L’écrivain et Prix Nobel de Littérature en 1998, José Saramago, est décédé à Lanzarote ce vendredi 18 juin 2010, à l’âge de 87 ans.
« Fils et neveu de paysans, José Saramago est né dans le village d’Azinhaga, dans la province du Ribatejo, le jour du 16 novembre, et ceci bien que le registre officiel mentionne comme date de naissance le 18 novembre. » Ainsi débute sa biographie présentée sur le site de la Fondation portant son nom. Les parents de celui qui était un futur Prix Nobel émigrèrent pour Lisbonne avant qu’il ait atteint sa deuxième année.
Il fit des études secondaires (lycée et techniques) qu’il ne put poursuivre pour des raisons économiques. Il publia son premier livre, un roman, Terra do Pecado, en 1947. Il travailla douze ans pour une maison d’éditions où il exerça les fonctions de directeur littéraire et de publication. Il collabora comme critique littéraire à la revue Seara Nova. En 1972 et 1973, il fit partie de la rédaction du journal Diário de Lisboa où il fut commentateur politique, assurant aussi la composition durant une année, du supplément culturel hebdomadaire du même quotidien.
Entre avril et novembre 1975, il fut directeur-adjoint du journal Diário de Notícias. A partir de 1976 il se mit à vivre exclusivement de son travail littéraire, d’abord comme traducteur puis comme auteur. Il décida en février 1993 de partager son temps entre sa résidence habituelle à Lisbonne et l’île de Lanzarote dans l’archipel des Canaries [Espagne].
Trois décennies après la publication de Terra do Pecado, Saramago revint au monde de la prose avec un Manuel de Peinture et de Calligraphie. Il publiera ensuite Levantado do Chão (1980), dans lequel il relate la vie de privations de la population pauvre de l’Alentejo.
Deux années plus tard parait Memorial do Convento, livre qui conquit définitivement l’attention des lecteurs et des critiques.
De 1980 à 1991, l’auteur publie quatre nouveaux romans : O Ano da Morte de Ricardo Reis (1984), A Jangada de Pedra (1986), História do Cerco de Lisboa (1989), et O Evangelho Segundo Jesus Cristo (1991).
Les années suivantes, il publie encore six romans : Ensaio Sobre a Cegueira (1995) ; Todos os Nomes (1997) ; A Caverna (2001) ; O Homem Duplicado (2002) ; Ensaio Sobre a Lucidez (2004) ; et As Intermitências da Morte(2005).
Ses derniers romans ont été : A Viagem do Elefante, 2008, et Caim, 2009.
Il a obtenu le Prix Nobel de Littérature en 1998. Il obtint également le prix Camões, le plus important prix littéraire de la langue portugaise. Il était marié à Pilar del Río.
En 1990, il inaugura au théatre de la Scala de Milan un opéra Blimunda, avec une composition musicale d’Azio Corghi et basé sur le roman Memorial do Convento.
La polémique avec l’église catholique et le veto du PSD
Saramago a toujours été confronté à une forte opposition et à de fortes critiques de la part de l’Eglise catholique, bien que l’écrivain ait toujours revendiqué de pouvoir bénéficier de ses droits à la liberté religieuse et à la liberté d’expression. Cette relation tendue avec l’Eglise catholique s’est aggravée du fait de l’origine portugaise de Saramago, le Portugal étant encore un pays où le catholicisme est très puissant et où le soumettre à la critique est toujours un tabou.
En raison de son origine portugaise et de toute l’influence culturelle exercée par le catholicisme dans ce contexte, Saramago a ressenti le besoin d’aborder la Bible dans son travail d’écrivain, puisque ce document fait partie de son patrimoine culturel, à la différence, par exemple, du Alcorão [le Coran] pour lequel Saramago estimait qu’il ne lui revenait pas de l’aborder.
Saramago interpréta la Bible comme un livre « des mauvaises manières », y faisant référence comme à « un catalogue de la cruauté et du pire de la nature humaine. » Il a été jusqu’à dire que, pour une personne du commun, son déchiffrement requérait d’avoir « un théologien à côté de soi ».
La parution du livre L’Evangile selon Jésus-Christ [O Evangelho Segundo Jesus Cristo] en 1991, a été très controversée. Le long processus d’acceptation de l’ ?uvre, du point de vue politico-religieux, a abouti au départ définitif de Saramago du Portugal pour l’Espagne.
En 1991, Sousa Lara, vice-secrétaire d’Etat adjointe pour la culture [sociale-démocrate], a opposé son veto au livre L’Evangile selon Jésus-Christ et exclu l’ouvrage d’une liste de romans portugais candidats au Prix Littéraire Européen. Saramago a considéré cet acte comme une « censure ». À l’époque, en raison de ces événements démesurés, Saramago a même proposé l’ajout de deux nouveaux droits à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme : le droit à la dissidence et le droit à l’hérésie.
