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Les Jordaniens exigent des réformes
dimanche 27 février 2011 - Amis Andoni
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Les Jordaniens réclament une réforme, mais sans encore aller jusqu’à reprendre toutes les revendications faites par d’autres dans la région - Photo : Gallo/Getty

Les Jordaniens veulent du changement : ils n’aspirent pas à un changement de régime mais à des changements du régime en place.

Dans les cortèges qui se sont déroulés à travers le pays chaque vendredi depuis six semaines il y a presque consensus sur la nécessité de réformer la monarchie Hachémite, au pouvoir depuis 1921.

Les demandes de l’opposition ont évolué d’un changement d’une loi électorale imparfaite à la dissolution d’un Parlement élu dans des conditions contestables et à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle où le roi deviendrait un chef d’état sans pouvoir exécutif.
Le roi Abdallah, qui succéda à son père le roi Hussein en 1999, y a répondu en renvoyant l’impopulaire gouvernement de Samir Rifai et en rencontrant les principaux groupes d’opposition. Lors de ces rencontres, y compris - une première - avec les influents Frères Musulmans, le roi promit une ère nouvelle et se déclara prêt à répondre aux griefs et aux revendications du peuple.

Selon ses interlocuteurs, le roi sembla avoir compris le message envoyé par les révolutions tunisienne et égyptienne : les dirigeants arabes ne peuvent plus rester à l’abri d’une colère populaire montante.

« Il nous a pris par surprise. Il était résolu à écouter nos critiques et nos demandes. Il s’est aussi montré enthousiaste à l’idée de changement », selon ce que me dit un leader de l’opposition qui m’expliquait que le roi paraissait comprendre que de vraies réformes seraient la clé de voûte du régime.

En partie parce qu’ils craignaient des représailles de la part des services de sécurité, les Jordaniens ont tenté de limiter leurs critiques du gouvernement, évitant d’attaquer directement, ou éventuellement indirectement, le roi. Mais la crise actuelle a changé tout cela : beaucoup de représentants de l’opposition ont franchi cette ligne rouge traditionnelle et critiqué le palais lui-même.

Dans une lettre ouverte au roi, un islamiste indépendant, Leith Shbeilat, lança cet avertissement : le pays reste loyal vis-à-vis du monarque pour l’instant, mais des changements de système seront nécessaires pour arrêter la tempête qui vient.

On n’avait pas entendu un tel avertissement, repris de façon plus prudente par certains partis politiques, depuis les années 50, quand l’opposition de gauche et panarabe défia les souverains Hachémites, les considérant comme trop pro-occidentaux.

Mais la Jordanie a changé depuis cette époque. En 1989, le défunt roi Hussein, avait rétabli la vie parlementaire et levé la loi martiale en vigueur depuis trois décennies, ouvrant la voie à la légalisation de partis politiques et rendant la liberté d’expression plus facile.

Les réformes du roi Hussein faisaient suite à un soulèvement aussi limité que sérieux, provoqué par une brutale hausse des prix, résultat direct d’une suspension des subventions du fuel exigée par le FMI, ce qui heurta la base des partisans de la monarchie dans le Sud du pays.
Une nouvelle phase d’ouverture et de liberté politique s’ensuivit, mais les réformes étaient incomplètes et les lois restrictives restèrent en place, permettant aux services de sécurité et de surveillance de maintenir une main de fer sur le pays.

Soit, on ne confisque plus les passeports des activistes, mais l’influence des forces de sécurité reste considérable et elles sont, parfois, envahissantes.

Perte de confiance

Il faut souligner que, dans une tentative visant à désamorcer le ressentiment qui monte envers les politiques économiques et la répression de la dissidence, le palais fit en sorte que les forces de sécurité ne cherchèrent pas à disperser les récentes manifestations, en dépit de l’existence d’une loi qui les restreint.

Toutefois, la violente dispersion d’une manifestation dans les faubourgs d’Amman, vendredi dernier, par des inconnus en civil, a suscité l’inquiétude : certains, au c ?ur du pouvoir, résistent aux appels à la réforme. La scène rappelait le « jour de la colère » en Egypte, quand des voyous payés par le gouvernement et des officiers de police camouflés avaient attaqué des manifestants qui demandaient la démission d’Hosni Moubarak. Armés de bâtons, sous l’ ?il vigilant de la police jordanienne, ces casseurs agressèrent de pacifiques protestataires, en en blessant un certain nombre.

