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Les cancéreux de Gaza, ou l’angoisse d’une prise en charge au Caire
mardi 29 novembre 2011 - Rami Almeghari - E.I
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Au stade final, les malades Palestiniens sont livrés à leur sort : soumis aux options thérapeutiques limitées à Gaza, aux restrictions de voyage et aux lourdes charges financières résultant des soins en Egypte - Photo : Abed Rahim Khatib/ APA images

Ce gazaoui de 40 ans a entrepris des démarches inlassables pour qu’on lui accorde une admission à l’hôpital où il est arrivé lundi dernier, dans le service de lutte contre la leucémie.

Et c’est le jeudi d’avant que le Ministère de la Santé de Gaza avait délivré en urgence les papiers demandant le transfert immédiat de Wadi, accompagné de son neveu Ramadan, au poste frontalier de Rafah dans le sud de la Bande de Gaza.

The Electronic Intifada a rencontré Wadi dans la salle réservée aux malades atteints de leucémie. Sur son fauteuil roulant, il raconte : « Comme je n’avais pas encore été admis à l’hôpital, j’ai dû rester les trois premiers jours dans une clinique privée. Je suis en compagnie de mon neveu depuis jeudi dernier.

Impuissant, mes cris perçants tard dans la nuit dérangeaient les voisins. Mais je n’arrive pas à comprendre la raison pour laquelle ne n’ai pas encore été admis à l’Institut Nasser alors que je possède des papiers qui demandent clairement mon hospitalisation ».
Affaibli, ses yeux se remplirent de larmes pendant qu’il affichait son souhait d’être admis à le service qui se trouve dans cet hôpital de huit étages.

Dans ce contexte, le dentiste soupire en ajoutant : »Actuellement, mon quotidien n’est que torture à cause de mes souffrances que je calme avec des antidouleurs. Et encore, je peux à peine me les procurer. Je suis embarrassé par cette situation car je suis pris en charge financièrement par le ministère de la santé de l’Autorité Palestinienne ».

Cependant, après une brève discussion avec le médecin dans la clinique de lutte contre la leucémie, Wadi a été informé que son admission n’était pas possible pour le moment car il fallait attendre que l’un des 27 lits de la salle ne se libère.
Trahi par l’expression de son visage traversé par la déception, Ramadan Wadi a saisi le fauteuil roulant de son oncle pour descendre de l’étage, avec l’espoir de tomber sur un haut placé pour lui exposer le cas.

Une longue liste d’attente

The Electronic Intifada a réussi à interroger Dr Haitham Sherif, membre du personnel de la clinique. Manifestement désolé et navré, il explique que la situation échappe à leurs mains. En effet : « La liste d’attente est un constat triste et douloureux qui, malheureusement, ne concerne pas que Mohamed. J’ai ici des cas de personnes en attente depuis environ deux ou trois semaines. Dans cet hôpital, c’est le nombre réduit des lits qui pose réellement problème et qui peut être tout simplement résolu par l’agrandissement de la clinique, chose que nous, médecins, n’avons rien à voir ».

Les propos du médecin n’ont qu’une seule explication : les patients en provenance de Gaza sont confrontés à une attente insoutenable.

Je suis sorti dans le jardin de l’hôpital pour retrouver les Wadi. Le neveu, Ramadan est revenu sur le combat de son oncle. Il raconte : « Les deux mois passés ont usé de la santé de mon oncle. Endurant toute sorte de souffrances, la maladie a fini par s’emparer de ses jambes, et comme vous le voyez, il est paralysé sur ce fauteuil roulant. Au terme de ces deux mois de soins intensifs à l’Hôpital Européen de Gaza, les médecins ont tout de suite demandé notre évacuation vers l’hôpital Nasser, ici au Caire ».

Il poursuit : « A notre arrivée à l’hôpital, jeudi dernier au soir, les employés au service des urgences nous ont refoulé en nous faisant comprendre que nous n’étions pas dans hôtel et qu’il fallait attendre le samedi où l’hôpital prévoit de prendre les mesures administratives nécessaires. Le personnel nous a expliqué que ces papiers de transfert dont nous disposons doivent être vérifiés avant d’entamer le traitement. C’est alors que nous avons demandé la raison puisque ces papiers indiquent clairement que le patient doit obligatoirement être admis immédiatement. Et surtout, où devons-nous partir ? »

« A l’instant présent je me demande pourquoi nous ont-ils transféré au Caire puisque l’objectif escompté n’a pas été atteint et que nous continuons de souffrir. Pourquoi ? Ce déplacement a carrément affecté la santé de mon oncle. Pendant les cinq derniers jours, sa condition physique s’est clairement détériorée et après ses jambes, c’est sa capacité visuelle qui est à présent touchée » fait-il remarquer sur un ton irrité.

Les patients de Gaza prioritaires ?

Le directeur de l’hôpital Nasser, Dr Ahmed Abdel Nabi a informé The Electronic Intifada que son établissement a longtemps donné la priorité aux malades venus de Gaza, et pourtant, il y a eu quelques problèmes liés à la prise en charge médicale des patients palestiniens.

