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A Gaza du 3 au 7 décembre 2012
dimanche 16 décembre 2012 - Lydia de Leeuw
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Jeune Gazaouie (djibnetcom)

Lundi 3 décembre

Avec une collègue je prends rendez-vous avec Nidal, un ami qui a perdu son oncle pendant l’offensive et était donc revenu à Gaza. Il travaille comme journaliste en Allemagne et a voulu revenir pour soutenir sa famille en deuil ainsi que pour tourner un court documentaire sur ce que sa famille et leur entourage ont vécu.

Nidal a toujours la pêche et ce soir aussi, alors que nous prenons un café, il est encore « in good form ». « Bon, pour une fois nous n’allons pas parler de la guerre ou du boulot » dit-il résolument. Et en effet, pour la toute première fois depuis plus de trois semaines, nos conversations s’orientent ailleurs. Il enchaîne les blagues et nous oublions tous trois où nous sommes. Il en ressort que Nidal est confronté à un dilemme, typique pour les jeunes Gazaouis. « Aujourd’hui j’ai rencontré une fille pas ordinaire. En un clin d’oeil elle m’a envoyé quelque chose, alors que je passais simplement devant son bureau. Qu’est-ce que je dois faire ? J’ai le sentiment que je dois y retourner et lui parler. Mais qui sait, elle peu prendre peur ou ça peut lui causer des problèmes ... » Il n’y a pas de réponse univoque, effectivement ça pourrait déraper. En effet Gaza est plutôt conservateur et ici c’est loin d’être normal d’inviter quelqu’un à prendre un thé ou un café. Nidal décide d’y réfléchir à deux fois.

Mardi 4 décembre

Aujourd’hui, pour la première fois, j’ai parlé avec quelqu’un qui a vécu l’offensive des 8 jours du côté israélien de la frontière.

Jan, un jeune journaliste free-lance d’Allemagne est arrivé à Jérusalem il y a 6 semaines.

Il espère y rester travailler comme correspondant pour des médias allemands. Je lui demande si dans sa vie quotidienne il percevait autour de lui ce qui se passait dans la bande de Gaza. Je pensais à des troubles possibles dans les quartiers palestiniens de Jérusalem, plus de policiers dans les rues, de petites manifestations ou une veillée quelque part en ville.

Mais sa réponse n’a rien à voir ; il a vécu une attaque aérienne de roquettes tirées sur Israël depuis la bande de Gaza. Jusqu’à ce moment la vie quotidienne lui semblait très normale et on ne percevait rien de ce qui se passait. Mais quand l’alarme a sonné, une panique totale a éclaté : « Je ne comprenais pas bien ce qui se passait et les gens étaient complètement hystériques. Je me trouvais avec d’autres gens dans des toilettes publiques, à l’intérieur d’un immeuble. Autour de moi on pleurait et on téléphonait à sa famille. Après une dizaine de minutes, comme il ne se passait toujours rien, je suis donc ressorti. Tout cela était très irréel ».

Pendant qu’il raconte, je me rappelle les journées dans Gaza. Pas d’alarme aérienne, pas de caves ni d’abris. Ce qui a été pour Israël des minutes d’angoisse au cours d’une alarme aérienne, ce furent à Gaza 8 longs jours et nuits où aucun endroit n’était sûr ; aucune maison, aucune école, aucune mosquée, rien. C’est toujours difficile d’expliquer ce que les gens ont pu vivre à Gaza au même moment. Je crois qu’on ne peut pas comparer.

Mercredi 5 décembre

Cette semaine il y a encore beaucoup de délégations étrangères qui visitent la bande de Gaza, pour se faire une idée de la situation actuelle mais aussi pour apporter des médicaments et d’autres produits utiles.

Il y a notamment quelques Néerlandais. Nous visitons un collège à Jabalya, dans le nord de la bande de Gaza. Le collège est parrainé aux Pays-Bas et on nous a volontiers guidés. Munir el Borsh, le directeur, nous parle de son collège avec passion, expliquant combien ses étudiants apportent de compétences à la communauté.

Au moment de me séparer des membres de la délégation néerlandaise, je suis très émue par l’imam néerlando-marocain Faouzi. Il avait été très silencieux toute la soirée, et comme tous les autres hommes, au lieu de me serrer la main, il avait posé la main sur sa poitrine pour me saluer. C’est ici la manière habituelle et très respectueuse dont les hommes saluent les femmes. Mais au moment de se dire au revoir, il vient sur moi et me secoue chaleureusement et vigoureusement la main « bon succès, ma fille ! » dit-il. Le geste d’encouragement résonne dans sa voix. J’en ai une la gorge nouée : voilà mes vies à Gaza et aux Pays-Bas magnifiquement réunies.

Jeudi 6 décembre

L’agitation politique continue en Égypte. Quand l’Égypte est troublée, Gaza s’en ressent.

Le poste-frontière de Rafah, entre la bande de Gaza et l’Égypte, est la seule vraie possibilité pour les Palestiniens de la bande de Gaza pour voyager à l’étranger. Le renseignement égyptien scanne toujours minutieusement toute personne qui entre par Rafah, procédure qui précède le franchissement de la frontière. En conséquence, beaucoup d’hommes se voient refuser le passage et il ne peuvent pas entrer à Gaza ou pas en sortir.

Vendredi 7 décembre

Ce matin je suis allée dans un magasin de robes avec une amie. Nous cherchons toutes un robe simple à louer, car ce soir est organisée la grande fête de Noël des collaborateurs étrangers de l’ONU ; Le code vestimentaire c’est : tenue chic, de gala. Ce que je n’ai évidemment pas dans mon armoire.

Les couleurs éclatantes, les paillettes et sequins, les franges sur toutes les robes nous font presque mal aux yeux. Quel bazar, comment trouver quelque chose, me dis-je. Le style arabo-palestinien pour les fêtes et mariages est exubérant, et pour moi en tant que Néerlandaise, très kitsch. Enfin, avec l’aide des femmes dans le magasin nous trouvons quelque chose pour ce soir. Pendant que nous luttons avec les zips de nos robes, Hanin, une des vendeuses me demande « comment vois-tu Gaza ? » - c’est la question qu’on pose le plus souvent aux étrangers. « C’est un endroit des extrêmes, lui dis-je, on trouve tout ici, les plus belles choses de la vie, et les plus terribles, sur tous les plans ».

« Et toi, comment vois-tu Gaza ? ». Sa réponse me surprend : « C’est le meilleur endroit au monde, malgré tout et malgré ce que le reste du monde pense de nous ». Je la comprends d’emblée. La culture palestinienne a une chaleur, une hospitalité et une générosité que je n’ai jamais ressenties aussi intensément ailleurs.

Hanin dit qu’elle aime montrer au monde extérieur combien son peuple est ordinaire et en même temps spécial. Pendant ses loisirs elle photographie la vie quotidienne à Gaza, des choses que le monde extérieur a rarement l’occasion de voir. Elle espère qu’un jour proche ses photos seront exposées à Paris. Une organisation palestinienne est en train de s’en occuper. Magnifique, me dis-je, pourvu qu’elle réussisse.

Les Palestiniens à Gaza sont eux aussi des êtres humains. Des êtres qui veulent être vus et entendus, comme des semblables.

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* Lydia de Leeuw est une criminologue néerlandaise spécialisée en droits humains, crimes internationaux et crimes d’État. Elle travaille actuellement à Gaza.

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Traduction : Info-Palestine.eu - Marie Meert