Quand les journalistes commencent à arriver vers 10 heures, les femmes leur demandent qu’ils les prennent en photos et qu’ils filment la manifestation silencieuse. « On nous a refusé depuis un an le droit de rendre visite à nos fils, nos filles et nos maris » raconte une des femmes. « Nous voulons que tous les prisonniers nous voient dans les journaux et à la télévision afin qu’ils sachent que nous n’avons pas abandonné la lutte ».
Cette manifestation a commencé il y a 13 ans en 1995, lorsque deux femmes, Oum Jaber (mère de Jaber) et Oum Ibrahim (mère d’Ibrahim) ont manifesté ensemble devant le CICR en tenant dans leurs mains les photos de leurs fils emprisonnés. « Mes quatre fils ont tous été en prison en Israël » dit Oum Jaber. « J’ai eu l’idée de manifester en silence en tenant des photos des prisonniers pour être sûr qu’on ne les oublie pas. La première fois, nous n’étions que deux femmes devant le CICR mais nous savions que la semaine d’après nous y serions 3 ou 4 et puis, lentement, d’autres mères viendraient. » Près de 250 femmes se rassemblent maintenant chaque semaine avec à leur côté un contingent d’hommes. Cette manifestation est devenue une institution à Gaza.
Le bâtiment du CICR est un symbole pour les mères de prisonniers car depuis 1967, le Comité International de la Croix Rouge aide les Palestiniens pour leur permettre de rendre visite aux membres de leurs familles emprisonnés en Israël. Malgré de sérieuses entraves de la part des autorités israéliennes, le programme de visite des familles a continué jusqu’en juin de l’année dernière quand la partie constitutive du programme dans la Bande de Gaza a été suspendue par le gouvernement israélien.
Selon Iyad Nasr, le directeur du Département des Relations avec les média du CICR dans la ville de Gaza, Israël prétend qu’elle n’a pas de partenaire de coordination pour faciliter le programme à cause de la prise de pouvoir de Gaza par le Hamas. « Israël a le droit de prendre des mesures pour assurer sa sécurité » dit-il. « Mais elle n’a pas le droit d’empêcher les Palestiniens de rendre visite à leurs familles emprisonnées en Israël. La situation nous inquiète beaucoup ». Cette semaine marque une année depuis que le programme de visites des familles de Gaza a été suspendu et le CICR a pressé publiquement le gouvernement israélien à reprendre immédiatement le programme en disant que la suspension « prive à la fois les prisonniers et leurs familles d’un lien vital fondamental ».
Le fils d’Oum Jaber a été libéré en 1999 après avoir passé plus de 14 années en prison en Israël. Le fils d’Oum Ibrahim Mustafa Baroud qui avait 23 ans au moment de son arrestation en 1986, reste en prison et il est l’un des plus anciens prisonniers palestiniens en détention. « Israël m’a empêché de voir mon fils depuis 6 ans » dit Oum Ibrahim. « J’ai finalement eu la permission de lui rendre visite en prison en Israël l’année dernière et le CICR m’a accompagnée jusqu’au point de passage d’Erez. Mais les israéliens m’ont ordonné de me mettre en sous-vêtements ce que j’ai refusé. Alors ils m’ont renvoyé à Gaza. » Oum Ibrahim, qui a 70 ans, avait déjà été fouillée à corps et été passée sous les rayons-x avant de recevoir l’ordre de se déshabiller. « Les Israéliens avaient tout vu déjà, même mes os » dit-elle. « Ils prétendent que c’était pour des raisons de sécurité, mais j’ai le droit de protéger ma dignité et mes droits ».
Il y a environ 9.500 Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes dont 950 hommes et 4 femmes tous originaires de la Bande de Gaza. Les mères des Palestiniens emprisonnés en Israël ont enduré des années de traitement humiliant afin de pouvoir rendre visite à leurs fils, maris et filles emprisonnés. Pour les femmes de Gaza, les « procédures de sécurité » impliquent qu’elles sont régulièrement fouillées au point de passage d’Erez, parfois par des chiens dressés pour cela, elles sont interrogées pendant de longues périodes, et attendent des heures et quelques fois quand elles arrivent enfin dans les prisons c’est pour s’entendre dire que leurs maris, fils ou filles ont été transférés ailleurs sans préavis.
Chaque femme dans les manifestations silencieuses devant le CICR à Gaza a sa propre histoire. Oum Imad qui a 65 ans, participe depuis plus de 12 ans à la manifestation. « Mon fils, Imad, est en prison depuis 19 ans et mon frère, Hattim, depuis 14 ans » raconte-t-elle en tenant une photo de chaque homme. « Nous avions l’habitude de leur rendre visite une semaine sur deux, mais maintenant nous ne pouvons même pas les voir et toute communication est devenue très difficile. On nous nie nos droits humains. Ce qui nous arrive est une véritable catastrophe. » Les mots d’Oum Imad pointent la forte unité qui lie les mères de Gaza : elles demandent leurs droits collectifs afin de visiter leurs maris, fils et filles comme cela est garanti par la loi internationale.
Selon l’Article 49 de la Quatrième Convention de Genève, les transferts forcés individuels ou en masse ou les déportations de personnes protégées d’un territoire occupé au territoire du pouvoir occupant sont interdits. Depuis 1967, Israël a transféré de force les prisonniers palestiniens vers Israël et de ce fait a empêché les familles de rendre visite à leurs parents emprisonnés. « Si Israël est soit incapable soit réticente à remplir ses obligations en ce qui concerne les prisonniers palestiniens, alors nous, au CICR, devons faciliter le processus » dit Iyad Nasr. « Dans ce cas précis, Israël peut le faire mais ne le veut pas ».
Les prisonniers de Gaza sont emprisonnés dans un pays étranger et sont déjà très isolés. Leurs familles sont maintenant obligées de dépendre du CICR pour que celui-ci fasse passer des messages dans les deux sens pour maintenir le contact. Avant que le programme de visite familiale ne soit suspendu le 6 juin de l’année dernière, le CICR relayait environ 10 messages de Gaza par mois. Aujourd’hui, il relaye plus de 300 par mois. Le CICR vient juste de faire une déclaration en répétant que « alors que nous reconnaissons les soucis de sécurité d’Israël, nous estimons que cela ne suffit pas en lui-même pour justifier la suspension totale des visites familiales aux prisonniers ».
Fatima Abdullah dont le fils, Abdul Halim Abdullah, est en prison en Israël depuis 19 ans, résume la raison pour laquelle les mères de prisonniers accueillent les journalistes parmi elles. « Mon fils m’a vu une fois à la télévision » raconte-t-elle. « Il a réussi à me téléphoner à la maison et a dit : « Merci pour le soutien que vous nous apportez à nous tous, mais ne soit pas triste, mère, je suis toujours vivant ».
Lisez les autres témoignages :
1° juin 2008 - Palestinian Centre for Human Rights [PCHR] - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.pchrgaza.org/files/campa...
Traduction de l’anglais : Ana Cléja