Le gouvernement de Marouf Bakhit, le nouveau Premier ministre jordanien, a ordonné une enquête sur cet incident. Ce sera un test de crédibilité majeur pour le nouveau gouvernement, qui compte un certain nombre de personnalités respectées qui ont fait leurs preuves comme partisans des libertés politiques et de presse.
Bien des Jordaniens semblent disposés à donner à ce cabinet la chance de mener à bien ses réformes, bien que le doute persiste quant à la démarche, y compris le « toilettage » de l’autorisation conditionnelle de se rassembler, suspectée d’être insuffisante pour rétablir la crédibilité du gouvernement.

Bien qu’il y ait une longue histoire des revendications populaires de liberté politique, la crise actuelle est le signe d’une réelle perte de confiance du peuple dans l’état. Les politiques économiques néo-libérales, y compris celles qui entraînèrent la hausse des prix, ont provoqué la colère de pans entiers de la population, qui estiment que les institutions gouvernementales ont été depuis trop longtemps soumises aux intérêts d’une classe d’affairistes corrompus.

Le facteur Israël

Il y a aussi un virulent rejet du traité de paix israélo-jordanien de 1994, qui comportait des clauses de partenariat économique et de coordination en matière de sécurité.

Le nouveau ministre de la Justice jordanien, Hussein Mjali, a d’ores et déjà provoqué l’ire d’Israël en appelant à la libération d’un soldat jordanien qui avait tué des écolières israéliennes en 1997. Des activistes ont lancé des campagnes et créé des pages Facebook pour soutenir le ministre, en raison de l’immunité dont bénéficient les soldats israéliens qui commettent des crimes contre les Palestiniens.

Plus frappant cependant, c’est que Majli n’a pas été démis de ses fonctions, ce qui laisse penser que le palais est très attentif au profond sentiment anti-israélien qui traverse la société jordanienne - riches comme pauvres, Jordaniens de souche comme d’ascendance palestinienne.
En fait, ces Jordaniens de souche ont plus élevé la voix pour demander une révision de l’accord conclu avec Israël, et un groupe d’officiers de l’armée en retraite a déjà pressé le roi de considérer Israël comme un ennemi du pays.

La colère populaire à l’encontre d’Israël est une réaction à l’incapacité où se trouvent les négociations entre Palestiniens et Israël d’aboutir à la création d’un état palestinien et à la conviction que la politique israélienne mènera à l’établissement d’un substitut de patrie pour les Palestiniens en Jordanie. La moitié au moins de la population jordanienne est d’origine palestinienne et beaucoup craignent qu’Israël force les Palestiniens à l’exode vers la Jordanie, pour faire de la place à encore plus de colonies illégales à Jérusalem - Est et dans les Territoires occupés.

Plutôt, la préoccupation selon laquelle l’écroulement du régime pourrait autoriser Israël à exploiter le vide du pouvoir qui en résulterait semble partagée par le palais. Mais, la menace que représente Israël est aussi un puissant moteur pour l’opposition, à la recherche de réformes assurant la sauvegarde du pays face à son voisin.
Galvanisés par le succès des révolutions en Tunisie et en Egypte, les Jordaniens sont bien décidés à maintenir la pression sur leurs gouvernants afin de s’assurer que le régime entreprendra les changements radicaux qui permettront le partage du pouvoir. A la différence d’autres dirigeants arabes, le roi n’a pas dû faire face à une exigence de changement de régime.

Mais la colère en Jordanie ne peut être apaisée par une poignée de changements cosmétiques. Le roi peut être amené à céder quelques prérogatives de l’exécutif pour rétablir la confiance dans l’état. Le baromètre du mécontentement enregistre une poussée et, si le roi n’agit pas, l’aggravation de la situation économique et la répression pourraient pousser des manifestations pacifiques à se transformer en un puissant mouvement populaire.

* Lamis Andoni est une analyste et une commentatrice des questions du Moyen-Orient et de la Palestine.

De la même auteure :

- La résurrection du panarabisme - 21 février 2011
- A tous les tyrans du monde arabe... - 17 janvier 2011
- Le renouveau des mobilisations sociales et politiques dans le monde arabe - 7 janvier 2011
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21 février 2011 -A Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction de l’anglais : Mikâ’il