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Najiyya ne retrouvera pas son époux
samedi 22 octobre 2011 - Shahd Abusalama
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Najiyya tenant le portait de son époux, condamné à la prison à vie et ayant déjà passé 19 ans dans les geôles israéliennes

J’y vais chaque jour, et je vois les mêmes personnes que j’ai commencé à intégrer comme faisant partie de moi-même. Lorsque l’une d’elles n’est pas là, elle me manque, et j’ai passé ces derniers jours plus de temps avec eux qu’avec ma famille.

Alors que j’arrivais à la tente, j’ai senti qu’il y avait quelque chose d’étrange qui s’était passé. J’ai demandé à une amie ce qui venait d’arriver. Elle a répondu : « Cette femme, Najiyya, vient juste de s’évanouir quand elle a appris que son mari n’était pas inclus dans l’accord d’échange [des prisonniers]. »

Je l’ai ensuite suivie des yeux avec compassion, partout où elle allait. Elle m’a remonté le moral alors qu’elle s’avançait vers moi et s’est assise dans une chaise vide à côté de moi. Elle me sourit, malgré son chagrin. Je voulais qu’elle sache combien les gens comme elle me donne une force spirituelle inébranlable avec leur incroyable force et fermeté. Voir son sourire, tout en sachant qu’elle était brisée à l’intérieur d’elle-même, me redonnait vie. Je ne pouvais pas m’empêcher de sourire avec un regard d’admiration et de gratitude.

« Cela fait longtemps que j’attends qu’il me revienne ; il y a 19 ans de séparation forcée entre nous. J’ai toujours imaginé l’enfant à naître, mais l’emprisonnement de mon mari après moins d’un an de notre mariage m’a empêché à jamais d’en avoir un. »

Elle m’a dit cela après que je lui ai demandé si elle se sentait mieux. « Ils ont fait irruption dans notre maison en Octobre 1993 très tard le soir à l’intérieur de notre maison, et ils l’ont enlevé d’une manière excessivement violente ». Elle a continué tout en ayant du mal à retenir ses larmes. Elle se mit à regarder au loin et tomba dans le silence, essayant de cacher tout ce qu’il y a comme sentiments féminins en elle.

J’ai appris que son mari a été condamné à une peine de 99 ans dans les prisons israéliennes. J’ai été surpris par sa capacité à rester forte et optimiste le jour où elle espérait bientôt être unie avec son mari dans une maison chaleureuse, pleine d’amour et d’harmonie et préparant l’arrivée de leur premier enfant.

Ma sympathie pour elle est devenue encore plus profonde lorsque j’ai appris qu’elle était très proche d’avoir un enfant. Elle était enceinte de 2 mois lorsque l’armée israélienne a attaqué sa maison et tout renversé puis kidnappé son mari. C’était trop dur à supporter. L’armée israélienne n’a pas seulement emmené son mari au loin, mais elle a aussi tué l’enfant qu’elle portait. Si elle n’avait pas connue toutes ces circonstances horribles, peut-être ce f ?tus serait aujourd’hui un jeune homme ou une jeune fille de 18 ans, et elle en aurait pris le meilleur soin du monde pendant qu’elle aurait courageusement lutté contre son destin si dur.

Mon affection pour elle n’a cessé d’augmenter car je savais plusieurs choses à son égard. Elle était en grève de la faim depuis 6 jours, essayant de partager avec son mari et d’autres détenus palestiniens leur bataille des estomacs vides. Elle a refusé de rompre son jeûne en dépit de toutes les tentatives faite par les gens autour d’elle pour la convaincre d’arrêter, surtout après qu’elle se soit évanouie. Mais elle a insisté pour aller au rassemblement : « Salama, mon mari, souffre plus que simplement de la faim. Permettez-moi au moins de ressentir comme si je vivais certaines de ses souffrances, même si je sais que je suis loin de lui ! »

J’ai soudain réalisé que je n’avais plus de temps et qu’il fallait que je revienne à ma conférence à l’université. Je devais y aller mais je savais que je ne serai présente que par le corps, et que mon esprit allait rester avec les prisonniers et leurs familles. Je n’ai pas pu attendre la fin de la conférence pour revenir à la Croix-Rouge.

Je pensais revenir et trouver l’image habituelle des gens assis et bavardant dans la tente, tout en entendant des chansons pour la liberté de nos détenus. Mais ce n’était pas le cas. Il y avait comme une urgence ; les gens couraient à l’intérieur de la Croix-Rouge ; l’alarme de ambulance était très forte et sa lumière rouge clignotait à l’endroit même. Mon c ?ur s’est arrêté de battre à l’idée que quelque chose de grave s’était passé durant l’heure où j’étais à l’université. J’ai eu peur de ce que j’allais savoir.

Je suis passé à travers la foule pour découvrir que la même femme Najiyya avait à nouveau perdu connaissance. Elle ne pouvait pas supporter sa terrible angoisse : son mari serait-il libéré ou non ? Au début, elle avait appris que son conjoint le serait, puis ensuite que non. Elle était entre la réalité et les illusions, comprenant finalement que son mari va rester en prison à l’intérieur de sombres cellules. J’ai appris qu’elle se promenait tout en parlant à elle-même, inconsciemment, et soudain, elle s’est arrêtée et a regardé une grande bannière où se trouvait aussi l’image de son mari. Puis elle s’est écroulée.

Je sais que peu importe combien grande est la force pour combattre qu’elle a en elle... A la fin du jour elle n’est qu’un être humain. Le fait que son mari ne va pas être libéré est terriblement difficile à accepter pour elle, surtout après avoir longtemps espéré dans l’accord d’échange de prisonniers.

Ceci n’est qu’un exemple de ce que vivent les femmes palestiniennes et qui n’a pas d’équivalent dans toute autre partie du monde. La femme palestinienne sera toujours un exemple de force, de fidélité, de défi et de ténacité.

* Shahd Abusalam est artiste, blogueuse et étudiante en littérature anglaise dans la bande de Gaza. Son blog est appelé Palestine from my eyes.

De la même auteure :

- L’histoire d’une mère : Om Fares - 19 octobre 2011
- « J’avais un jour quand mon père a été emprisonné » - 17 octobre 2011

15 octobre 2011 - Palestine from My Eyes - Vous pouvez consulter cet article à :
http://palestinefrommyeyes.blogspot.com/
Traduction : Naguib