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L’enfance, un thème dans l’art Palestinien : Abdulrahman Katanani
samedi 17 décembre 2011 - Amany Al-Sayyed - Al Akhbar
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Illustration : Abdulrahman Katanani

Abdulrahman Katanani : La puissance du jeu d’enfant

Abdulrahman Katanani est un illustrateur qui est né et a grandi dans le camp de réfugiés Palestiniens de Sabra au Liban. Pour cet artiste de 29 ans, « Il y a toujours un message, ou une cause, caché derrière tout ce que l’enfant palestinien fait, même en jouant tout simplement ».

Dans son dernier travail, Katanani a opté pour le thème des enfants. Lui-même, en creusant dans ses mémoires et souvenirs de son enfance dans le camp, il revient sur la période où sa famille devait partager le logement avec vingt autres familles dans un immeuble à un étage.

Adulte, l’illustrateur, dont les projets sont exposés à Beyrouth, en Malaisie et à Londres, a obtenu une maîtrise en beaux-arts de l’Université Libanaise. Il avait consacré le thème de sa thèse à l’illustrateur Palestinien de renommée mondiale Naji al-Ali, assassiné en 1987.

Ainsi, Katanani livre son point de vue concernant les enfants du camp. Il affirme que l’enfant typique de Sabra n’est pas le produit de l’environnement politique corrompu du camp, ni de la discrimination systémique de la nation contre les réfugiés Palestiniens, encore moins des conditions de vies insoutenables dans le camp. L’enfant de Sabra, en dépit des coins les plus sombres du camp, des rues sales et ses barbelés tranchants, apprend jour après jour à jouer au sein de l’environnement civique et géographique qui l’enveloppe.

Katanani poursuit et explique : « Si la volonté de l’enfant est brisée, ou s’il s’agit vraiment d’un dilemme psychologique, alors il/elle ne serait jamais en mesure de sourire dans un environnement qui n’est pas propice à cela. Les rues étroites, sombres, humides et sales du camp sont loin de ressembler à un parc d’attraction. Or, les enfants ici continuent quand même de jouer. »

À ce sujet, l’artiste ne manque pas de souligner que les enfants du camp, même s’ils n’en sont pas conscients : « Donnent chaque jour des leçons aux adultes ». Il poursuit : « Qu’avons-nous fait, nous les adultes pour améliorer notre condition de vie ? Nous sommes universitaires, nous avons voyagé partout dans le monde, nous nous sommes familiarisés avec diverses technologies, nous avons appris beaucoup d’aspects concernant les problèmes sociopolitiques du camp, mais malgré cela, nous restons les bras croisés sans pouvoir agir. »

Ainsi, l’illustrateur et artiste en arts visuels pense que le plus important à présent est de conceptualiser à nouveau ce qui se passe dans le camp, autrement dit, « améliorer son image ».

Il avoue : « Lorsque nos grands-parents avaient quitté la Palestine pour le Liban, ils pensaient y retourner après six jours, et non pas soixante ans et qui sait jusqu’à quand encore. L’idée est que nous n’étions pas destinés à vivre dans les camps, c’est pourquoi, la logique qui nous dicte la mission de protéger l’existence du camp est extrêmement erronée. Notre objectif principal et notre esprit est supposé être d’abord orienté vers le retour à notre terre ancestrale, puis vers le camp ».

Et dans le cadre de la mise en place du décor général, il faudrait que le concept de « maison » pour les enfants du camp soit réorienté vers la Palestine. Dans ce contexte, Katanani explique : « Aujourd’hui, l’enfant de Sabra a, au sens figuré du terme, fait exploser le camp, car il détient la force de le recréer d’après ce qu’il conçoit. Il a donc démontré, à travers la confection de ses jouets à partir de déchets, que le camp ne reflète pas notre image réelle, et il ne peut être notre objectif ni notre destination finale. L’enfant a tout simplement démontré que les choses doivent changer car l’image actuelle, si elle reste inchangée, véhicule un ’faux décor’ ».

Par ailleurs, les dernières ?uvres de Katanani sont inspirées d’un projet en sciences à l’école où l’élève était appelé à créer quelque chose à partir de matériaux recyclés. En effet, Zinco, Barbwire, et Freedom représentent l’idée d’une production basée sur la créativité pour les enfants.

Pour cela, Katanani fait également appel à ses anciennes compétences dans le domaine de la menuiserie où il utilise les perceuses, les planches et le zinco (étain ondulé) pour recommencer la création de nouvelles pièces.

Il explique : « Je coupe le zinco avec mes outils de menuiserie de façon à créer la silhouette d’une fille ou d’un garçon. Ensuite, je prends des pots et des casseroles utilisés, je les écrase, je change leur forme et je façonne le produit pour obtenir une jupe rouge ou des cheveux rouges ou bien un chapeau rouge, mais sans que je n’utilise la peinture pour colorer mes ?uvres. J’utilise également les bouchons des bouteilles de Pepsi, jetés dans les rues du camp, ou alors les tissus usés des femmes habitant le camp. Je collecte tout ce qui ne sert plus à rien pour en faire de nouvelles choses ».

Il est donc tout à fait clair que la création artistique de Katanani ressemble aux jeux créés par les enfants ; leur point commun étant ce côté artistique qui est en quête de jeu pour la vie et pour la libération.