La sortie de Caïn en 2009, a réveillé d’antiques controverses, même au XXIe siècle, et a considérablement aggravée sa (non)relation avec l’Eglise catholique. Le député du PSD [Parti Social-Démocrate] Mario David, par exemple, parlant à titre personnel et se posant en catholique non-pratiquant, a écrit sur son blog qu’il avait honte d’être un compatriote de l’écrivain. Puis le même répéta dans les médias que Saramago « devrait abandonner la nationalité portugaise » - tout cela a propos de Caïn (malgré toutes ces déclarations, l’écrivain a dit n’avoir jamais songé à abandonner la nationalité portugaise).
Ses activités politiques
Son militantisme dans le Parti Communiste Portugais, commencé en 1969, est une marque significative de l’activité politique de José Saramago, avec un investissement particulièrement visible et critique dans la période 1974-1975. Cependant, bien avant de rejoindre le PCP, l’écrivain avait déjà exprimé son opposition à la dictature de Salazar et subi des représailles du régime fasciste.
Dans les années 1948-1949, Saramago avait soutenu la candidature du général Norton de Matos, à la présidence de la République en opposition au candidat du régime, ou aussi celle du général Óscar Carmona. Cet acte courageux lui coûtera son emploi à la Caixa de Abono de Família da Indústria da Cerâmica.
Après la Révolution d’avril [« Révolution des ?illets »] et au moment de la tentative de coup d’Etat du 25 Novembre dans le processus de contre-révolution qui s’affirmait de plus en plus, José Saramago a été retiré du journal Diário de Notícias, et, se sentant un peu mis à l’écart par le PCP, comme il le dit dans un entretien au Público (2006) : « Bien sûr, mon parti n’a pas eu la gentillesse de m’inviter à intégrer la rédaction de O Diário, comme l’ont fait ceux qui ont quitté le Diário de Notícias. A l’époque je n’ai pas du tout apprécié. Aujourd’hui encore, je n’apprécie pas, mais je remercie ».
Se retrouvant à nouveau sans travail, après le 25 Novembre, il décide de ne pas rechercher un autre emploi et de se consacrer exclusivement à l’écriture et à la traduction.
Ses seuls revenus provenaient donc de son travail de traducteur, et il intensifia cette activité à partir de cette année-là, traduisant en portugais quelques vingt-sept ?uvres entre 1976 et 1979, dont beaucoup pour des raisons politiques : Frémontier, Jivkov, Moskovichov, Pramov, Grisnoni, Poulantzas, Bayer, Hegel, Romain, etc.
A la fin des années 80, avant le XIIe Congrès du PCP, avec d’autres écrivains et intellectuels comme Urbano Tavares Rodrigues, Baptista-Bastos et Mario de Carvalho, Saramago a signé le document qui est connu sous le nom de « troisième voie » dans lequel il alertait sur le besoin de changement. Le document a été signé par un groupe hétérogène, certains demandant une plus grande ouverture et plus de démocratie interne, d’autres revendiquant des transformations idéologiques.
En 1990, Saramago a été président de l’Assemblée Municipale de Lisbonne (AML), lorsque Jorge Sampaio était maire de Lisbonne, dans le cadre d’une coalition entre le PCP et le PS [Parti Socialiste]. Son mandat a duré un peu plus d’un mois, ayant démissionné dès mars de la même année.
João Lopes Marques, écrit dans José Saramago - Biographie (2010), que, après l’expérience à l’AML, l’écrivain « souhaitait rester un militant pouvant utiliser son grand prestige comme un capital politique symbolique au profit du PCP dans des activités ponctuelles ». Il ajoute, « il est toujours intervenu (...) contre toute fragmentation du PCP. » « C’est pourquoi, tout au long de son chemin avec le PCP il est apparu comme militant pour l’unité et la différence, la continuité et le changement, avec une aversion pour les transfuges de droite, et il critiquait le manque d’adaptation aux phénomènes de recomposition anti-capitaliste à la gauche des anciens partis communistes. »
En 2003, Saramago a fait des déclarations (dans un article paru dans El País) dénonçant sans équivoque la mise à mort de trois dissidents cubains, ce qui le conduisit à adopter une attitude plus distanciée avec le régime de Castro : « Cuba n’a remporté aucune bataille héroïque en fusillant ces trois hommes. Ma confiance est perdue, mes espoirs détruits (...) »
Il était aussi connu pour son soutien et sa solidarité à la cause palestinienne et pour son rejet sans équivoque des actions politico-militaires israéliennes.
Le Bloc de gauche évoque la mémoire de Saramago
Le responsable parlementaire du Bloc de gauche, José Manuel Pureza, a parlé de José Saramago comme d’un écrivain « toujours rebelle » dans son style et dans ses causes, « un homme de lettres qui, grâce à cet outil, a lutté pour l’équité et la dignité. »
Manifestant sa tristesse face à la mort de Saramago, José Manuel Pureza a ainsi commenté l’itinéraire de l’écrivain : « Se levant du chaos, José Saramago a combattu la cécité, la cécité sociale qui est le fondement de l’injustice au Portugal. »
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* Consultez la présentation du film « Écrivains des frontières » de Samir Abdallah.
18 juin 2010 - Esquerda.net - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.esquerda.net/artigo/adeu...
Traduction du portugais : Claude Zurbach