« Lorsque j’ai reçu une invitation pour cet événement, mon regard a été attiré par la ligne « Palestine’s Spring Blooms in Anatolia ». Je dois vous dire que ce printemps, le printemps de Palestine, est toujours resté dans le c ?ur de l’Anatolie.
Le maire d’Ankara, Melih Gökçek, s’est adressé à environ 300 personnes dans le hall du « State painting and Sculpture Museum ». La moitié des spectateurs étaient d’origine palestinienne. On pouvait voir de jeunes palestiniens en uniforme officiel de l’armée turque ou des forces de la police. Les membres de la mission diplomatique palestinienne présents à Ankara, savent bien que ces jeunes garçons sont les fleurs de ce printemps palestinien qui fleurit en Anatolie.
La semaine culturelle palestinienne a été organisée par l’ambassade de l’état de Palestine à Ankara. L’ambassadeur, Nabil Marouf, était déterminé dès le début pour faire de cet événement culturel une tradition et qu’il se renouvelle chaque année avec un enthousiasme grandissant. « J’espère que nous organiserons une semaine culturelle turque l’année prochaine en Palestine » dit-il dans son anglais teinté d’arabe. Les sons gutturaux rendent son anglais encore plus passionné et convaincant ; son « Next Year in Palestine » fait écho au « Next Year in Jerusalem » des juifs de la diaspora.
La semaine culturelle palestinienne est un événement qui comprend des expositions de photos, de la musique et des danses folkloriques. Comme on pouvait s’y attendre, les musiciens et les danseurs ne viennent pas de Palestine. Un groupe palestinien aurait eu d’énormes difficultés pour atteindre la Turquie puis pour retourner ensuite dans leur pays. Les musiciens et les danseurs viennent du Liban. Le « Firkat Hanin » (désir ardent) est un groupe de 12 personnes qui chantent et jouent de la musique palestinienne. Sanabil al-Aqsa (les vrilles (attaches) d’al-Aqsa) est un groupe de jeunes garçons et filles venant d’un camp de réfugiés au Liban. Le groupe a été fondé en 1997 et vient en Turquie pour exécuter le dabka, la danse folklorique palestinienne.
La représentation commence par des chants de groupe qui font plutôt penser à des chants au flambeau de style militaire. A un certain moment, Sahar Sablani, une jeune femme moitié libanaise moitié palestinienne, au teint mat et aux courts cheveux blonds, a chanté un solo. Elle n’est pas une de ces jeunes palestiniennes aux longs cheveux noirs qui adorent sentir le vent sur leurs tresses. Mais le timbre, la passion, la complainte, étaient totalement palestiniens. Tout naturellement elle chante le désir des réfugiés palestiniens de revenir sur leurs terres. Les paroles de la chanson viennent d’elle. « Avec des voix fortes retourne en Palestine » dit-elle « pour que les villageois sentent que je suis vivante/ si je suis persécutée avant mon retour/ je chanterai cette même chanson de ma tombe... »
Les mots de Sablani touchent le c ?ur des Palestiniens de la diaspora, ici en Turquie. Ils ne sentent peut-être pas étrangers ici mais ils sont conscients que leur rêve de retour en Palestine n’est pas prête de se réaliser dans le futur proche. Comment des gens peuvent-ils supporter une telle vie ? Il y a près de 1.000 ans, Yehuda Halevi en Espagne chantait les mêmes sentiments de désespoir. « Mon c ?ur se trouve dans l’orient et je suis dans l’occident le plus extrême/ comment puis-je trouver un goût à la nourriture ? Comment pourrait-elle m’être douce ? » Mais soudain on entend Sahar Sablani qui change l’ambiance de la chanson : « Layadi Layadi ! Main dans la main ! » et les applaudissements fusent. « Ceci est ma nation » dit Sablani. « Notre lamentation est jumelle de notre joie ».
Le deuxième chanteur est Haysam Osman. Il a dans les trente ans ce qui le place dans la deuxième génération de réfugiés palestiniens. Il n’a jamais vu la Palestine ni probablement ses parents. Un homme dans l’orchestre n’a jamais vu et ne verra jamais la Palestine, même en photos. Il ouvre le chant de Haysam par un long solo de violon. Muin Ali Yunis a perdu la vue quand il n’avait que trois mois. Il vient du Liban mais sa famille vivait en Palestine au moment de la Nakba, la catastrophe de 1948. Ils sont partis dans la ville de Sur au sud Liban lieu où Muin est né, a été éduqué et vit aujourd’hui. Il n’a jamais vu « l’ennemi », les soldats sionistes, mais il a parlé à l’un d’eux lors de l’occupation de 1982. Il ne peut pas définir l’ennemi en termes visuels. Pour lui, l’ennemi est un bruit, le bruit des avions de combat qui viennent du sud. « Je ne peux pas voir les choses mais je peux voir la lumière et l’obscurité » dit-il. « Et je peux voir la peur ».
