L’histoire d’une famille
Je vais commencer par raconter l’histoire d’Ezbet Abbed Rabu, à l’est de Jabaliya, où les maisons de la route principale nord-sud, Salah al-Din, ont été pénétrées par des balles, des bombes et / ou des soldats. Si elles n’ont pas été détruites, elles ont été occupées ou murées. Ou occupées et ensuite détruites. L’armée a été créative dans sa destruction, la spoliation des biens, les insultes. Créative dans la façon dont ils ont pu chier dans les chambres et réserver leur merde pour les armoires et les endroits les plus inattendus. En réalité, leur créativité n’était pas si grande. Le reste était de la routine : saccager la maison de haut en bas. Retournez ou briser chaque placard à vêtement, chaque étagère de la cuisine, la télévision, l’ordinateur, la vitre de la fenêtre et le réservoir d’eau.
La première maison que j’ai visité était celle d’amis très chers, avec qui nous avions passé la soirée avant que l’opération terrestre ne commence, avec lesquels nous nous étions réfugiés dans leur sous-sol tandis que le fracas aveugle des missiles pulvérisaient le quartier. Je m’inquiétais sans cesse au sujet du père. Quand j’ai vu qu’il était encore vivant, j’ai fait le tour, du bas jusqu’en haut. Le coffre-fort dans la pièce du rez-de-chaussée était le moins touché : un cataclysme, de la terre amoncelée sous les fenêtres projetée par le bombardement qui a effondré le flanc de la colline derrière, des matelas retournés et des affaires éparpillées. Cette pièce était la plus propre, la moins endommagée.
À l’étage, au niveau de l’appartement du premier, une complète confusion. Excréments sur le sol. Destruction de chaque chose. Boîtes de conserve ouvertes laissées par l’armée israélienne. Impact de balles sur les murs. Puanteur.
Au deuxième étage, deux appartements contigüs, les extensions des pièces des fils, épouses et enfants. Le désordre et la puanteur encore pire. C’était la base principale des soldats, ainsi que l’attestent les boîtes de nourriture - repas préemballés, nouilles, plaquettes de chocolat et sandwiches sous emballage plastique - ainsi que les vêtements laissés par les occupants. Un pantalon de soldat dans la baignoire, souillé de merde.
F. me dit : « L’odeur était terrible. La nourriture était partout. Une odeur infecte. Ils ont mis de la merde dans les lavabos, de la merde partout. Nos vêtements étaient répandus partout. La dernière fois qu’ils nous ont envahi [Mars 2008], ça a été facile. Ils ont tout cassé et nous avons réparé. Mais cette fois, ils ont mis de la merde partout : dans les armoires, les lits - mon lit est plein de merde. »
Elle est forte et a pris en charge les invasions précédentes, mais la profanation de sa maison l’a anéantie.
« Une minute avant, Sabreen a ouvert son armoire à vêtements : il y a trouvé une cuvette d’excréments ! Ils ont utilisé nos vêtements pour les toilettes. Ils ont cassé la porte de la salle de bain et l’ont mis dans notre chambre. Je ne sais pas pourquoi. »
La porte est par terre dans sa chambre, celle-ci est dans le même état que si une tornade avait tout mis en morceaux. « Ils ont pris ma lingerie et l’ont laissé traîner partout », elle poursuit, énumérant ce qui l’atteint personnellement, bien plus douloureux que la perte financière.
Tandis que F. continue de nettoyer le mess des soldats, elle parle de l’état d’esprit de sa famille, « Abed [son jeune neveu] est très effrayé, il veut partir à cause de la zenana », allusion aux drones qui les survolent malgré le prétendu cessez-le-feu déclaré unilatéralement par Israël le 18 Janvier et violé par Israël depuis.
« Une armée professionnelle »
Quand je leur ai rendu visite deux jours plus tard, la maison était beaucoup plus en ordre mais encore empuantée par l’odeur tenace de la présence des soldats. « Nous avons nettoyé autant que nous le pouvons, mais c’est très difficile. Nous n’avons toujours pas d’eau courante, nous devons remplir des brocs à la réserve d’eau de la ville » Marcher sur la piste de sable, je sais combien c’est difficile, même à pied et les mains vides, mais beaucoup moins que chargés de lourds bidons ou en essayant de diriger un espèce de chariot pour transporter de grandes quantités d’eau. La piste était un chemin plus que correct avant d’être lacérée, ainsi que les terres alentour, par les chars et les bulldozers israéliens.
