Avec des leaders tels que Walter Sisulu et Nelson Mandela, nous avons passé plus d’un quart de siècle dans les cachots de l’apartheid, pour la défense d’un idéal qui a fini par triompher : la liberté et une Afrique du Sud non raciale, non sexiste et démocratique. Comme Israël aujourd’hui, le gouvernement de l’apartheid nous a présenté comme étant une "menace à la sécurité", alors qu’il était évident que nous étions des prisonniers politiques menant une lutte de libération légitime contre un régime d’oppression raciste.
Quand les gens pensent aujourd’hui à l’Afrique du Sud, ils se souviennent instantanément de l’image d’un Mandela souriant sortant de prison pour être accueilli par les acclamations de la foule. Se souviennent-ils vraiment des sacrifices personnels que lui et ses camarades ont consenti durant toutes ces années dans les prisons de l’apartheid avant de pouvoir vivre ce moment.
Je pense à ma cellule étroite et je vois le combattant pour la liberté Marwan Barghouthi et les prisonniers palestiniens. Depuis 1967, plus de 800 000 Palestiniens ont subi l’emprisonnement à un moment de leur vie. Ceci est un des exemples les plus criants de détention massive, ayant pour objectif de briser la volonté d’un peuple tout entier. Certains de ces prisonniers ont passé plus de 30 ans dans les prisons israéliennes, établissant des records des plus longues détentions politiques à travers le monde. D’autres ont perdu leur vie en raison des mauvais traitements, ou le manque de soins médicaux. Les enfants en Palestine font l’expérience de la détention et de l’apartheid, comme plusieurs générations en Afrique du Sud ont dû le faire.
UN ACCORD AVANT LA LIBÉRATION DES PRISONNIERS, UN ARGUMENT INADMISSIBLE
Nous savons de par notre propre expérience que la volonté des peuples opprimés est inébranlable. Les Palestiniens le démontrent tous les jours. Derrière les barreaux, les prisonniers palestiniens ont lancé des mouvement de protestation et des grèves de la faim pour réclamer le respect de leurs droits.
Aujourd’hui, près de 5 000 palestiniens demeurent dans les prisons israéliennes. Les violations de leurs droits par Israël, y compris leur droit à un procès équitable, d’être traité humainement, et de recevoir des visites est scandaleux. La détention massive d’hommes, de femmes, d’enfants, la détention arbitraire, et l’arrestation d’élus du peuple sont autant de rappels douloureux de l’injustice dont nous avons souffert pendant l’état d’urgence. Si la communauté internationale était cohérente, le traitement réservé aux Palestiniens aurait dû faire l’objet d’une vague de condamnations et de sanctions.
Marwan Barghouthi a été condamné à cinq perpétuités d’emprisonnement et 40 ans de prison par des tribunaux israéliens qui démontrent régulièrement qu’ils sont des instruments de l’occupation et non de la justice. Il a été le premier parlementaire arrêté. De nombreux autres suivront. Un leader palestinien extrêmement populaire, une figure unitaire et un défenseur ardent de la paix fondée sur le droit international, il a été le principal architecte du "document des prisonniers" adopté par les leaders palestiniens emprisonnés qui définit une voie pacifique menant à l’unité, la liberté et la paix.
Certains usent de l’argument inadmissible que les prisonniers devraient être libérés une fois la paix conclue entre les parties au conflit. Une telle affirmation fait fi de ce qui s’est imposé comme réalité dans d’autres conflits : les prisonniers, une fois libérés, peuvent jouer un rôle décisif dans la réalisation de la paix. La libération inconditionnelle des prisonniers politiques est un signal fort que les ennemis endurcis d’hier sont enfin prêts à devenir des partenaires de paix. Alors que je suis les libérations par phase des prisonniers pré-Oslo, je ne peux que me demander pourquoi ils ont du patienter 20 ans de plus après la conclusion des accords de paix d’Oslo de 1993.
L’injustice ne m’est pas étrangère. J’en ai souffert depuis un âge précoce et pour l’essentiel de ma vie. Lors de ma récente visite en Palestine, je l’ai reconnu sous une de ses formes les plus effrayantes : des maisons palestiniennes démolies, le Mur de séparation et de honte, les barrages militaires, l’extension des colonies israéliennes. J’ai reconnu l’oppression et la ségrégation. Mandela a déclaré que notre liberté serait incomplète sans la liberté du peuple palestinien. Nous observons la Palestine d’aujourd’hui alors qu’elle poursuit sa longue marche vers la liberté et on ne peut que se souvenir de ce que nous avons enduré sous l’apartheid.
Malheureusement, Israël refuse toujours de s’engager à mettre fin à son occupation de la Palestine. Alors même que les négociations ont depuis longtemps commencé, et vacillé, Israël poursuit son occupation. C’est la lutte de notre peuple couplé à la pression internationale qui a permis la libération de Mandela et une transition négociée vers une Afrique du Sud démocratique. Nous avons donc le devoir sacré de faire campagne pour la libération inconditionnelle de Marwan Barghouthi et de tous les prisonniers politiques palestiniens comme étape indispensable vers la liberté du peuple palestinien et pour la paix dans la région.
L’apartheid, vaincu en Afrique du Sud, ne peut triompher en Palestine.
* Ahmed Kathrada a lancé la Campagne pour la libération de Mandela avant d’être emprisonné un an plus tard, passant 26 ans dans les prisons de l’apartheid. Le 27 octobre, à Robben Island, il lancera la Campagne internationale pour la libération de Marwan Barghouthi et tous les prisonniers palestiniens.
25 octobre 2013 - Le Monde - Vous pouvez consulter cet article à :
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