Par la beauté de sa voix et le style de sa musique, Rim Banna a enflammé tout son public, en Espagne, Suède, Suisse, Tunisie, Maroc, Italie, France, Danemark, Turquie, Russie, Norvège, Grèce, Belgique, Hongrie, Autriche et Syrie... Vendredi soir la Palestinienne envoûtera la ville de Genève [concert donné le 5 décembre 2008] de son timbre puissant.
La chanteuse-compositrice a étudié la musique et la chanson à l’Institut Supérieur de Musique "Gnesins" à Moscou. Elle y obtient son diplôme en 1991 après six ans d’études académiques, puis se spécialise dans la chanson moderne. C’est aussi à Moscou qu’elle rencontre son mari, le compositeur ukrainien Leonid Alexeienko. Avec leurs trois enfants, ils vivent actuellement en Palestine.
Révélée au début des années 1990 avec ses chansons et comptines pour enfants, elle est propulsée sur la scène internationale après avoir été invitée à Oslo en 2003 pour enregistrer l’album « Lullabies from the Axis of Evil ». Cette artiste engagée s’évertue à collecter les poèmes populaires palestiniens et à les mettre en chansons afin de les sauver de l’oubli. Chaleureuse, spontanée, Rim Banna ne cache pas sa colère contre les Israéliens.
Votre renommée gagne tout le monde arabe. On dit de vous que vous incarnez la voix de la tolérance. Comment vos chansons sont-elles reçues par le public israélien ?
Soyons clairs. Je ne chante pas chez les Israéliens, ni dans les festivals ni dans les concerts. Je fais partie des signataires de la campagne de boycott contre les artistes et intellectuels israéliens de gauche. Je ne crois pas à ce mouvement. Ces mêmes gauchistes ont supporté la guerre contre le Liban. Je ne pense pas que mes chansons puissent changer leur opinion. Je trouve que c’est aux artistes israéliens de changer les mentalités. Mais ils ne s’impliquent pas assez.
Pensez-vous que votre position radicale aide au dialogue ?
Je ne suis pas radicale, je dis la vérité telle qu’elle est : les destructions des villages palestiniens, les sièges israéliens contre les villes à Gaza et en Cisjordanie. Israël a chassé des millions de gens de chez eux et occupe nos terres. Mes chansons racontent comment ils tuent les enfants innocents avec leurs bombardements, ainsi que le sort de plus 11’000 prisonniers politiques dont 500 enfants.
C’est quand même radical de mettre ainsi tous les artistes et les intellectuels dans le même panier, non ?
Il y a quelques exceptions, mais ils se comptent sur les doigts d’une main. Et je ne vois aucune raison d’en faire des cas.
Ces quelques exceptions, vous avez des contacts avec eux ?
Non, je n’en ai pas. Mais pourquoi vous obstinez-vous à me questionner sur les Israéliens ? Interrogez-moi sur les Palestiniens. Je refuse de parler pour les deux côtés. Je ne veux me concentrer que sur le côté palestinien, le côté auquel j’appartiens, je ne veux pas parler pour ceux qui en sont à leur 536ème jour de siège sur Gaza et qui privent toute une population de nourriture, d’électricité, de médicaments, de gaz, d’eau, d’essence. C’est pour ceux-là que je veux chanter, même au péril de ma vie, je veux aller dans les hôpitaux, rencontrer ceux qui sont réduits à manger des graines pour animaux. C’est cette réalité que je veux faire connaître.
Vous n’avez jamais cru à un dialogue possible ?
Pas vraiment, mais je gardais espoir comme beaucoup d’entre nous. Au fond de moi, je ne pouvais pas croire à un changement possible de la part des Israéliens parce que cela aurait signifié qu’ils envisagent de nous rendre nos terres, et cela est inconcevable pour eux. Ils sont prisonniers de ce paradoxe. Et la jeune génération est encore plus extrême. Mais cet espoir a été anéanti en 2000 quand les Israéliens ont violé toutes les règles de l’ONU en utilisant massivement les armes lourdes sans que personne ne proteste. J’aimerais pouvoir croire que les Israéliens peuvent changer, mais ils ne le feront pas car ils veulent exister en tant qu’Etat et il est clair que, dans leur situation, négocier signifie accepter de s’affaiblir économiquement et politiquement. Et cela c’est exclus pour eux.
Comment voyez vous l’avenir ?
Je ne suis pas politicienne, mais on voit bien que tout bouge dans le monde. Donc pourquoi pas chez nous aussi ? L’union soviétique a bien basculé d’un jour à l’autre. Pour l’instant, Israël a le soutien des Etats-Unis. Mais, on ne sait pas ce qui peut se passer demain. Et je n’ai pas d’autres solutions que d’y croire.
Vous chantez aussi pour les enfants.
Trois de mes chants sont consacrés à des enfants martyrs : Mohamed Dura, tué devant les caméras TV, Fares Oudi, qui a affronté les tanks israéliens avec une pierre et Sarah, ce bébé de 18 mois que les snipers ont tué. Et une partie de mon répertoire est aussi destiné aux enfants. En janvier prochain, je sortirai un album de 20 chansons qui sera distribué gratuitement dans tous les camps de réfugiés de Syrie, du Liban, de Jordanie et de Palestine. Je ferai aussi des concerts pour les enfants de tous ces camps.
Votre origine de Palestinienne née à Nazareth, en Israël, vous pose-t-elle problème ?
Je refuse d’être étiquetée comme Palestinienne d’avant 1948 [création de l’Etat d’Israël]. Je ne suis ni de 1948 ni de 1967 [début de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza]. Je suis une Palestinienne tout court. Je n’appartiens ni à un lieu, ni à une ville ni à un quartier. Je suis aussi bien de Galilée que de Cisjordanie, Gaza ou Jérusalem. Je ne veux même pas être classifiée comme simple artiste. Je me vois comme une combattante plus qu’une artiste, mon arme, c’est ma voix.
4 décembre 2008 - Tribune de Droits Humains - Vous pouvez consulter cet article à :
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