Je regarde du balcon de la cuisine, et je vois en dessous la terre rasée, des maisons bombardées, au-delà l’arbre de jumeiza, brûlé, mais encore debout au milieu des ruines. Le réservoir d’eau en ciment qui a survécu aux raids antérieurs et qui, le mois dernier, a finalement disparu, détruit par les bombardements aériens.
De la fenêtre du salon, nous regardons le sommet de la colline derrière qui, comme l’a déjà expliqué F. , a été investi par les troupes israéliennes lors d’invasion dans le passé. Cette fois, les tanks sont non seulement amassés mais forment une immense arène dans l’enceinte de laquelle les soldats israéliens ont amené les détenus Palestiniens. Un voisin, me dit F., a été pris là. Lui, 59 ans, et son fils, 19 ans, ont été conduits là sous la menace des armes et mis en sous-vêtements. Les soldats d’occupation les ont encadrés avec des tanks, en cercle. « Nous n’avions rien fait de mal », ont-ils dit plus tard à F.. Ils ont été détenus en Israël pendant trois jours en isolement cellulaire, les yeux bandés, menottés, interrogés par intermittence, battus et interrogés de nouveau, on leur demandait « Avez-vous des tunnels à votre domicile ? Où sont les combattants ? Où sont les rockets ? Savez-vous quelque chose à propos du Hamas ? Nous détruirons votre maison si vous connaissez quelque chose. »
La s ?ur de F., A, décrit les 17 jours à l’école Foka, après l’évacuation de leur maison d’Al-Tatra. Les écoles qui étaient considérées comme un havre de sécurité (mais en réalité ne l’étaient pas, comme on l’a vu avec al-Fakhoura et les autres écoles des Nations Unies qui ont été bombardées et frappées avec ce qui est presque certainement du phosphore blanc) n’étaient pas des YMCA [auberges de jeunesses], pas même le confort le plus basique, certainement pas de chauffage, ni de boissons chaudes, ni de nuits paisibles.
« Nous ne pouvions absoluement pas dormir pendant la nuit, nous avions très peur. Nous n’étions pas en sécurité. Où pouvions-nous aller ? Nous n’avions nul part où aller. Nous étions 35 personnes dans une petite salle de classe. Il n’y avait aucuns matelas, pas de couvertures. Il faisait froid, très froid, la nuit. Pas d’électricité. Pas d’eau. Les quelques toilettes de l’école étaient utilisées par des centaines d’entre nous, elles étaient bondées, sales. Nos parents ont pu nous faire parvenir des couvertures, après les quatre premiers jours , alors ça a été mieux. Mais nous n’avions pas assez à manger, seulement un peu de pain, pas assez pour une famille, et des conserves de viande. »
La conjecture habituelle et la reconnaissance d’être en vie l’emporte sur ce qui est son droit d’être indigné, déprimé, de pleurer et de se lamenter sur ses souffrances.
« Dieu merci, nous avons une chambre dans notre maison. Les maisons de beaucoup de gens ont été complètement détruites », dit-elle à propos de sa propre maison gravement endommagée. Les soldats qui ont saccagé, détruit leurs vêtements et bombardé la maison ont également volé un ordinateur et 2000 dollars jordaniens, me dit-elle. Pourquoi mentirait-elle ? Je sais que la famille est honnête, pas menteuse. Ils n’ont aucune raison d’inventer ce vol. Et leur cas n’est pas isolé.
Amnesty International a envoyé une équipe pour enquêter à Gaza après les attaques israéliennes. Chris Cobb-Smith, aussi expert militaire et officier de l’armée britannique pendant près de 20 ans, dit « les gazaouites ont eu leurs maisons pillées, saccagés et profanés. En outre, les soldats israéliens ont laissé non seulement les monceaux de détritus et d’excréments mais des munitions et autres équipements militaires. Ce n’est pas le comportement qu’on peut attendre d’une armée professionnelle. »
Et ce n’est que l’histoire d’une seule famille.
