À la périphérie de Bagdad se trouvait un camp d’entraînement militaire, non pas pour « al-Qaïda » mais pour les « Moudjahidin-e-Khalq », un groupe militant iranien en exil qui s’activait avec des fonds et des armes étrangères pour renverser la République iranienne.
A l’époque, l’ancien président irakien Saddam Hussein, utilisait l’organisation en exil pour régler des comptes avec ses rivaux à Téhéran, tout comme ces derniers hébergeaient des milices anti-irakiennes pour atteindre le même but.
L’Irak n’était pas vraiment en paix à ce moment-là. Mais la plupart des bombes qui explosaient dans ce pays étaient américaines. En fait, quand les Irakiens parlaient de « terrorisme », ils faisaient référence à « Al-Irhab al-Amriki » - le terrorisme américain.
Les attentats suicides n’étaient pas une réalité quotidienne, où que ce soit en Irak. Mais quand les États-Unis ont envahi l’Afghanistan en 2001, puis l’Irak en 2003, l’enfer s’est déchaîné.
Les 25 années qui ont précédé 2008 ont vu 1840 attaques-suicide, selon les données compilées par des experts du gouvernement américain et citées dans le Washington Post. De toutes ces attaques, 86% ont eu lieu après les invasions américaines de l’Afghanistan et de l’Irak. En fait, entre 2001 et la publication des données en 2008, 920 attentats suicides ont eu lieu en Irak et 260 en Afghanistan.
Une vue plus complète a émergé en 2010 avec la publication d’une étude commanditée et plus détaillée menée par l’University of Chicago’s Project on Security and Terrorism.
« Plus de 95% de tous les attentats suicides sont en réponse à l’occupation étrangère, » y est-il dit.
« A partir du moment où les États-Unis ont occupé l’Afghanistan et l’Irak ... le nombre des attentats-suicides dans le monde a augmenté de façon spectaculaire - d’environ 300 dans la période de 1980 à 2003, à 1800 entre 2004 et 2009 », a écrit Robert Pape dans Foreign Policy.
Fait révélateur, il a également été conclu que « plus de 90% des attentats-suicides sur l’ensemble de la planète sont maintenant anti-américains. La grande majorité des attaquants-suicides sont originaires des régions sous domination de troupes étrangères, ce qui explique pourquoi 90% des kamikazes en Afghanistan sont des Afghans. »
Lors de ma visite en Irak en 1999, « al-Qaïda » était simplement un nom dans les bulletins d’information de la télévision irakienne, faisant référence à un groupe de militants qui opéraient principalement en Afghanistan. Créé pour fédérer les combattants arabes contre la présence soviétique dans ce pays, ceux-ci n’ont guère été considérés à l’époque comme une menace potentielle à la sécurité mondiale.
Il a fallu des années après que les Soviétiques aient quitté l’Afghanistan en 1988, pour que « al-Qaïda » se transforme en un phénomène mondial. Après les attentats du 11 septembre 2001, les réponses erronées des États-Unis » - l’invasion et la destruction de pays entiers - ont créé les conditions rêvées pour le militantisme et la terreur d’aujourd’hui.
Après l’invasion américaine de l’Irak, « al-Qaïda » a étendu en peu de temps son ombre sur un pays déjà submergé par un nombre de morts qui dépassait les centaines de milliers.
Il n’est pas difficile de suivre le fil de la formation d’ISIS, le plus meurtrier de tous ces groupes qui sont la plupart originaires d’al-Qaïda en Irak, lui-même forgé par l’invasion américaine.
ISIS est né de l’unification des différents groupes de militants en octobre 2006, lorsque « al-Qaïda » en Mésopotamie a uni ses rangs avec « le Conseil Moudjahidin Shura en Irak », « Jund al-Sahhaba » et « l’État islamique d’Irak » (ISI).
ISIS, ou « Daesh », existe en tant que tel depuis lors, sous diverses formes et avec des capacités qui varient, mais il est apparu sur le devant de la scène comme une organisation horriblement violente avec des ambitions territoriales, au moment où le soulèvement syrien s’est transformé en une plate-forme mortelle pour les rivalités régionales.
Ce qui existait comme un « État » à un niveau virtuel s’est alors transformé en un « État réel », avec des champs pétroliers et une loi martiale.
Il est facile - peut-être, pratique - d’oublier tout cela. Relier les points qui doivent l’être peut être coûteux pour certains, car cela met en évidence une trajectoire de la violence enracinée dans l’intervention étrangère. Pour de nombreux commentateurs et politiciens occidentaux, il est beaucoup plus facile - bien que moins sûr - de discuter la question d’ISIS dans des contextes peu pertinents, par exemple, l’Islam, que de reconnaître une quelconque responsabilité morale.
Je plains les chercheurs qui ont passé des années à étudier la thèse d’ISIS comme théologie religieuse ou ISIS et l’apocalypse. C’est laisser de côté la forêt pour parler des arbres... Qu’est-ce que cela a apporté de bon ?
