à Gaza, a rapporté Ha’aretz, citant Radikal, mais « elle est prête à renoncer à cette demande ».

Des informations sur des discussions secrètes ne sont pas une nouveauté. Des récits similaires ont fait été de pourparlers à Genève et au Caire. La réconciliation turco-israélienne a, au moins pendant un certain temps, été un point important de l’ordre du jour de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient.

Si on laisse de côté la rhétorique enflammée , les signes d’un dégel sont évidents. Écrivant dans Al-Ahram Weekly daté du 16 janvier, Galal Nassar explique que Tel Aviv a travaillé « de façon fébrile à rafistoler ce qu’elle considérait comme un passage nuageux dans ses relations avec son ami, et peut-être allié stratégique ».

La Turquie a répondu à sa manière, en prenant la décision « de lever son veto à la participation d’Israël à des activités non militaires de l’OTAN » [premier pas vers une intégration israélienne complète dans l’OTAN - NdT].

De nouvelles fuites sur un accord politique ne sont pas tout à ce sujet. Il y a aussi la question de la coopération militaire et économique, qui n’a jamais totalement cessé. FlightGlobal.com rapporte dans son édition du 21 février, que le gouvernement israélien a accepté la livraison de matériel électronique « devant être installé sur les Boeing 737 qui équipent l’armée turque, et servira de système d’alerte et de contrôle. »

Pendant ce temps, un grand conglomérat turc, le groupe Zorlu, « a travaillé ces derniers mois pour convaincre le gouvernement israélien et les partenaires du champ gazier Leviathan, d’accepter des exportations d’énergie vers la Turquie », a rapporté The Marker, repris dans Ha’aretz daté du 14 février .

Et ce n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Si ces informations sont crédibles, même partiellement, les relations turco-israéliennes sont soigneusement, mais résolument remises sur les rails. Cette réalité contraste avec la politique étrangère turque officielle et les nombreuses déclarations grandiloquentes faites par le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et d’autres dirigeants politiques.

Après la prière du vendredi 16 novembre, et selon le New York Times , Erdogan a dit à Istanbul refuser toute négociation entre son pays et Israël concernant la résolution d’une crise provoquée par l’agression israélienne sur la bande de Gaza. Il alla encore plus loin en affirmant : « Nous n’avons aucun dialogue avec Israël ». Lors d’une réunion parlementaire quelques jours plus tard, il qualifia le comportement d’Israël à Gaza de « nettoyage ethnique ».

Le 20 novembre de l’an passé, le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu était à Gaza dans le cadre d’une visite de solidarité sans précédente, avec une délégation de la Ligue arabe. Contrastant étrangement avec l’esprit de sa mission,« Davutoglu avait laissé entendre aux journalistes que des discussions avaient été engagées avec les autorités israéliennes », selon le Times.

La question est de savoir si le Parti de la Justice et du développement (AKP) sera en mesure de maintenir son image plutôt positive au Moyen-Orient, compte tenu de la volte-face turque pour un rapprochement avec Israël. La popularité de l’AKP était largement due à sa politique pro-palestinienne.

Mais il doit être clair que la vigueur et la montée du sentiment pro-palestinien en Turquie ne sont pas le résultat d’un programme politique en particulier, qu’il s’agisse de l’AKP, ou de qui d’autre. Le soutien aux Palestiniens était le plus apparent dans les élections de juin 2011 qui avaient vu la victoire incontestable du parti d’Erdogan.

« Les Turcs ont voté pour deux ’p’ - leur Portefeuille et la Palestine », écrit Steven A.Cook dans Atlantic le 28 janvier. « Erdogan, qui a l’intention d’être président de la Turquie un jour et qui croit que l’AKP va dominer la vie politique pendant au moins une décennie, devrait être peu réceptif à une amélioration substantielle des liens d’Ankara avec Jérusalem. »

Si la centralité de la Palestine est si essentiel à la prise de conscience politique turque, aucun politicien ambitieux - ni, Erdogan, ni Davutoglu, ni le président Abdullah Gül - n’est susceptible de prendre le risque d’un écart important avec leurs politiques actuelles.

C’est peut-être juste si l’on fait abstraction du facteur de la Syrie, qui, avec le printemps que l’on appelle arabe a compliqué les relations régionales de la Turquie. Jusqu’à il y a deux ans, ces relations étaient fondées sur le dialogue avec l’Iran, la Syrie, la Libye et d’autres partenaires du Moyen-Orient.

Pour les années antérieures à la crise actuelle, la Turquie avait prudemment et de façon convaincante adopté une nouvelle politique étrangère visant à contrebalancer sa dépendance quasi-totale vis-à-vis de l’OTAN en particulier et l’Occident en général. Elle avait réajusté ses liens avec ses voisins immédiats à l’Est, dont l’Iran, mais la polarisation créée par la guerre civile en Syrie a mis fin, au moins pour l’instant, à cette politique équilibrée de la Turquie.

La sollicitation de la Turquie pour le déploiement de batteries de missiles Patriot le long de sa frontière avec la Syrie, son rôle dans le soutien au Conseil national syrien et ses tentatives de séduction envers divers groupes kurdes dans le nord de l’Irak et de la Syrie... tout cela est compatible avec les vieilles politiques turques. En effet, la doctrine de Davutoglu du « zéro problème avec les voisins » n’est plus qu’une note historique en bas de page.

La guerre syrienne a ramené la Turquie dans le camp occidental, mais pas avec la même fermeté que dans le passé, lorsque la Turquie des généraux n’acceptaient d’alliances qu’en faveur de l’OTAN.

Cela représente une ouverture pour Israël, qui, avec le soutien de la nouvelle administration du président américain Barack Obama, a l’intention de traduire ces faits en normalisation. Le degré de normalisation dépendra en grande partie du sort que connaîtra la guerre civile en Syrie et de la réaction populaire en Turquie, en voyant une fois de plus Israël traité en tant que partenaire stratégique.

Certains commentateurs suggèrent que la politique étrangère égyptienne à l’égard d’Israël - l’Égypte étant actuellement le principal pays dans le Moyen-Orient avec le « pouvoir » de parler à la fois à Israël et aux Palestiniens - prive la Turquie d’une position de force pour négocier au sein de l’OTAN.

En ayant aucun contact déclaré avec Israël, certains suggèrent que la Turquie rate les faveurs des États-Unis et d’autres partenaires occidentaux. Fait intéressant, les excuses faites par Israël, selon Radikal, devront être synchronisées avec la visite d’Obama en Israël en mars.

La Turquie, Israël, les États-Unis et l’OTAN ne sont pas en mesure de maintenir le statu quo - le fossé entre Israël et la Turquie - beaucoup plus longtemps. Mais revenir à l’ancien paradigme où la Turquie était tout sauf un défenseur des droits des Palestiniens et un champion des causes arabes et musulmanes, pourrait s’avérer encore plus coûteux. Il ne peut y avoir de réponse facile, d’autant plus que la région semble changer, en partie grâce à une dynamique imprévisible.

Erdogan et son parti peuvent éventuellement concocter une réponse de circonstance. Cela pourrait inclure des relations rétablies avec Israël et une nouvelle série d’initiatives qui leur permettraient d’avoir accès à la fois à l’Est et à l’Ouest. Mais cette réponse n’aurait pas le niveau politique et stratégique souhaité par Erdogan, et serait un simple retour aux vieilles politiques égoïstes avec une navigation à vue.

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* Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

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27 février 2013 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.ramzybaroud.net/articles...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claude Zurbach