D’autre part, si l’enfant de Sabra élabore son « projet scolaire » en utilisant des matériaux trouvés dans le camp, et si l’on considère l’existence d’autres sites officiels, comme les écoles de l’UNRWA ou les universités locales libanaises qui serviront de plateforme pour l’éducation des Palestiniens au Liban, alors, quelle serait l’influence du site informel qu’est l’environnement du camp sur les enfants ?

Dans cette optique, Katanani revient sur les histoires de son grand-père qui ont permis son apprentissage et qui font partie de son initiation en tant que Palestinien. Il se souvient : « Je prends l’exemple de la guerre des camps qui a éclaté au Liban entre 1985 et 1989 (la guerre lancée par le général Aoun) où je devais rester chez mon grand-père. Ce dernier, avant d’arriver au Liban, était un combattant en Palestine, et ne manquait pas de me donner les détails des opérations lancées contre l’armée israélienne sous l’occupation britannique ».

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Abdulrahman Katanani a 29 ans et est né et a grandi dans le camp de Sabra

De ce fait, et même si Katanai était inscrit dans une école privée par opposition aux écoles du voisinage appartenant à l’UNRWA, l’artiste a acquis beaucoup de connaissances sur la question Palestinienne grâce, principalement, à l’intérêt porté sur les récits témoignages de son grand-père.

Il explique : « Mon grand-père avait été, sous le règne britannique, condamné à mort à deux reprises, mais il a réussi à s’enfuir. Grâce à lui, j’ai beaucoup appris sur les noms des rues en Palestine et sur les grands noms de l’histoire de la Palestine, à l’instar d’Abdul Qader al-Husseini qui fut l’un des fondateurs du mouvement de résistance palestinien. Et comme mon grand-père partait assez souvent à Jaffa, il connaissait toutes les histoires, les rues, tout ce qui se racontait, et de ce fait, il m’a transmis l’importance d’agir et de faire quelque chose pour la Palestine ».

Après l’école primaire, et une fois au moyen, l’ambition de Katanani a été orientée vers un autre intérêt, trouvé chez un nouvel enseignant, à savoir Naji al-Ali et son fameux personnage Handala.

Il reconnait : « Naji al-Ali était un symbole pour tous les enfants palestiniens. A l’époque, quand nous étions à l’école, nous avions nourri un sentiment d’hostilité à l’égard de l’ensemble du monde arabe, particulièrement le Liban, car, durant les années de mon enfance, ce pays avait interdit l’introduction de matériaux de construction dans les camps ».

Pour rappel, durant cette période, le camp avait également vécu sous le siège des forces Libanaises et Syriennes. Ainsi, sur son chemin de l’école, le petit Katanani devait chaque jour passer devant des soldats Libanais et Syriens. Il se souvient jusqu’à présent du traitement humiliant et discriminatoire qui leur était réservé par ces soldats.

Et c’est dans ces conditions qui ont marqué son enfance et son adolescence que l’artiste a commencé à s’intéresser à Naji al-Ali. « Il y a tout un processus pour mieux connaitre cet artiste. En effet, pour connaitre Handala, il faut d’abord connaitre Naji al-Ali. Et pour connaitre Naji al-Ali, il faudrait savoir qu’il a été assassiné. Et pour comprendre cela, il vous faut une recherche au sujet des factions politiques. En dépit de tous ces détails compliqués, j’ai appris que le chemin qui mène à la Palestine est, lui, direct. Ainsi, on pourra y parvenir grâce à la résistance quotidienne, à la loyauté et à la patience. Quand j’étais enfant, ma tête était hantée par la lutte, les armes et les factions politique, mais en m’approchant de la personnalité et du caractère de Naji al-Ali, j’ai appris que la porte qui s’ouvre sur la Palestine n’est pas seulement les factions ».

Et c’est également grâce à Handala de Naji al-Ali que l’art palestinien d’aujourd’hui croit et peut concevoir la relève après l’artiste assassiné ; une relève assurée par d’autres grands artistes.

Katanani souligne que ce concept est nouveau chez la communauté des palestiniens issus des camps. Il explique : « Durant toutes ces années, nous avions toujours adopté une logique erronée, selon laquelle, nul individu ne saura un jour se mesurer ni être à la hauteur des grandes figures de l’art palestinien comme Naji al-Ali, Mahmoud Darwish, ou Ghassan Kanafani. Mais fort heureusement, ces artistes fantastiques nous ont appris que la Palestine n’appartient pas à une seule personne ou à une seule vision : la Palestine nous appartient tous, et l’art aussi ».

A la lumière de tous les éléments qui ont inspiré Katanani, il compte continuer son travail en lui donnant sa propre touche, son style personnel et sa méthode à lui. La preuve, contrairement à Naji al-Ali, Katanani met en ?uvre « plusieurs enfants, non pas un seul comme Handala. Et chaque enfant créé par Katanani représente, de manière générale, un enfant déplacé dans le monde. « Mes enfants n’ont pas de traits spécifiques parce qu’ils représentent l’idée universelle de survie dans les conditions les plus tragiques et désastreuses qui soient ».

Les prochaines ?uvres de Katanani seront encore plus riches et détaillées sur les enfants du camp et ce, dans le but d’organiser davantage d’expositions locales et internationales.

Katanani souhaite que son message soit passé à travers les quatre coins du monde. Il déclare à cet effet : « Je voudrais que le monde entier constate que grâce à leur imagination, les enfants du camp parviennent à surmonter les obstacles. Et tout comme eux, tant qu’il y aura des débris dans ma maison, je continuerai ma production artistique ».

9 décembre 2011 - Al Akhbra - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduction : Niha