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Carte postale de Jérusalem : à la recherche de l’histoire cachée du parc Canada
mercredi 31 août 2011 - Jillian Kestler-D’Amours
This Magazine
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C’est là qu’autrefois il y avait trois villages palestiniens :
Imwas, Yalu et Beit Nuba.

Assis en tailleur, en cercle, un groupe d’une vingtaine d’écoliers israéliens discutent avec animation à l’ombre des grands pins, un après-midi ensoleillé de mars. A quelques mètres de là, les noms de centaines de Canadiens s’alignent bien en évidence les uns au-dessus des autres sur des plaques de céramique beige. Montréal. Toronto. Winnipeg. Vancouver. Bienvenue au parc Canada.

Le Fonds national juif du Canada a construit ce parc national, immense et tentaculaire, à juste 30 minutes de voiture de Jérusalem, dans le début des années soixante-dix. Le cadre idyllique du parc d’aujourd’hui, cependant, trompe sur ses origines amères.

C’est là qu’autrefois il y avait trois villages palestiniens - Imwas, Yalu et Beit Nuba -, sur cette terre aujourd’hui couverte de pins et de sentiers de randonnée étroits et sinueux. Mais cette histoire a été en grande partie évacuée du paysage et de la mémoire israélienne et canadienne.

« C’est soit l’antiquité, soit Israël. Il n’y a rien entre les deux » me dit le militant israélien Michel Warschawski, alors qu’il arrête la voiture pour lire un panneau en hébreu qui marque l’emplacement d’un pressoir de l’ère byzantine à l’intérieur du parc.

Warschawski avait 17 ans quand il a assisté à l’exode forcée des Palestiniens de ces trois villages palestiniens, en juin 1967, pendant la guerre des Six Jours. Les Palestiniens, hommes, femmes et enfants, ont marché en silence jusqu’en haut de la colline, juste après le kibboutz juif de Sha’alvim où il habitait.

Debout dans le parc Canada, en bordure d’un espace vert luxuriant, Warschawski montre les toits rouges de Sha’alvim au loin, juste après ce qui était autrefois le « no man’s land » entre les zones sous contrôle israélien et jordanien, de 1948 à 1967.

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Michel Warschawski au parc Canada, près de Jérusalem.
Photo : Jillian Kestler-D’Amours

Nous continuons en silence le long du chemin rocailleux, lui, perdu dans ses pensées et moi, occupée à rechercher dans les arbustes, les arbres et le gazon envahissant sous mes pieds tout ce qui pourrait rappeler les racines profondes palestiniennes de l’endroit.

Aujourd’hui, plus de quarante années après qu’Imwas, Yalu et Beit Nuba, aient été rasés, seuls quelques oliviers, cactus et vestiges de fondations en pierres de vieilles maisons indiquent qu’ici ont habité des Palestiniens.

Ahmad Abu Ghosh avait 14 ans quand les soldats israéliens l’ont forcé, avec sa famille, à quitter leur village d’Imwas. Les villageois n’ont pas été autorisés à emmener quelque bien avec eux, l’armée israélienne leur a dit de marcher vers l’est, en direction de ce qu’on appelle aujourd’hui, la Cisjordanie.

« Nous avons marché pendant environ 32 km ce jour-là, de 5 h du matin à 5 h du soir. Alors nous sommes arrivés à Ramallah » m’a-t-il dit. N’ayant pas d’autorisation pour entrer en Israël, la dernière fois qu’Abu Ghosh s’est rendu dans l’ancien village de sa famille remonte à 1991.

J’ai notre conversation à l’esprit alors que je contemple les pierres brisées et les anciennes maisons palestiniennes effondrées qui, en dépit des années d’érosion et d’usure, restent les seuls témoins d’une expulsion planifiée et méthodique des Palestiniens de cet endroit où se tient maintenant le parc Canada.

« Quand vous avez vécu dans un endroit pendant 14 ans, au temps de votre enfance, vous en gardez beaucoup de souvenirs. Votre maison, les arbres où vous alliez, et les champs où vous courriez ou marchiez », m’a dit Abu Ghosh. « Quand vous voyez que tout cela est détruit, vous ne pouvez qu’être choqué. Je suis incapable d’exprimer exactement ce que je ressens. »


Voir sur le parc Canada :

- Un parc israélien, leçon de l’histoire oubliée - Jonathan Cook

Voir aussi "Le nettoyage ethnique de la Palestine" - Le mémoricide de la Nakba - d’Ilan Pappe, p. 293 (Fayard) :

« (...) la véritable mission du FNJ a été de cacher ces vestiges visibles de la Palestine, par les arbres qu’il a plantés sur eux mais aussi par les récits qu’il a créés pour nier leur existence. [...] continue à débiter les mythes familiers de ce récit - la Palestine comme terre « vide » et « aride » avant l’arrivée des sionistes - par lesquels le sionisme entend remplacer toute vérité historique qui contredit son propre passé juif inventé. »


Jillian Kestler-D’Amours est une journaliste canadienne indépendante vivant à Jérusalem. Elle contribue régulièrement avec The Electronic Intifada, Inter-Press Service et Free Speech Radio News.

Son site : http://jkdamours.com

Du même auteur :

- Dans la vallée du Jourdain, exister c’est résister
- Ce qui se cache derrière l’arrestation des enfants palestiniens
- Golan occupé : « la récolte de sang » de l’armée israélienne
- Bédouins : Des indigènes devenus squatteurs sur leurs terres
- Les Palestiniens de Jérusalem, défiant Israël, clament : « Nous resterons ici »


Michel Warschawski est écrivain, journaliste et cofondateur du Centre d’information alternative (AIC), et un militant bien connu. Sur son blog, « Mikado » propose ses opinions et des analyses de certains articles de presse pour une meilleure compréhension de la réalité des faits qui se cache derrière les gros titres.

- Israël/États-Unis : alliance stratégique mais tensions réelles
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11 août 2011 - This Magazine - traduction : JPP