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Ghassan Kanafani : une école de la littérature palestinienne
dimanche 26 août 2012 - Antoine Shalhat
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Talal Salman, fondateur du journal As-Safir, s’est exprimé lors du symposium organisé en mémoire de Ghassan Kanafani au théatre Babel à Beyrouth, le 11 juillet 2012 (Photo : Marwan Tahtah)

Leurs contributions furent publiées dans le numéro 127 de la revue égyptienne al-Majalla (été 1967).

Á cette occasion, Kanafani présenta ce qui devrait être considéré comme « une approche palestinienne » de la définition de ce que signifie pour un Palestinien d’être un écrivain. Dans le contexte de la commémoration du quarantième anniversaire de son assassinat, survenu le 8 juillet 1972, l’extrait suivant prend une importance particulière.

« L’écrivain palestinien est plus apte que quiconque à explorer le caractère profondément particulier de la cause palestinienne. C’est particulièrement vrai s’il appartient à la jeune génération qui a quitté la Palestine vers l’âge de 10 ans. Aujourd’hui (en 1967), à l’âge d’environ trente ans, il fait donc partie de la génération qui est productrice. Ceci veut dire que concernant ses racines, il véritablement palestinien. »

« Il a réellement vécu dans la patrie ensuite volée, après quoi il passa cinq ans sans abri et dans un terrible dénuement... Durant le même temps, il suivit des études, fit connaissance du monde arabe, et apprit à connaître la littérature, le temps de parvenir à ses vingt ans. »

« Entre ses vingt et trente ans, il fit l’expérience des développements de la cause [palestinienne] sous un angle différent, s’intéressa aux cultures étrangères mais sans jamais renier ses racines avec la cause. Ceci signifiait qu’il agissait toujours pour la cause, politiquement ou socialement, rendant visite à quelques parents dans des camps de réfugiés, les observant et écoutant leurs récits... »

« Ses amis sont palestiniens, son milieu est palestinien et donc il y a une impulsion palestinienne dans ce qu’il doit dire, et je crains qu’aucun auteur qui n’est pas palestinien puisse s’approcher de ce qu’il écrit au sujet de la Palestine. »

On peut trouver dans ce paragraphe un ensemble de visions qui sont l’essence même du cadre littéraire construit par Ghassan Kanafani, non seulement pour lui, mais pour nous tous.

Deux de ces visions semblent en particulier fondamentales pour l’édification des bases de l’écriture sur la Palestine.

La première vision est la manière dont un auteur - en particulier, un auteur palestinien - devrait approcher, la première fois comme à chaque fois, la question de la signification de la Palestine.

Cette approche nous est communiquée dans les premiers écrits de Kanafani. Son ascension comme écrivain a commencé par la publication de Hommes dans le soleil.

Ce roman sortit dans une atmosphère culturelle et intellectuelle dans le monde arabe où la cause palestinienne n’était rien de plus qu’une « toile de fond » dans les préoccupations des élites culturelles arabes.
Par conséquent les écrits de ces intellectuels étaient dominés par des concepts généraux qui isolaient le conflit avec Israël de son contexte historique et national, et le limitaient à des lamentations sur la « tragédie » ou la « catastrophe » de la Palestine.

Quant à la littérature inspirée par cette préoccupation, elle se manifestait dans un océan d’abstraction. Dans cette atmosphère, Kanafani ouvrit un chemin pour extraire la question palestinienne de ces abstractions et la ramener sur la terre ferme de la spécificité.

L’essence de Kanafani apparait dans la deuxième vision, évidente dans sa formule : « Il y a une impulsion palestinienne dans ce qui doit être dit [c’est-à-dire dans ce qu’un auteur palestinien doit dire], qu’aucun auteur qui n’est pas palestinien puisse imiter dans quoi qu’il écrive au sujet de la Palestine. »

Kanafani travailla dur sur l’écriture comme forme d’art. Se limiter à le considérer comme un propagandiste politique, comme certains le font, s’apparente aux tentatives qui n’ont de cesse d’assassiner la forme artistique de son projet, un élément essentiel dans sa créativité.

Les critiques littéraires arabes et palestiniens considèrent Ghassan Kanafani, avec Emile Habibi et Jabra Ibrahim Jabra, comme les pères fondateurs du roman palestinien, pas d’un point de vue chronologique, mais dans la signification plus profonde de sa naissance.

Comme le défunt critique et poète palestinien Hussein Al-Barghouti l’a mis en exergue, ce sont les pères spirituels de l’art du roman lui-même.

Afin d’analyser plus en avant les visions de Kanafani, nous devons examiner ce qu’il explique au sujet de la capacité du Palestinien, en tant qu’auteur, à explorer le caractère singulier de la cause palestinienne elle-même.
Il nous place avant l’essence de l’écriture, en la considérant comme un processus structurel complexe, qui a un rôle spécial quand il s’agit de comprendre la vie.

Quelques mois après la publication de Hommes dans le soleil, Kanafani écrivit à un ami afin d’expliquer sa méthode d’écriture :

« En ce moment, mes amis m’inondent de leurs conseils pour ne pas consacrer trop de temps au journalisme. Puisque - prétendent-ils - cela finirait par détruire ma capacité artistique d’écrire des histoires. »

« Franchement, je ne comprends pas cette logique. C’est la même logique que celle que je trouvais dans les conseils qui m’étaient donnés à l’école secondaire : ’ignore la politique et concentre-toi sur tes études.’ Et les conseils que j’entendis plus tard au Koweït : ’laisse tomber l’écriture et prends soin de ta santé !’ »

« Ai-je vraiment jamais eu le choix entre la politique et les études, entre l’écriture et la santé, de sorte que maintenant j’aurais le choix entre le journalisme et l’écriture de nouvelles ? J’ai quelque chose à dire. Parfois je peux le dire en écrivant l’article en première page du journal Al-Ghad, parfois en écrivant un éditorial... Parfois ce n’est que dans un roman que je peux dire ce que j’ai à dire. »

« Le choix dont ils parlent ... me fait me souvenir d’un professeur d’arabe qui au début de chaque année universitaire, demandait à ses étudiants de rédiger une composition sur son sujet préféré : ’Que préférez-vous, vivre dans un village ou dans une ville ?’ ... alors que la plupart de ses étudiants vivaient dans un camp de réfugiés. »

* Antoine Shalhat est écrivain et critique littéraire palestinien. L’article qui précède est un résumé de sa communication lors du séminaire tenu dans les jardins du centre Khalil Sakakini, à Ramallah, à l’occasion de la date anniversaire de l’assassinat de Ghassan Kanafani. Ce séminaire était organisé par le ministère palestinien de la culture et par la revue al-Hadaf.

Lire également :

- En mémoire de Ghassan Kanafani - 16 août 2012

12 juillet 2012 - Al-Akhbar - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.al-akhbar.com/conten...
Traduction : Info-Palestine.net - Claude Zurbach