Le 20 août 2007, un article paraissait dans le quotidien israélien Ha’aretz à propos d’un litige sur la propriété d’une parcelle de terre à Jérusalem-Est. La « terre en question », indique l’article, est « une oliveraie du nom de Kerem Hamufti » qui se trouve dans le « quartier Sheikh Jarrah » (1) Selon Ha’aretz, « "l’Administration des terres d’Israël" (ILA) travaille de concert avec l’association "Ateret Cohanim" pour enlever 30 dunums [3 ha] de terre à Jérusalem-Est à leurs propriétaires palestiniens et les transférer à l’association sans passer par un appel d’offre. » Devant la Haute Cour, les requérants, les propriétaires de la terre et la "Compagnie des Hôtels arabes palestiniens", ont qualifié l’intention de cette expulsion de « déplacée, illégitime, raciste et discriminatoire ».
Mais quels sont donc ces groupes responsables de cette tentative de vol, ILA et "Ateret Cohanim" ? Ce dernier est une organisation religieuse, ultranationaliste, dont l’objectif est la « judaïsation » de Jérusalem. Tout à fait par hasard, il venait de faire les gros titres au début du mois, quand l’un de ses gardes privés de sécurité a abattu un Palestinien qui, dit-on, aurait tiré sur deux gardes dans la Vieille Ville avant d’être lui-même maîtrisé et tué. (2) La juxtaposition de ces deux récits est saisissante. Intentionnellement ou non, le tireur présumé, Ahmad Khatib, s’en ait pris à une organisation para-étatique dont la relation symbiotique avec l’Etat colonisateur puissant incarne l’agent de la Catastrophe de son peuple.
"Ateret Cohaim" est représentée aux Etats-Unis par le "Jerusalem Reclamation Project" (JRP) [Projet de récupération de Jérusalem] qui a parrainé un dîner en mai pour la commémoration du 40è anniversaire de la « réunification de Jérusalem » (3) L’activité du JRP inclut « l’acquisition et la rénovation d’immeubles pour les jeunes familles des yeshivot, la rénovation de synagogues détériorées, et l’aide à des crèches, des terrains de jeux, et des équipements de loisirs pour les enfants. » Tout cela serait génial si ce n’est le fait que Jérusalem-Est est annexé illégalement et, plus évident encore, qu’elle est déjà peuplée de Palestiniens : exemple classique de la façon dont le sionisme tente de rendre invisible la population indigène de la Palestine.
Des allégations à l’encontre d’"Ateret Cohanim" sur des constructions illégales et des contrefaçons ont précédemment été publiées par Ha’aretz, et dans son édito sur l’affaire de Sheikh Jarrah, le journal a également critiqué vivement la « manière sournoise » avec laquelle un organisme gouvernemental comme ILA a cherché à s’emparer de propriétés arabes en coopérant avec une ONG nationale-religieuse. (4) Relevant encore que « des organismes gouvernementaux comme la "Compagnie nationale de logements d’Israël" (Amidar), le "Gardien de la propriété des absents", la ILA, certains ministères et le "Fonds national juif" avaient accordé des fonds » à des groupes ultranationalistes, l’édito déplore que « la pratique de mettre les colons au-dessus des lois... soit arrivée jusqu’à Jérusalem-Est. » (5)
Mais quel est cet autre groupe coupable : l’administration des terres d’Israël, ILA ? Qui sont-ils ? Poser cette question nous amène pas loin de découvrir l’hypocrisie régnante malgré les critiques sionistes libérales sur « l’illégalité » des colons - et nous sommes à deux doigts de révéler le vol au c ?ur d’Israël. ILA a été créée en 1960 et est responsable de la gestion de 93 % de la terre du domaine public en Israël. (6) Mais d’où vient toute cette terre ? avant 1948, moins de 8 % de ce qui est devenu Israël étaient propriété des Juifs. (7)
Vous aurez la réponse en allant dans les camps de réfugiés palestiniens de Gaza et du Liban ou sur les ruines des villages palestiniens détruits camouflées par le soin du "Fonds national juif (plantation des forêts)". De nouvelles villes ont été construites, le nom des lieux a été changé, mais les cicatrices de la Nakba continuent de défigurer la terre vierge inventée par la propagande sioniste. Les villes et les champs se sont vidés par l’expulsion de 750 000 Palestiniens - les prétendues « propriétés des Absents » ; ils sont devenus la terre de l’Etat israélien grâce à toute une série de lois votées par la Knesset et ont été placés dûment sous la garde de l’ILA. (8) Contrairement au travail fragmentaire des organismes privés subventionnés tel qu’"Ateret Cohanim", ILA a joué un rôle clé en colonisant la terre libérées des Palestiniens, en empêchant le retour fondé en droit des réfugiés et en judaïsant non seulement Jérusalem-Est mais toute la Palestine historique. (9)
