Je me souviens que lors d’un atelier de trois jours sur le droit international et les droits de l’Homme organisé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Gaza, l’un des participants a demandé au formateur : « Que dois-je faire pour pouvoir jouir de ces droits de l’Homme ? » Il lui a répondu de but en blanc : « Rien. Vous devez simplement être humain ».
Mais la question est : que faire / quelles conditions remplir pour être qualifié d’humain ? À ma connaissance, je vis comme un être humain normal. J’aime, je déteste, je pleure, je ris, je fais des erreurs, j’apprends, je rêve, je fais souffrir des personnes, je souffre, j’aime les pizzas, j’ai regardé Titanic six fois, j’ai un faible pour Bradley Cooper, je tombe malade, je raconte parfois de mauvaises blagues qui ne font rire que moi, et, la dernière fois que je me suis regardée dans un miroir, je ressemblais vraiment à un être humain.
La seule différence est qu’une nation a surgi de nulle part pour occuper et réclamer la propriété exclusive de mon pays, où mes ancêtres ont vécu pendant des générations, et a entrepris l’épuration ethnique de mon peuple.
Mon seul péché est de m’être battue pour ma patrie condamnée et pour tout ce qui m’est cher.
Le monde m’a taxé de terrorisme parce que j’ai refusé d’être abattue comme un animal. Mais même les animaux se battent pour survivre.
J’ai obéi aux États-Unis et participé aux élections. J’ai voté pour un parti qui répondait à mes attentes. Mais j’ai été punie pour avoir appliqué précisément les principes démocratiques qu’ils m’ont enseignés. Je n’avais pas réalisé que la définition moderne de la démocratie consistait à élire un parti approuvé par les États-Unis, et non celui qu’une majorité des électeurs souhaitaient élire.
Par conséquent, on m’a imposé un blocus draconien, j’ai été systématiquement privée de nourriture et enfermée sur un minuscule territoire isolé du reste du monde pendant des années.
C’est au cours de cette période que j’ai obtenu mon diplôme universitaire après avoir préparé mes examens de dernière année à la lumière de la bougie et rédigé mes rapports de recherche à la main. J’ai souvent passé de longues journées de cours sans avoir de quoi acheter à manger puisque mon père, qui est ingénieur, n’avait plus de matériaux pour construire, donc plus de travail..
Au terme de quatre années exténuantes, j’ai obtenu mon diplôme avec des rêves plein la tête. Malheureusement, mes rêves étaient trop ambitieux pour ma réalité.
Je n’ai pas trouvé d’emploi malgré mon énorme potentiel.
Je me suis battue pour ce que je considérais comme mes droits les plus primaires, ce que le monde entier a pourtant qualifié de terrorisme. Ma ville a été épuisée par la pauvreté et l’isolement forcé, a enduré trois guerres meurtrières en moins d’une décennie contre l’occupation israélienne, dont les forces sont armées jusqu’aux dents avec des armes de destruction massive financées par les contribuables américains.
Et le monde me blâme à nouveau pour avoir riposté avec mes modestes armes artisanales souvent tournées en dérision.
Mes concitoyens meurent par dizaines chaque jour, mon enfance et ma jeunesse sont gâchées dans la douleur et la misère absolues, et le monde continue de me considérer comme une terroriste.
Je suis une terroriste car je me bats pour mes droits primaires, que tous les autres tiennent pour acquis sans avoir à verser leur sang et sans être déshumanisés.
Alors que ces années devaient être les plus belles de ma vie, vingt-sept jours de ma courte vie m’ont été dérobés. Je les ai passés à regarder mes proches se faire assassiner sous prétexte qu’ils n’étaient pas suffisamment humains aux yeux du monde, et je passerai bien d’autres années à me remettre du traumatisme de la guerre au lieu de me consacrer à ma carrière.
Si je ne survis pas à cette guerre, je veux que le monde entier sache que je n’ai jamais vu de roquette et que je n’en ai jamais stocké chez moi.
Soyez assurés que je n’ai pas servi de bouclier humain !
Alors que j’écris cet article, ma mère a annoncé à mon père que nous n’avions plus de gaz de cuisine, alors que nous n’avons plus d’électricité ni d’eau courante depuis des jours.
Je n’ai toujours pas compris quel crime j’ai commis pour être accablée de tels malheurs. Je me demande ce que cela fait d’être humain.
* Maisam Abumorr est diplômée de littérature anglaise. Elle étudie actuellement la traduction (diplôme supérieur) ainsi que les sciences politiques et les médias (licence) à l’université islamique de Gaza. Elle tient également un blog et donne des cours de langage corporel.
3 août 2014 - Al-Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
Traduction : Info-Palestine.eu - Claire L.