Terreur psychologique
Deux de ses garçons travaillaient à extirper des vêtements, des livres et tout ce qui était accessible sous l’armoire renversée. Chaque objet est sacré. La mère m’a conduit à travers sa maison, soulignant les nombreuses violations commises contre leur existence, chaque mur avec des graffitis, chaque fenêtre brisée, verres et vaisselle, sacs de farine fendus - alors que le blé est si précieux — et le même révoltant étalage des restes des soldats : aliments pré-emballés pourris, excréments partout, sauf dans les toilettes, vêtements utilisés comme papier toilette. La même odeur putride.
« Ils ont tout cassé, brisé nos vies. C’était la chambre des garçons » Nous continuons à travers les décombres. « Regardez, regardez ici. Vous voyez ça ?! Regardez ça ! » .... devient le refrain tandis que nous progressons à travers les chambres et les biens détruits.
Il ne s’agit pas seulement de la destruction, de la souillure, du vandalisme, du gâchis. C’est également l’interruption de la vie, une vie déjà interrompu par le siège. Elle a tendu des livres scolaires, déchirés, souillés, et a demandé comment ses enfants sont censés étudier s’ils n’ont pas de livres, s’ils ont dû fuir leur maison, vivant dans la peur constante d’un autre bombardement de missiles (de la part de la quatrième armée la plus puissante).
Lecture d’un graffiti laissé par des soldats israéliens :
Certains de ces graffiti disent :
« Nous ne haïssons pas les Arabes, mais nous tuerons tous les membres du Hamas », et « l’IDF [armée israélienne] a été ici ! Nous savons que vous êtes ici. Nous n’allons pas vous tuer, vous allez vivre dans la peur et la fuite toute votre vie ! »
Pour les membres survivants de familles comme la sienne, cette terreur psychologique est réelle. Pour ceux qui ont déjà été tués, le « nous ne voulons pas vous tuer », est un mensonge. Demandez aux pères, mères, frères et s ?urs et enfants survivants.
Du toit, on voit les maisons voisines sur qui la machine militaire israélienne a abattu sa colère. Et d’épaisses couches de terre que retenaient jadis les maisons et les arbres, maintenant mises à nus, desquelles émergent des fragments de pilier aux angles brisés, des gravats, des poutres et des traces de tanks.
« Ici, ici, venez voir par ici, par ici. »
« C’était toute notre terre : des clémentines, des citrons, des olives ... »
« C’est la maison de mon frère, là-bas, tout est cassé ... »
Les drones étaient encore en train de survoler, les mots trop urgents, trop nombreux, trop rapides, trop étourdissants.
Des maisons et des vies descendues à niveau zéro et plus par l’anéantissement récent. Passons devant une pompe à eau qui servait au moins à 10 maisons dans le quartier, frappée par des missiles, des ruines.
Dépassant plusieurs carcasses de maisons, je rencontre Yasser Abu Ali, co-propriétaire d’un magasin de peinture et d’outillage bombardé et rasé par deux missiles F-16 . Dix-sept personnes étaient directement dépendantes de l’entreprise pour leurs revenus, sans compter les dépendances indirectes (fournisseurs, acheteurs). Comme Abu Ali parle des 200 000 dollars de perte pour lui et ses frères, on apprend qu’il est un cousin du Dr. Izz al-Din Abu al-Eish, le médecin dont trois filles et une nièce ont été tuées par des bombardements israéliens sur sa maison à Jabaliya . Chacun a sa propre histoire, et les histoires s’imbriquent, les tragédies s’imbriquent et s’assemblent.
* Eva Bartlett est une avocate canadienne indépendante, militante des droits humains et qui a passé huit mois en 2007 dans des communautés de Cisjordanie et quatre mois au Caire et au point de passage de Rafah. Elle est actuellement basée dans la bande de Gaza après être arrivée avec le troisième bateau de Free Gaza Movement en Novembre. Elle a travaillé avec le Mouvement de Solidarité Internationale dans la bande de Gaza, accompagnant les ambulances tout en recueillant des témoignages et se documentant au sujet des frappes aériennes israéliennes en cours et de l’invasion terrestre de la bande de Gaza.
30 janvier 2009 - The Electronic Intifada -
L’article original peut être consulté ici :
http://electronicintifada.net/v2/ar...
Photos : Eva Bartlett
Traduction de l’anglais par : Brigitte Cope