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Ecoutez rugir le lion égyptien
dimanche 13 février 2011 - Ramzy Baroud
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Un véritable mouvement de défense des droits civils a conquis la rue en Egypte, et son impact s’étendra à toute la région moyen-orientale, voir au-delà - Photo : Reuters/Asmaa Waguih

Quel bruit c’était, en effet. Les manifestations ont montré au monde que les Arabes sont capables de beaucoup plus que d’inspirer de la pitié ou d’être réduits à des statistiques de chômage et d’analphabétisme ou à des sujets dociles de dirigeants « modérés », mais « forts » (un acronyme pour les dictateurs amis).

Les temps changent, et les commentaires du député britannique George Galloway sur le rugissement du lion arabe semblent encore plus vrais de jour en jour. Les Egyptiens se sont révoltés avec panache, et leur révolution restera dans les livres d’histoire associée à des adjectifs comme « grande », « noble » et « historique ».

À vrai dire, les Arabes ont eu leur juste part des « révolutions » de palais. Les régimes arabes ont toujours eu le chic dans la façon dont ils exploitaient ce mot pour qualifier leurs coups d’Etat militaires ou autres pirouettes conçues pour impressionner ou intimider les masses. Dans toute l’histoire moderne du monde arabe se révèle une utilisation abondante du mot « thawra » - révolution. Le label a été utile, tous ceux osant critiquer le régime ou revendiquer des droits fondamentaux (tels que celui de s’alimenter) pouvaient alors être dénoncés comme ennemis de n’importe quelle révolution auto-proclamée.

D’innombrables prisonniers politiques arabes ont été désignés comme « al ’a’da’ Thawra » - ennemis de la révolution - et ils ont payé un lourd tribut pour leurs « crimes ». Rien qu’en Egypte, il ressort d’après des estimations approximatives que le nombre actuel de prisonniers politiques (appartenant à différents horizons idéologiques) est de 20 000. Le chiffre doit être beaucoup plus important maintenant que les nouveaux ennemis de la révolution - c’est à dire l’essentiel de la population égyptienne - ont osé exiger les libertés, les droits, la démocratie, et ce qui est le plus tabou : la justice sociale.

S’il y a une révolution digne de ce nom, c’est bien celle-ci. Merci à l’Egypte, les gens du monde entier ont été obligés de repenser leur vision des « Arabes ». Même certains d’entre nous qui persistaient à dire que l’avenir du Moyen-Orient ne pouvait être décidé que par le peuple, avaient finalement commencé à perdre espoir.

Nous avons tout entendu : que nos paroles étaient superflues, sentimentales, et, au mieux, une opportunité pour une réflexion poétique mais pas pour la politique réelle. Maintenant nous savons que tout ce temps nous avons eu raison. L’Egypte est la plus claire et véridique manifestation de la possibilité que les peuples façonnent leur propre histoire - et non seulement au Moyen-Orient, mais partout dans le monde.

La révolution populaire spontanée en Egypte a été un soulèvement des plus dignes, rompant avec le sentiment d’humiliation collective que les Arabes ont ressenti pendant tant d’années, mais encore aiguisé depuis l’invasion et le viol si flagrant de l’Irak par les Américains.

« C’en était devenu presque un fardeau d’être un Arabe », a déclaré à Al Jazeera un de ses correspondants. La mention « du Moyen-Orient » est devenu un motif suffisant pour être suspect dans les aéroports internationaux. Il n’est même pas jugé entièrement raciste de poser des questions du genre : « Vous les Arabes, êtes-vous capables de construire une démocratie ».

En fait, des discussions échauffées dans les médias émanaient des questions sur ce que les Arabes ont été - ou plutôt, n’ont pas été - capables de réaliser. Chaque guerre contre les Arabes a été faite sous le prétexte « d’apporter » quelque chose à des peuples qui semblaient bloqués par leurs propres échecs collectifs. Dans un de mes premiers cours de sciences politiques à l’Université de Washington, il y a des années, le professeur nous avait annoncé que « nous étudierions le Moyen-Orient, qui se compose de gouvernements forts et de peuples faibles. » À l’exception d’Israël, bien sûr.

