Ville de Gaza - Hesham El-Moghraby se trouve au centre de la pièce où il vit, en regardant deux grandes tombes. Il enlève sa casquette de baseball, se passe la main dans les cheveux, puis la remet.
« Il n’y a pas d’autre endroit que je connaisse, » nous dit Moghraby depuis l’intérieur de la sombre cabane où vit sa famille, remplie de piles de pneus récupérés, de bois de chauffage, de tubes en plastique, de vieilles chaussures et de bouts de métal.
C’est la vie de Moghraby à l’intérieur du cimetière el-Cheikh Shaban.
Ce monsieur âgé de 43 ans ne peut pas dire exactement comment il a fini par vivre dans une maison de fortune entre des pierres tombales. Tout ce qu’il sait, c’est que sa famille a vécu ici depuis la Nakba, l’expulsion des Palestiniens de leurs terres en 1948.
« C’est horrible pour les enfants, » dit-il, notant qu’ils sont moqués à l’école en raison de leurs conditions de vie particulières. Il est également difficile d’assurer la subsistance de la famille, dit Moghraby, quand il gagne seulement l’équivalent de quelques dollars par jour en démarchant les habitants autour de la ville avec sa charrette tirée par un cheval.
« La plupart du temps, les enfants vont dormir avec la faim au ventre », dit-il.
Des dizaines de personnes ont construit leurs maisons à l’intérieur du cimetière el-Cheikh Shaban. Aucun ne voudrait vivre ici, mais ils disent qu’ils n’ont nulle part où aller.
Certaines zones du cimetière, qui a été frappé par les bombes de la guerre de 2014, ressemblent plus à une décharge qu’à un cimetière. Il est devenu pour une part cimetière, pour une part casse, et une part bidonville. Dans un coin, un chat famélique s’acharne sur un oiseau mort, tandis que les tombes envahies sont maculées par les ordures des habitants : des emballages alimentaires vides, des morceaux de bois, des bouts de fil et de tissu. Les enfants jouent avec des billes sur la large pierre plate à la surface d’un tombeau.
« C’est très déprimant. C’est très pénible pour les enfants », nous raconte Abdul Raouf el-Harrem . « Ils n’ont pas de place pour jouer, donc ils jouent entre les tombes. »
Lorsque d’autres Gazaouis visitent le cimetière, ils se mettent en colère contre les enfants qui trottinent au milieu des pierres tombales ; parfois, ils crient ou poussent les enfants à l’extérieur.
Mais des signes de vie se voient partout dans le cimetière. Du linge pend entre des poteaux de bois, séchant dans la brise adoucie de l’après-midi. Un petit garçon fait tourner un petit panier fait de caisses de lait et monté sur roues, tandis qu’une jeune fille joue au hula-hoop avec deux anneaux de plastique maintenues ensemble avec du ruban adhésif. Toutes choses ici - même les maisons - semblent rapiécées au milieu d’un assortiment de déchets jetés au sol.
À l’extérieur de la maison de Moghraby, à l’écart, deux tombes fraîchement peintes marquent la mort de deux hommes durant la guerre de 2014, dont un qui a vécu à el-Cheikh Shaban. Les habitants sont très conscients de leur proximité avec les esprits des morts, dit Harrem.
« Nous dormons sur des tombes, au-dessus de personnes décédées, » dit-il. « Nous voyons des choses pendant la nuit. Les enfants se réveillent la nuit, terrifiés, criant ’sauvez-moi, sauvez-moi’. »
Mohammed Sonbul, élève de cinquième, reconnaît qu’il ne voudrait pas vivre ici, mais bravache comme un enfant, il dit ne pas avoir peur du cimetière.
« Rien ne me fait peur, sauf Allah. [Je] sors même dans la nuit et joue ici dans le cimetière, » assure Mohammed, tandis que ses amis hochent la tête et sourient. « Les autres enfants ont peur, mais moi non. »
Bien que le cimetière soit sur des terres appartenant à la collectivité, les habitants disent que le gouvernement leur permet de vivre ici parce qu’il ne déboursera rien pour les reloger ailleurs. En attendant, des restrictions ont été mises en place pour les empêcher d’agrandir ou de construire de nouvelles maisons.
Monzer Mughari, directeur du département des propriétés au ministère palestinien de l’Awqaf et des affaires religieuses, reconnaît que « le gouvernement devrait trouver de nouvelles maisons pour ces personnes », mais il ne peut pas dire si ou quand cela arrivera.
« Le ministère a dit à la municipalité de cesser de fournir [aux résidents] du cimetière des services, et d’imposer des restrictions et des amendes ... Toutes ces actions ont seulement pour but de protéger les limites du cimetière musulman, » nous dit-il.
Pendant ce temps, Camelia Kuhail qui vit dans le cimetière regarde dans le trou béant jonché de décombres qui était sa maison avant les frappes aériennes israéliennes de 2014. Elle explique que les personnes vivant dans le cimetière souffrent encore plus maintenant, et qu’elles ont besoin d’une intervention de la communauté internationale.
« Je veux juste une vie pour mes enfants, qu’ils sortent d’ici. Il n’y a pas de nourriture, pas les moyens de cuisiner pour les enfants ... Je reste éveillée toute la journée et la nuit pour regarder mes enfants [afin qu’ils] ne leur arrive rien, » nous dit Kuhail. « Ici, c’est dangereux, mais où pouvons-nous aller ? »
« Le gouvernement d’ici ne nous a pas aidé », dit Harrem, « et l’intervention doit venir de l’extérieur ». Selon Harrem, les habitants n’ont pas assez d’argent pour déménager par leurs propres moyens, et alors que les précédentes demandes d’une assistance internationale sont restées sans effet, leur situation a empiré depuis la guerre.
Il contemple la tombe fraîche de son ami, un homme qui a vécu, est mort et a été enterré ici.
« Nous voulons de l’aide », dit Harrem tranquillement. « Nous voulons vivre dans un autre endroit, ailleurs que dans un cimetière. »
* Megan O’Toole est un journaliste à Al Jazeera et spécialisée sur le Moyen-Orient. Ses articles traient principalement de droit et de politique. Elle peut être jointe sur @megan_otoole
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Les orphelins de Gaza - 9 janvier 2015
13 janvier 2015 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/news/middl...
Traduction : Info-Palestine.eu