Les interventions militaires et politiques américaines ont toujours été accompagnées d’intrusions dans les programmes éducatifs des pays envahis. La guerre en Afghanistan a été couplée à une guerre contre ses « madrasas » [écoles] et « ulémas » indisciplinés. Rien de tout cela n’a fonctionné. Ou alors en se retournant contre ses auteurs, en aggravant le sentiment d’une menace parmi des dizaines de millions de musulmans dans le monde entier.
ISIS (Daesh) est un nom mais qui peut être changé à tout instant, au profit de quelque chose de tout à fait différent. Ses tactiques aussi peuvent changer, en fonction du temps et des circonstances. Ses adeptes peuvent infliger la violence à l’aide d’une ceinture de suicide, d’une voiture bourrée d’explosifs, d’un simple couteau ou d’un camion lancé à toute vitesse.
Ce qui importe vraiment est que ISIS (Daesh) est devenu un phénomène, une idée qui ne se limite plus à un seul groupe et ne nécessite pas d’adhésion officielle, de transfert d’argent ou d’armes.
Ce fait n’est pas ordinaire, mais il devrait dans une approche plus pertinente représenter l’essentiel de la lutte contre ISIS (Daesh).
Quand un chauffeur de camion français-tunisien a percuté une foule célébrant [le 14 juillet] dans les rues de Nice, la police française a rapidement établi des liens entre lui et Daesh, ou tout autre groupe militant. Aucun indice n’a été immédiatement révélé, mais, étrangement, le président François Hollande n’a pas tardé à déclarer son intention d’une réplique militaire.
Quelle inanité et quelle myopie ! Quel objectif a donc atteint l’aventurisme militaire de la France ces dernières années ? La Libye s’est transformée en une oasis de chaos - où Daesh contrôle désormais des villes entières - et l’Irak et la Syrie restent les lieux d’une violence débridée.
Qu’en est-il du Mali ? Peut-être que les Français ont-ils plus de chance là-bas ?...
Écrivant pour Al Jazeera, Pape Samba Kane décrit la terrible réalité que vit le Mali à la suite de l’intervention française en janvier 2013. Leur ainsi-nommée « Opération Serval » a été transformée en « Opération barkhane » et le Mali n’est en rien devenu un endroit paisible, et il n’est plus question que les forces françaises quittent le pays.
Les Français, selon Kane sont maintenant des occupants, pas des libérateurs, et malgré toutes les justifications fournies - comme celles soulignées ci-dessus - nous savons tous ce que signifie dans la réalité une occupation étrangère.
« La question que les Maliens doivent se poser est la suivante », écrit Kane, « Est-ce qu’ils préfèrent avoir à lutter contre les djihadistes pendant une longue période, ou avoir leur souveraineté bafouée et leur territoire occupé ou partitionné par un ancien état colonialiste, afin de satisfaire une caste alliée à la puissance coloniale ? » "
Pourtant, les Français, comme les Américains, les Britanniques et d’autres, continuent de vouloir à leur propre péril occulter cette réalité évidente. En refusant de reconnaître le fait que Daesh n’est qu’une composante d’une montée beaucoup plus grande et inquiétante de violence directement enracinée dans les interventions étrangères, ils permettront à la violence de se perpétuer, et de façon généralisée.
Battre Daesh exige aussi que nous soyons capables de réfléchir aux conditions qui ont conduit à sa création : pour vaincre la logique des George W. Bush, Tony Blair et John Howard de ce monde.
Quelle que soit la façon dont les membres ou sympathisants Daesh sont violents, c’est en définitive un groupe d’hommes en colère, aliénés, radicalisés qui cherchent à échapper à leur situation désespérée par de méprisables actes de vengeance, même si cela implique de mettre fin à leur propre vie.
Bombarder les camps Daesh peut permette de détruire certaines de leurs installations militaires, mais cela ne va en rien éradiquer l’idée même qui leur a permis de recruter des milliers de jeunes gens partout à travers le monde.
Ils sont le produit de la pensée violente qui a été engendrée non seulement au Moyen-Orient, mais avant tout, dans diverses capitales occidentales.
Daesh aura fait long feu et mourra quand ses dirigeants auront perdu leur attrait et la capacité de recruter des jeunes en quête de réponses et d’actes de vengeance.
L’option de la guerre, à ce jour, a prouvé être la moins effective. Daesh survivra et se métamorphosera si nécessaire, aussi longtemps que la guerre restera à l’ordre du jour. Pour mettre fin à Daesh, nous devons mettre fin à la guerre et aux occupations étrangères.
C’est aussi simple que cela.
* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine - Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest.fr. Son site personnel : http://www.ramzybaroud.net
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19 juillet 2016 - Middle East Monitor - Traduction : Info-Palestine.eu - Lotfallah