Les médias nous ont longtemps saoulés avec l’affirmation qu’Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient. Combiné avec de sérieux doutes sur la disposition des Arabes pour la démocratie, la conclusion allait d’elle-même : Israël porte des valeurs similaires à celles des États-Unis, de l’Occident, du Premier Monde, de l’hémisphère civilisé, et les Arabes incarnent tous les maux du monde. Il importe peu que les régimes arabes aient produit des « puissants » avec le soutien de leurs bienfaiteurs occidentaux, ou que l’oppression - au nom de la lutte contre les ennemis de la paix et du progrès - ait été encouragée, financée et orchestrée avec les intérêts occidentaux à l’esprit.

Le fait que les balles et les bombes lacrymogènes qui ont tué et blessé de nombreux Egyptiens avaient l’inscription suivante, en arabe : suni’a fi al al-wilayat al-Mutahida-amrikyia - fabriqué aux États-Unis - a également été jugé totalement hors-sujet dans toute discussion sur comment et pourquoi des Egyptiens ont été tués, ou pourquoi le Lion arabe ne devait jamais retrouver son rugissement.

« Le si apprécié Mossad a été pris par surprise », écrit Uri Avnery. La CIA l’a été aussi, bien que les élus américains tentent de déterminer « si la CIA et d’autres agences d’espionnage n’ont pas fourni au Président Obama des avertissements insuffisants sur la crise en cours en Egypte » (tel que cité par Greg Miller dans le Washington Post, Février 4). La sénatrice Dianne Feinstein, qui dirige la commission du renseignement, a accusé les services du renseignement d’un « manque » de performance. La CIA aurait dû surveiller plus étroitement Facebook, a-t-elle fini par suggérer.

Mais il peut être impossible de prédire à quel moment une nation se révolte. L’énorme majorité des participants n’ont aucun compte Facebook. Ils ne tweet pas. Sur la place Tahrir, un homme avec une moustache, la peau sombre et un beau visage portait une pancarte sur laquelle il avait écrit, plutôt hâtivement : « Je veux manger. Mon salaire par mois est de 267 Livres (égyptiennes) - soit environ 45 dollars US - et j’ai quatre enfants ».

D’autres veulent respirer l’air de la liberté. D’autres encore veulent la Justice. La Dignité. L’Egalité. La Démocratie. L’Espoir. Comment de telles valeurs peuvent-elles être soumises à évaluation, ou comment ose-t-on imaginer s’en protéger ?

Il y a un terme très populaire en Egypte : Al-Sabr. Cela signifie la patience. Mais personne ne pouvait prédire quand la patience arriverait à son terme. Les intellectuels arabes et égyptiens n’ont pas vu venir cet instant, et même les partis d’opposition du pays ont été pris par surprise. Tout le monde a essayé de rattraper son retard alors que des millions d’Egyptiens, longtemps opprimés, se sont à l’unisson soulevés : Hurriya, Hurriya, igtimayyia Adalah - la Liberté, la Liberté, la justice sociale.

Juste au moment où on nous prétendait que les conflits religieux étaient sur le point d’engloutir l’Egypte, et que son peuple avait été ligoté au point qu’il n’y avait aucun espoir, des millions d’Egyptiens courageux ont déclenché une révolution qui a réuni Musulmans et Chrétiens. Le courage et la bravoure dont ils ont fait preuve est suffisante pour restaurer notre foi dans le monde - dans le genre humain et en nous-mêmes. Ceux qui se demandent encore si les Arabes sont capables de ceci ou de cela n’ont plus à réfléchir à cette question. Il suffit de les écouter rugir, et vous trouverez la réponse.

Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Mon père était un combattant de la liberté : L’histoire vraie de Gaza (Pluto Press, London), peut être acheté sur Amazon.com.

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10 février 2011 - Transmis par l’auteur - Traduction : Claude Zurbach