"La liberté d’expression relative à Ramallah a provoqué un renouveau majeur dans la capitale culturelle de la Palestine depuis l’année dernière et transforme, dans ce processus, l’art palestinien. Alors que la plupart des villes palestiniennes demeurent tout aussi placides qu’elles l’étaient pendant les couvre-feux de l’Intifada, Ramallah connaît une vie nocturne active, de nouveaux théâtres, un cinéma et une scène musicale florissante."
La fin de l’Intifada a provoqué une explosion de créativité ...et de controverse.
Bashar al-Hroub taille un carré de bois aggloméré avec une gouge jusqu’au moment où apparaît le sexe d’une femme. L’artiste palestinien de 27 ans fabrique des gravures en vue d’une exposition qui va mettre en relief des « choses interdites dans notre société » dit-il. Dénoncé dans son propre village près de Hébron comme étant immoral, al-Hroub est venu dans cette ville de plus de 100 000 habitants pour se joindre à une nouvelle génération d’artistes dont la focalisation est étonnamment libre de tout nationalisme et de violence pour lesquels les Palestiniens sont habituellement remarqués.
La liberté d’expression relative à Ramallah a provoqué un renouveau majeur dans la capitale culturelle de la Palestine depuis l’année dernière et transforme, dans ce processus, l’art palestinien. Alors que la plupart des villes palestiniennes demeurent tout aussi placides qu’elles l’étaient pendant les couvre-feux de l’Intifada, Ramallah connaît une vie nocturne active, de nouveaux théâtres, un cinéma et une scène musicale florissante. « Quand les gens viennent à Ramallah, ils goûtent à la culture » dit Munther Jawabreh (29 ans), un artiste venu d’un camp de réfugiés près de Hébron. « Ils peuvent réfléchir sur la beauté au lieu de l’occupation israélienne ».
Ces jours-ci, il y a plein de choses sur lesquelles réfléchir à Ramallah. Depuis que les dirigeants palestiniens ont annoncé une halte de l’Intifada, en février, et que les tanks israéliens se sont retirés, Ramallah a subi une explosion de créativité. En juillet, un Palace de la Culture de 5 millions $, financé par les Nations Unies et le Japon, s’est ouvert avec des spectacles de poètes locaux et de musiciens. Le chef d’orchestre Daniel Barenboïm a amené son orchestre à la ville en août. Ben Kingsley a projeté une version de ?Gandhi’, doublé en arabe, afin de promouvoir la résistance non-violente. Le cinéma de la ville (le seul en Cisjordanie) a rouvert et des musiciens ont fondé une école dans la vieille ville de Ramallah pour enseigner la musique arabe classique.
Alors même que la scène artistique de la ville renaît, les artistes ont l’espoir qu’ils joueront un rôle dans le combat contre Israël. Pendant des décennies, l’art palestinien a été fortement politique avec des activistes créatifs importants au sein de l’Organisation de Libération de la Palestine ; les artistes parlaient de la « poésie du fusil ». Pour beaucoup de Palestiniens ordinaires, la désillusion de la corruption politique et des grands slogans a conduit à un besoin de dirigeants qui voudraient tout simplement parvenir à un meilleur futur économique. Les artistes, tout aussi mécontents de la politique, se tournent vers des thèmes plus personnels. « L’ancienne période d’art nationaliste était un grand mensonge » dit Khalid Hijazi, un professeur de peinture à l’université An-Najah de Naplouse qui conseille beaucoup de nouveaux artistes. « Le tableau politique en Palestine est confus, alors les artistes se réfugient dans des intérêts qui leur sont propres ».
Le nouveau style ne plait pas aux artistes les plus âgés. Karim Dabbah, un peintre de 68 ans de Ramallah, soutient que l’art politique palestinien « défendait une idée noble. Les nouveaux artistes sont infectés par l’art ?malade’ d’Europe. Cela va à l’encontre des valeurs palestiniennes. » Le débat va au-delà de l’esthétique : Ismail Shammout, un très important artiste palestinien qui vit à Amman, n’a pas eu la permission d’ouvrir une école d’art à Ramallah l’année dernière parce qu’il avait refusé de peindre le portrait de Yasser Arafat. Au début de l’année dernière, le conseil de direction de Hakawati, le Théâtre National Palestinien, a annulé « The Last Hour », une pièce dans laquelle un prisonnier, récemment libéré d’une prison israélienne, dialogue avec son pénis impotent : une image très éloignée des portraits héroïques typiques de prisonniers décrits auparavant dans l’art palestinien. Le dramaturge Mazen Saadeh décrit le sort de sa pièce comme étant l’exemple même du conflit entre les anciens politisés et la nouvelle génération. « Ce nouveau mouvement est une autre porte pour notre pays » dit Saadeh (45 ans). « Je ne regarde pas les nouvelles. Je ne surveille ni le Hamas ni Abu Mazen ».
Mais le Hamas surveille les artistes. La municipalité de Qalqilya (une ville en Cisjordanie), dirigée par le Hamas, a interdit en juillet un festival de poésie et de danse parce que les hommes et les femmes n’étaient pas séparés. Une peinture murale commandée pour un parc public à Naplouse a été interdite par l’ingénieur de la ville parce qu’il « constituait un culte idolâtre, ce qui n’est pas permis dans l’Islam ». Et parfois, le conflit devient déplaisant. La renaissance de la ville s’étend à l’art culinaire : Ramallah a les 20 meilleurs restaurants, tous meilleurs que tout autre restaurant en Cisjordanie ou dans Gaza, dont cinq qui ont ouvert il y a juste six mois de ça. Mais les restaurateurs ne peuvent pas toujours exclure la politique. Darna est un restaurant populaire et traditionnel où des serveurs en n ?ud papillon servent les clients fidèles, y compris des officiels de l’Autorité palestinienne. En avril dernier, des hommes armés locaux voulaient montrer leur mécontentement du gouvernement et sont entrés dans le restaurant, animé à l’heure du repas du soir. Alors que les clients s’enfuyaient, les hommes armés ont tiré et réduit le restaurant en pièces. Même à Ramallah, la violence gagne parfois la vie civilisée.
Site sur les peintres palestiniens : (->http://www.brandicate.com/art/art.htm],
sur Ismail Shammout : http://www.shammout.com/oil-ism.htm,
sur : Mazen Saadeh : http://www.biennalecinemarabe.org/b...
avec des reportages de Jamil Hamad, Ramallah, 13 décembre 2005,
Time Europe magazine : http://www.time.com/time/europe/mag...
Traduction : Ana Cléja