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Le journal de Gaza, 13e jour : les germes de la prochaine intifada ?

dimanche 9 janvier 2011 - 07h:37

Max Ajl - Uruknet

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De loin Gaza a l’air tranquille, bloqué dans une stasis (crise en grec NdT) politique - le gouvernement occupé à augmenter tranquillement son pouvoir, la population immobile, l’armée israélienne engagée dans d’obscurs raids qui ne sont jamais mentionnés par les médias à Farraheen, Khosa’a, Abasan, détruisant sauvagement les zones frontalières rurales de Gaza, étouffant la Bande de Gaza tour à tour géographiquement et économiquement.

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Jeunes gazouis lors d’une manifestation le long de la frontière de Gaza - Photo : AP

Les manifestations dans la zone tampon se sont éteintes ou ont été écrasées. Pendant un courte période il y en avait beaucoup et fréquemment, trois ou quatre par semaine, ou
même parfois plusieurs manifestations en même temps : à Rafah, Meghazi, Beit Hanoun. Mais elles se sont arrêtées, en partie parce que les gens ont commencé à avoir peur quand ils ont compris que les tireurs d’élite de l’armée israélienne étaient prêts à prendre le contrôle de la zone tampon. Si on jette un bref coup d’oeil, il semble n’y avoir que peu d’opposition politique organisée.

Mais sous la surface, d’après Omar Shaban de Pal-Think, les esprits bouillonnent férocement. Il y a des débats et des discussions politiques incessants : des conférences, des séminaires, des sessions stratégiques, de la formation personnelle, etc. La semaine dernière, j’étais à une séance de cinéma suivie d’une discussion sur l’analogie
de l’apartheid, organisée par Haidar Eid, au cours de laquelle nous avons débattu des avantages et des inconvénients d’appliquer la comparaison de l’apartheid au conflit israélo-palestinien.

Hier je suis allée à une conférence suivie d’une discussion ouverte sur le discours des médias occidentales au sujet du problème palestinien, donnée par Mousheer Amer, un professeur de linguistiques à l’université islamique de Gaza -il a commenté le modèle de propagande
de Chomsky et Herman*, et a fait l’analyse de la manière dont le conflit est présenté par les médias. D’autres professeurs, des journalistes, des gauchistes de longue date que je connaissais, remplissaient la pièce ainsi que plusieurs de ces jeunes écrivains super-instruits de Gaza qui avaient répertorié leurs souvenirs du massacre de Cast lead pour le site Mondoweiss, à l’occasion du 2ième
anniversaire de ce drame.

A cette soirée une étudiante universitaire avait amené le livre de Amira Hass : Drinking the sea in Gaza (Boire la
mer de Gaza). Elle disait que la situation était "désespérée" de ce ton exaspéré que certaines personnes prennent quand elles ont le secret espoir qu’il n’en soit rien. Et c’est bien ce que disent la plupart des gens ici à Gaza, jeunes aussi bien que vieux mais en même la plupart continue de lutter, avec constance et détermination.

L’occupation a ici deux conséquences. La première est la destruction psychologique de certaines parties de la population par le siège. J’ai peur d’apprendre ce que arrive aux enfants. Leurs dessins sont remplis de sang, de mort et de machines de guerre. Comme ils ne peuvent pas
exprimer leur colère, beaucoup la refoulent et taisent leur
traumatisme, ou alors explosent furieusement. Un fermier m’a dit que certains des combattants de la résistance qui se rendent dans les endroits situés à la frontière d’Israël savent qu’ils vont mourir et "que pouvez-vous dire à quelqu’un qui a envie de mourir ?"

Comme Eyad Serraj nous le rappelle : "Je dois vous dire que les gens qui commettent des attentats suicide pendant cette intifada sont les enfants des personnes qui ont fait la première intifada qui ont été les témoins de tant de traumatismes quand ils étaient enfants que, en grandissant, leur identité propre s’est fondue dans l’identité nationale d’humiliation et de défaite et ils vengent cette défaite aussi bien au niveau personnel que national."

Quand un voyou du Hamas crie a ses concitoyens de s’éloigner d’un militant de la solidarité dans un convoi, la première réaction est une réaction de dégoût.
Mais ensuite on réfléchit et on se rappelle de ce qu’a été la vie de ce voyou et on se souvient qu’elle a été bien différente de la notre : ce qu’il a connu ce sont les colons et les soldats qui humiliaient sa famille et torturaient son peuple. Il faut s’attendre à ce que ceux
qui n’ont à faire qu’à des hommes armés de fusils et de crosses de fusil ne deviennent souvent comme eux.

Mais il y a aussi autre chose dans ce que fait Israël qui est dangereux pour lui. Israël a fait de Gaza le dernier ghetto. Mais à l’intérieur de ce ghetto, excepté pour les pécheurs et les fermiers qui habitent près de la frontière -et c’est hélas beaucoup de monde- l’occupant n’est pas physiquement présent au jour le jour pour rendre
la vie impossible aux Gazaouis. Israël empêche les habitants de vivre une vie normale mais ne fait des intrusions sauvages que de temps en temps. Aussi les gens de la génération des 20,21,22,23 ans comme moi ou ceux qui sont un peu plus jeunes et spécialement les plus motivés
profitent du néant dégradant du siège pour faire quelque chose qui est dangereux pour Israël : lire, écrire, réfléchir.

Dans une paire d’années cette génération n’aura plus besoin de journalistes occidentaux compatissants pour les défendre. Dans l’espoir d’aiguiser leur maîtrise de l’anglais ils se défendront eux-mêmes et le feront parfaitement. Ils réclament des livres : Said, Malcolm X, Fanon, Benjamin. Et ils explosent, non pas en RPG ((lances roquettes), mais en manifestes, puis en vive critiques de ces manifestes - leur reprochant leur inutilité, le manque de programme politique, de critiquer trop violemment le gouvernement ou de le critiquer gratuitement.

Mes premières impressions quand je suis arrivé à Gaza il
y a deux semaines furent la tristesse générale, l’augmentation des meurtres perpétrés par les tireurs d’élite israéliens qui hantent la frontière, le rugissement sourd des F-16 qui volent lentement à basse
altitude au dessus de nos têtes et l’enfer d’explosifs qu’ils font pleuvoir sur les gens ici. Ce linceul lugubre recouvre tout, surtout quand je parle aux gens dans la rue ou aux chauffeurs de taxi, ou à ceux qui jettent des coups d’oeil nerveux vers le ciel, dans l’attente
de la prochaine pluie d’acier. Mais ensuite je fais tourner un peu le kaléidoscope : peut-être que ce qui est nouveau, ce qui sort de terre et qu’on commence juste à percevoir au milieu de la poussière et des cailloux, ce sont des premières pousses de ce qui se développera dans
l’avenir. Peut-être qu’il faut réfléchir à la manière dont on peut les aider à grandir.

Note :

* Le modèle de propagande (en anglais « propaganda model ») est une grille d’analyse des médias de masse américains mainstream proposée par Edward Herman et Noam Chomsky en 1988 dans leur livre La Fabrication du consentement. Ce modèle leur sert de base pour montrer que ces médias, bien loin d’être un « quatrième pouvoir », proposent selon eux un traitement biaisé de l’information au service des élites
politiques et économiques. (Wikipedia)

6 janvier 2011 - Uruknet - Pour consulter l’original :
www.uruknet.info?p=73641
Traduction : Dominique Muselet


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