Le chef du Mossad d’Israël, Meir Dagan, comptait sur une petite équipe accompagnée de ses proches collaborateurs attendant dans la pièce qui donne sur le bureau du ministère de la Défense, du Premier ministre Binyamin Netanyahu, d’avoir la permission d’entrer. Cette scène se répétait chaque jeudi à midi, mais depuis peu, les rencontres sont entre Netanyahu et Dagan et s’accélèrent, jusqu’à trois fois la semaine, selon des médias israéliens. Une des causes de ce calendrier agité est que Dagan a en charge la coordination de la politique israélienne sur la question nucléaire iranienne, et on attende de lui qu’il présente des évaluations des réponses israéliennes au programme nucléaire iranien. Mais l’accumulation de réunions reflète aussi à quel point Israël prend au sérieux les efforts de l’Iran pour le nucléaire, un fait que Netanyahu a exprimé dans son récent discours à l’université de Bar-Ilan, où il a déclaré que la menace nucléaire iranienne était actuellement la principale menace à laquelle était confrontée Israël.
Malgré l’apparente satisfaction d’intellectuels et de professionnels des médias israéliens face aux manifestations qui ont fait suite aux élections présidentielles en Iran, les décideurs israéliens ont mis en garde de leurs possibles conséquences, et les stratèges israéliens se sont accordés pour affirmer que l’élection de Mir-Hussein Mousavi comme président de l’Iran, constituerait une menace bien plus sérieuse pour Israël que le régime de Mahmoud Ahmadinejad. L’accession de Mousavi, arguent-ils, conduirait à faire tomber la pression montante internationale qui pèse sur l’Iran pour l’arrêt de son programme nucléaire. Le Maariv, le second quotidien d’Israël, a cité des officiels du ministère de la Défense déclarant qu’il serait difficile pour Israël de justifier une attaque sur les installations nucléaires iraniennes si Mousavi était président de l’Iran, même si les décideurs d’Israël conviennent que Mousavi ne serait pas différent d’Ahmadinejad s’agissant de l’intérêt pour le programme nucléaire iranien.
Dans une large mesure, ce qui soucie Israël à propos du programme nucléaire iranien, c’est la crainte qu’en a l’opinion israélienne elle-même. De nombreux israéliens lient le maintien de leur présence en Israël aux développements du programme nucléaire iranien, et la réponse furieuse du gouvernement de Netanyahu au sondage d’opinions publié par la presse israélienne à la fin du mois dernier est compréhensible - environ un quart des Israéliens disent qu’ils quitteront le pays si l’Iran réussit dans le développement de l’arme nucléaire. Cette enquête démolit les mythes sur lesquels se fonde le sionisme et qui soulignent les liens spirituels, historiques et religieux entre les juifs et cette terre. Maintenant, nombreux sont ceux en Israël qui soulèvent des questions difficiles sur ces mythes, et un quart d’entre eux disent qu’ils abandonneront le pays si un Etat voisin développe l’arme nucléaire.
Comme le suggèrent les sondages de l’opinion publique israélienne, le nombre de ceux voulant fuir Israël grandirait si l’Iran développait aujourd’hui l’arme nucléaire. Et ces sondages confirment également les craintes exprimées par le ministre de la Défense israélien, le général Ephraim Sneh, qui disait il y a deux ans qu’Israël imploserait si l’Iran développait l’arme nucléaire, car la plupart des juifs quitteraient simplement Israël. Ces sondages expliquent aussi pourquoi Israël voit en tout Etat arabe ou islamique voisin qui développerait l’arme nucléaire une menace existentielle.
Naturellement, il existe aussi d’autres raisons à la terreur des Israéliens face à l’éventualité que l’Iran, ou d’autres pays islamiques ou arabes dans la région acquièrent l’arme nucléaire. Les décideurs à Tel-Aviv voudraient taire ces raisons pour ne pas inciter ces pays à rejoindre les puissances nucléaires. Pourtant, selon des remarques d’experts de la sécurité israélienne exprimées devant la commission des Affaires étrangères et de la Sécurité de la Knesset, il y a une toute une liste de motifs à inquiétude qu’Israël essaie de cacher à propos de la possibilité que l’Iran ou tout autre pays arabe dans le région développent des capacités nucléaires, même s’ils sont jugés comme des pays modérés. Ces raisons sont notamment les suivantes :
D’abord, si un Etat arabe ou islamique proche géographiquement d’Israël développe des capacités nucléaires, cela va réduire de beaucoup la capacité d’Israël à combattre la résistance palestinienne. Israël devra alors prendre en considération la possibilité d’une confrontation dans laquelle l’usage de l’arme nucléaire sera une menace. Ces craintes ont été exprimées dans un rapport soumis par les renseignements militaires israéliens au gouvernement il y a un an. Netanyahu, par exemple, a estimé qu’Israël n’aurait pas été aussi sûr de lui pour sa dernière guerre contre la bande de Gaza et n’aurait pas lancé de telles opérations de massacres et de destructions à grande échelle si les Arabes avaient possédé l’arme nucléaire. En tant que tel, les décideurs en Israël estiment qu’un développement de l’arme nucléaire arabe ou iranien donnerait à la résistance palestinienne une plus grande marge de souplesse et une portée stratégique effective. Cela aurait pour effet d’accroître la menace à la sécurité israélienne tandis que Tel-Aviv resterait dans l’incapacité de répondre de façon ferme.