Puisque l’ennemi est un son, la résistance de Muin est également une résistance vocale. Il utilise le violon pour recréer les combattants de la résistance palestinienne en notes et en mélodies. Haysam se joint avec son chant : Haqq al-Awda (Droit au Retour). « Chaque mot de ce chant a une signification profonde » dit-il. « Les colombes voyagent autour et autour mais finalement elles reviennent/ Tous ceux qui sont partis en 48 et en 67 sont déterminés à revenir/Drapeau, terre, nation et état...Cela est pour nous la liberté/Vieux, jeunes, garçons, filles de l’Est, de l’Ouest, du Nord et du Sud, tous retourneront chez eux... » A ce point, le tambour les rejoints. Pour ceux qui connaissent la géographie de la Palestine, les tambours frappent non pour la chanson de Haysam mais pour marquer un rythme de marche pour les Palestiniens qui reviennent. Note par note, Haysam atteint la fin de son chant, pas à pas les Palestiniens retournent sur leurs terres.
Muin retourne aussi en Palestine. A-t-il jamais rêvé de cela ? Non, mais quand il reconstruit la mémoire de la Palestine à travers les récits de ses parents, il imagine une Palestine verte. Des forêts vertes, des vallées vertes et des enfants merveilleux jouant et chantant. Le peuple de ces terres vertes est un peuple humble et pacifique. C’est tout ce qu’il peut imaginer de cette Palestine à laquelle il aspire tant.
Haysam termine sa marche imaginaire vers la Palestine et confie le microphone à Muhammad Aga. La famille Aga est une grande famille turque originaire de Palestine. Mohammad se sent donc chez lui. Cela l’incite à jouer avec les mots d’une chanson célèbre qui convoque Abu Ammar (Yasser Arafat). La chanson à l’origine faire l’éloge d’Abu Ammar en tant que rassembleur du peuple palestinien dispersé. Mais Muhammad préfère se référer à la Turquie avec les mêmes sentiments. « Ya Turkiyya ! » commence-t-il. « O Turquie ! Tu as rassemblé notre peuple. Tu nous as fait prendre conscience de la fraternité et de l’amour. Tu as rassemblé plusieurs groupes sous une même ombrelle. O mon frère ! Viens, main dans la main ! » Muhammad n’a pas parlé de ses espoirs pour que la Turquie redevienne « l’ancienne Turquie » et qu’elle amène la nation arabe dispersée sous son leadership, mais il l’a fait plus tard.
Des chants se sont poursuivis, joie et deuil, les applaudissements pour les tristes « Ya baa »s. Puis entre en scène le Sanabil al-Aqsa. Quatre filles suivies de quatre garçons. La chorégraphe, Ilham Shuli, est libanaise. « Dabka est une danse de la Palestine, du Liban, de la Jordanie et de Syrie » explique-t-elle. « Le thème de Dabka vient des danses de mariages et des parades nuptiales de l’ancienne Palestine. Dabka est notre danse nationale. Elle ne contient pas de symboles politiques mais a une signification politique. Elle raconte le style de vie heureux du peuple palestinien avant l’arrivée des sionistes ».
Sanabil al-Aqsa a effectué plusieurs danses. Dabka Dahiyye raconte une occasion de mariage pendant laquelle les jeunes garçons cherchent à discuter avec de ravissantes jeunes filles. Les filles, bien sûr, se comportent avec coquetterie et veulent que les garçons montrent leur courage et leur force. La compétition entre les garçons atteint le point où les épées sont dégainées et une démonstration de force commence. « Ceci n’est pas quelque chose d’inventé » dit Ilham Shuli. « Dans le passé, les mariages étaient arrangés lors des cérémonies nuptiales. Les garçons et les filles dansaient le dabka et les garçons chantaient des chants improvisés sur la fille qui avait trouvé faveur à leurs yeux. Si la fille était intéressée à bavarder elle répondait et on savait que ce serait le prochain couple dans le village ». Beaucoup plus sophistiqué que de jeter le bouquet de fleurs de la mariée !
Dans une autre danse appelée Zaytoun wa Bayan al-Nasr (Olives et déclaration de succès), le Sanabil al-Aqsa raconte l’histoire d’une place de marché où les garçons demandent la main d’une fille en mariage. Les gestes sont pris des activités agricoles, la dispersion à la main des graines, le labour et la récolte, le travail des pieds sur la terre. Dans le marché, les fruits récoltés passent de mains et les filles offrent de l’eau aux jeunes garçons. Ici émerge un côté utopique du mythe de retour palestinien. Le Haqq al-Awda de Haysam Osman se termine avec ces lignes utopiques : « le pêcheur recommence à pêcher ; le fermier à travailler sa terre... »
Les chants et les danses nous racontent que la diaspora palestinienne veut considérer ces 60 années d’exil comme inexistantes comme si le temps s’était arrêté et si la nation palestinienne avait fait un cauchemar duquel elle se réveillera bientôt.... Le pêcheur retournera pêcher...le fermier recommencera à travailler sa terre...
5 mai 2007 - Today’s Zaman - Vous pouvez consulter cet article à :
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Traduit de l’anglais par Ana Cléja