Il raconte à ce titre : « J’ai travaillé pendant 15 ans dans cet hôpital avant d’y être nommé directeur général. Il m’a été donné de m’occuper de malades en provenance de Gaza, et je suis très conscient des problèmes qui se posent, et que je scinderai en deux partie. La première concerne l’hôpital et la seconde, le patient. Nos frères palestiniens croient qu’ils arrivent ici en urgence pour recevoir des soins sur le coup, d’où la naissance du malentendu. Et le problème auquel nous nous heurtons est que la plupart des patients gazaouis nécessitent une prise en charge pour traiter le cancer ou pour subir des opérations chirurgicales ou tout simplement un suivi postopératoire à la suite d’une intervention effectuée à Gaza. »

Dr Abdel Nabi va plus loin en avouant que l’hôpital a reçu des instructions de fonctionnaires de haut rang pour donner la priorité aux malades palestiniens en terme de médication, et de conjuguer tous les efforts possibles afin de leur garantir une prise en charge médicale optimale. Toutefois, il reconnait : « Au cours de ces dernières années, les patients gazaouis se trouvent mal informés quant à leur état de santé, et c’est pourquoi, ces mêmes patients sont plongés pendant plusieurs jours dans l’angoisse et l’inquiétude en l’absence de la moindre information de la part de l’hôpital ». Le directeur général de l’hôpital déplore le nombre limité des spécialistes notamment en pathologie.

A ce titre, il cite un exemple où il fait constater qu’en Egypte, les spécialistes des prélèvements à partir du cerveau ou de la colonne vertébrale se comptent sur les doigts de la main. Ainsi, poursuit-il : « L’hôpital signe des contrats avec cette poignée de médecins qui collaborent avec nous une journée par semaine. Des fois, il leur arrive, pour une raison ou pour une autre, de reporter leur intervention et cette situation nous met dans l’embarras puisque tout l’hôpital et les patients doivent attendre le médecin. Et je dois souligner qu’au sein de notre établissement, assurer un traitement et des soins de qualité pour les patients, qu’ils soient de Gaza ou de n’importe quel autre pays, est notre souci majeur ».

Il conclut : « Tous les 950 lits de l’hôpital sont actuellement occupés. Le problème que nous rencontrons souvent est que le patient qui arrive croit qu’il/elle doit absolument être admis sur le champ. Or, la priorité va aux cas les plus urgents, tandis que ceux qui peuvent attendre peuvent être traités dans des services de consultation externes de l’hôpital ».

Les malades de Gaza n’ont pas le choix

Depuis le début du siège sur la Bande de Gaza, imposé par Israël en 2007, les autorités Egyptiennes au niveau du passage frontalier de Rafah avaient permis aux cas les plus critiques d’être admis dans les hôpitaux en Egypte. Toutefois, le nombre des patients gazaouis à passer outre la frontière pour recevoir des soins dans les hôpitaux égyptiens a connu une nette augmentation après les attaques israéliennes perpétrées contre la Bande de décembre 2008 à janvier 2009.

Mais le périple des malades de Gaza n’a jamais été une mince affaire. En effet, selon un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), daté du mois de juillet 2011, environ 4.843 patients de la Bande ont été, l’an dernier, évacués vers les centres médicaux égyptiens. L’OMS a d’autre part soulevé les retards que rencontrent les patients en route vers l’Egypte à cause du passage de Rafah. Et ce n’est pas tout, la majorité écrasante de la population de Gaza, de plus en plus pauvre, ne peut plus se permettre les coûts inabordables des voyages vers l’Egypte, puisque ce sont les malades qui doivent payer de leurs poches les frais du traitement.

L’OMS ajoute que depuis l’ouverture du passage frontalier entre les deux pays, le nombre des transférés vers les hôpitaux égyptiens a nettement grimpés au cours du second semestre 2010, comparé aux six premiers mois de la même année.

Côté statistiques, l’OMS révèle que ces transferts concernent en majorité les hommes âgés entre 18 et 40 ans. Ces patients qui ont une chance d’accéder en Egypte ont moins de 50% de chance de pouvoir traverser le point de contrôle d’Erez séparant Israël et Gaza. C’est pourquoi, le corps médical de Gaza a tendance à envoyer les plus jeunes dans les hôpitaux égyptiens plutôt que de les envoyer par Israël. (Renvoi des patients de Gaza, OMS, le 14 juillet 2011)

Mais en attendant, aucune solution immédiate n’existe encore pour atténuer les souffrances des patients de Gaza nécessitant une prise en charge médicale.

De retour chez Mohamed Wadi, le dentiste se demande pour la forme : »Que vais-je faire ? Le docteur au service de lutte contre la leucémie m’a orienté vers le service de consultation externe où je dois recevoir un traitement demain matin. Ensuite, je dois me rendre au service de traitement de la douleur pour prendre les analgésiques dont j’ai besoin jusqu’au jour de mon admission dans son service. A ce rythme, il me faudra une journée, ou deux, voire une semaine. De toutes les façons, je souhaite ne pas avoir à attendre beaucoup car je souffre énormément ».

* Rami Almeghari est journaliste et conférencier universitaire vivant dans la bande de Gaza.

Vous pouvez le contacter à : rami_almeghari@hotmail.com.

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21 novembre 2011 - The Electronic Intifada - Vous pouvez consulter cet article à :
http://electronicintifada.net/conte...
Traduction de l’anglais : Niha