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Le peuple contre le président
jeudi 9 juin 2011 - Robert Fisk
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Manifestation à Deraa

La révolte de la Syrie contre le régime du président Bachar al-Assad se transforme en insurrection armée, avec des manifestants auparavant pacifiques qui prennent les armes pour lutter contre leur propre armée et la « shabiha » - ce qui signifie « les fantômes » - des miliciens alaouites qui tuent et torturent ceux qui résistent au régime en place.

Plus grave encore pour les supporters du toujours puissant Assad, il y a même des preuves que certains soldats syriens se sont révoltés. L’édifice tout entier de la dictature d’Assad Alawi est maintenant dans le plus grave des dangers.

En 1980, le père d’Assad, Hafez, fit face à un soulèvement armé dans la ville centrale de Hama - qui fut réprimé par les forces spéciales de Rifaat, un frère de Hafez qui vit actuellement, si cela intéresse des enquêteurs sur des crimes de guerre, au centre de Londres - avec un coût qui est estimé à 20 000 tués.

Mais aujourd’hui, la révolte armée se répand dans l’ensemble de la Syrie, et il s’agit d’une crise bien plus grave et infiniment plus difficile à réprimer. Etonnamment, la télévision d’Etat syrienne a montré les funérailles d’au moins 120 membres des services de sécurité dans un seul emplacement, la ville septentrionale de Jisr al-Shughour.

La première évidence que des civils ont pris les armes pour défendre leurs familles vient de Deraa, la ville où l’histoire sanglante de l’insurrection syrienne a commencé après que des agents du renseignement aient arrêté et torturé à mort un garçon de 13 ans. Des Syriens arrivés à Beyrouth m’ont dit que les citoyens de sexe masculin de Deraa s’étaient lassés de suivre l’exemple des manifestations pacifiques tunisiennes et égyptiennes - une réaction compréhensible, car les gens dans ces pays n’ont souffert de rien d’aussi pénible que la répression brutale infligée par les soldats et les miliciens d’Assad - et qu’à présent ils commencent « à rendre les coups » pour des raisons de « dignité » et pour protéger leurs femmes et leurs enfants.

Bachar et son cynique de frère, Maher - l’équivalent actuel de l’horrible Rifaat - peuvent maintenant jouer sur le thème de l’ancien dictateur selon quoi leur régime doit être défendu contre des islamistes armés, soutenus par al-Qaïda, un mensonge qui a été exploité par Muammar Kadhafi et les désormais dictateurs en exil Ali Abdullah Saleh du Yémen, Ben Ali de Tunisie, Hosni Moubarak d’Egypte, ainsi qu’al-Khalifa de Bahreïn, toujours sur son trône.

Les quelques cellules d’Al-Qaida dans le monde arabe souhaiteraient peut-être que cela soit vrai, mais la révolte arabe est ​​le seul phénomène dans le Moyen-Orient non contaminé par « l’islamisme ». Seuls les Israéliens et les Américains pourraient être tentés de croire le contraire.

Al Jazeera a diffusé des images extraordinaires sur sa chaîne de télévision hier, montrant un officier subalterne syrien invitant ses camarades à refuser de continuer à massacrer des civils en Syrie. Identifié comme étant le lieutenant Abdul-Razak Tlas, de la ville de Rastan, il a déclaré qu’il avait rejoint l’armée « pour lutter contre l’ennemi israélien », mais qu’il s’était retrouvé témoin d’un massacre de gens de son peuple dans la ville de Sanamein. « Après ce que nous avons vu des crimes dans Deraa et dans toute la Syrie, je suis incapable de rester dans l’armée arabe syrienne, » a-t-il annoncé. « J’interpelle instamment l’armée, et je dis : ’Est-ce que l’armée est ici pour voler ? Pour protéger la famille Assad ?’ Je demande à tous les officiers honnêtes de dire à leurs soldats quelle est la situation réelle, qu’ils se servent de leur conscience ... Et si vous n’êtes pas honorables, alors restez avec Assad. »

Différencier la rumeur par rapport aux faits en Syrie devient plus facile depuis cette semaine. Plus de Syriens cherchent la sécurité au Liban et en Turquie et ils nous parlent de la torture et de la cruauté dans les casernes de la sécurité et dans les cellules de la police en civil. Certains communiquent encore par téléphone depuis la Syrie elle-même - décrivant les explosions dans Jisr al-Shughour et les corps jetés dans la rivière dont la ville tire son nom.

Depuis plus d’un mois, je regarde les informations de la télévision syrienne le soir et au moins la moitié des émissions font part de funérailles de soldats tués. Aujourd’hui, la Syrie elle-même déclare que 120 officiers ont été tués dans une attaque, une perte incroyable pour une armée qui devait inspirer l’horreur dans l’esprit des manifestants du pays. Mais l’armée syrienne prétendument invincible souvent s’est souvent montrée tout à fait incapable de contrer les milices libanaises au cours de la guerre civile de 1975-1990. Un bataillon entier des troupes des forces spéciales syriennes avait été chassé de Beyrouth-Est, par exemple, par un groupe hétéroclite de milices chrétiennes qui auraient été écrasés par toute armée professionnelle sérieuse.

Si vous souhaitez supprimer des civils non armés, vous les abattez dans la rue, puis vous abattez ceux qui participent aux funérailles, puis abattez ceux qui participent aux funérailles de ceux qui ont été tués lors des funérailles précédentes - ce qui est exactement ce que les hommes armés Assad ont fait - mais quand ceux qui résistent se mettent à riposter, l’armée syrienne montre une réaction tout à fait différente : la torture pour les prisonniers et la peur en face de l’ennemi.

Mais si l’insurrection armée prend le dessus, alors ce sont les 11% représentés par la communauté alaouite - jadis la force rempart face aux Sunnites à l’époque du mandat français et maintenant le soutien d’Assad contre les Sunnites les plus pauvres - qui seront menacés. Le régime d’Assad est si désemparé face à ses ennemis qu’il a été jusqu’à encourager les Palestiniens à tenter de traverser la ligne de séparation sur le Golan occupé par Israël. Les Israéliens disent que c’est pour détourner l’attention du monde sur les massacres en Syrie - et ils ont tout à fait raison.

Le journal gouvernemental de Damas, Tishrin, a laissé entendre que 600 000 Palestiniens pourraient bientôt tenter de « rentrer chez eux » sur les terres de Palestine dont les Israéliens les ont chassés en 1948, un cauchemar auquel les Israéliens préfèrent ne pas songer - mais pas un cauchemar comparable à celui que connait aujourd’hui le peuple et ses oppresseurs à l’intérieur de la Syrie elle-même.

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8 juin 2011 - The Independent - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/opinio...
Traduction : al-Mukhtar