Deuxièmement, le stratège israélien Shalom Gutman est d’avis que l’Iran et les Arabes, s’ils développaient l’arme nucléaire, remettraient en cause le rôle d’Israël dans la région, rôle qui profite à l’Occident. Israël a toujours prétendu que l’Occident, et spécialement les Etats-Unis, ne lui faisait pas une faveur en le soutenant avec des armes pour lui faire jouer le rôle de « gendarme » qui punit les « hors-la-loi » de la région. Ce rôle a été reconnu par l’ancien Premier ministre israélien, Ariel Sharon, qui, il y a plusieurs années, déclarait sur le réseau américain de CNN, « Vous, les Américains, vous ne nous faites pas une faveur en nous offrant votre aide, pour qu’Israël joue le rôle d’avion-cargo américain permanent dans la région du Moyen-Orient. » Il est certain que si l’Iran ou des Arabes possédaient l’arme nucléaire, Israël perdrait ce rôle, pendant que les armes du « gendarme » deviendraient obsolètes et n’effrayeraient plus personne, au point que ce serait Israël qui aurait plus besoin de l’Occident que l’inverse. L’ancien ministre de la Défense, Shaul Mofaz, a averti que la réussite des Arabes dans l’acquisition du nucléaire leur permettrait de développer des relations avec l’Occident sur des bases différentes de celles qui gouvernent actuellement les relations de l’Occident avec les Arabes.
Troisièmement, un développement arabe de l’arme nucléaire ferait perdre de sa portée à l’arsenal conventionnel d’Israël dans des confrontations militaires futures. Ce serait aussi dommageable pour de nombreuses institutions israéliennes de sécurité dont les réussites sont devenues légendaires, en particulier le Mossad, actuellement chargé de saper les tentatives arabes de développement de l’arme nucléaire. Cette mission est basée sur le principe de Menachem Begin établi à la suite du bombardement en 1981 du réacteur nucléaire iraquien, et selon lequel Israël est dans l’obligation d’empêcher, par tous moyens, des « Etats ennemis » de disposer de l’arme nucléaire, y compris en attaquant des installations soupçonnées d’intégrer des plans futurs pour développer l’arme nucléaire.
En plus, Israël serait économiquement mis à l’épreuve par la nécessité d’affecter un budget important à la construction d’abris et d’installations pour répondre aux effets d’une guerre où l’arme nucléaire serait utilisée. Malgré le coût de construction exorbitant de tels abris, le gouvernement israélien y serait contraint pour rassurer ses habitants et les convaincre de rester. Il sait à quel point l’opinion serait terrifiée si des Arabes et des musulmans possédaient l’arme nucléaire et que cela pourrait entraîner un exode massif hors d’Israël.
Et enfin, une grande partie de l’élite d’Israël estime que le développement de l’arme nucléaire mettrait un terme, pour de bon, au plus important pilier du projet sioniste, l’immigration juive en Palestine. Si on sait qu’un large pourcentage de juifs vivant en Palestine veut partir, il est quasiment certain que l’immigration juive vers la Palestine cesserait.
Tout cela montre à quel point est fragile l’entité sioniste, en dépit de sa supériorité militaire et technique et de ses victoires sur les armées arabes. Rien de tout cela n’empêche Israël de sentir qu’il peut revenir à la case départ, à tout moment. Le changement de la nature du conflit dépend largement de la capacité des Arabes à développer l’arme nucléaire. Même ceux qui croient à un règlement politique avec Israël doivent réaliser que, sans un changement significatif dans l’équilibre des forces stratégiques, Israël ne sera jamais convaincu de modifier ses positions actuelles pour un règlement du conflit.
Du même auteur :
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25 juin/1er juillet 2009 - Issue No. 953 - Al-Ahram weekly - Photo : AP/E. Morenatti - traduction : JPP