Les scandales de l’acquisition de terre comme celui d’"Ateret Cohanim"/ILA avec la parcelle de Sheikh Jarrah ont une fonction utile : on peut découvrir et dénoncer ces cas isolés d’irrégularités, alors que le fondement originel d’Israël (et maintenu cependant), à savoir la colonisation de la Palestine, est ou ignoré ou, plus généralement, approuvé. Des organisations comme "Ateret Cohanim", dont le porte-parole justifie publiquement la « judaïsation de Jérusalem », pourrait avaient quelque raison d’accuser leurs critiques israéliens de moralité sélective. (10) Comme Jonathan Cook l’a écrit il y a quelques temps, bien amicalement, à propos d’un litige précédent sur la terre à Jérusalem :
« Malgré le côté atroce de l’usage actuel de la loi sur la Propriété des Absents, les Israéliens, de droite comme de gauche, ont vécu très confortablement depuis plus d’un demi siècle avec les premières expropriations massives des Palestiniens ourdies par cette même loi... La terre a servi à installer les immigrants juifs et l’argent à financer leur venue en Israël... Un universitaire israélien, Don Peretz, a observé : "Les propriétés abandonnées ont été l’une des plus grandes contributions pour faire d’Israël un Etat viable". » (11)
La réussite de la colonisation de la Palestine par Israël est due à la brutalité des expulsions en 1948 et à la création d’un écheveau complexe de législations qui a suivi, lequel a servi à masquer la structure raciste de l’Etat (une vérité, il est vrai, que beaucoup en Occident ne sont pas intéressés à découvrir). L’ampleur des expulsions continuelles des Palestiniens par Israël imposées par la bureaucratie et par les armes n’est pas, pourtant, difficile à déceler. Inciter nos médias, nos politiciens, nos universitaires et nos concitoyens à cette discussion représente une entreprise vitale qui permettra de créer l’espace pour un débat public dont on a vraiment besoin pour qu’une solution juste au conflit en Palestine/Israël soit apportée.
Ben White est un journaliste indépendant, écrivant spécialement sur la Palestine et Israël. Vous pouvez consulter son site http://www.benwhite.org.uk et le contacter directement à l’adresse ben AT benwhite DOT org DOT uk.
Notes :
1) « ILA loue la terre arabe à Jérusalem à Ateret Cohanim » - Meron Rapoport - Ha’aretz, 20 août 2007.
2) « Un agresseur arabe est tué dans la Vieille Ville de Jérusalem » - Etgar Lefkovits, Jerusalem Post, 10 août 2007.
3) « Jerusalem Reclamation Project célèbre Yom Yerushalaym à un dîner de gala » - 5 Towns Jewish Times, 9 aout 2007
4) « La vente du Lot 62 » - Meron Rapaport, Ha’aetz, 5 avril 2005 - « Vol de terre à Jérusalem-Est », Ha’aretz, 20 août 2007
5) L’activité d’Ateret Cohanim dans la colonisaion de Jérusalem-Est peut être consultée via « la Fondation de la Paix au Moyen-Orient » et « l’Institut de recherche appliquée de Jérusalem ».
6) Administration de la terre d’Israël - Information générale.
7) « La faisabilité du droit au retour » - Salman Abu-Sitta, juin 1997.
8) Vue d’ensemble sur la législation concernée disponible sur Wikipedia.
9) « ILA détruit des maisons bédouines pour faire une route vers une ville juive » - Ha’aretz, 25 juin 2007.
10) « Les requérants : Le gouvernement a saisi des terres arabes et les a donné à des Juifs » - Jerusalem Post, 21 août 2007.
11) « Le dernier vol de la terre par Israël fait partie d’une vieille stratégie » - Jonathan Cook, The Daily Star, 4 février 2005
Sur la judaïsation de Jérusalem-Est :
"Al Qods : Nettoyage ethnique et judaïsation", Nida’ al-Quds, 27 avril 2007.
A l’ombre du mur - Comment Israël confisque Jérusalem-Est,
Ph. Rekacewicz et D. Vidal - Le Monde diplomatique, 14 mars 2007
29 août 2007 - The Electronic Intifada - traduction : JPP