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Tarik Aziz : bandit ou victime ?

jeudi 28 octobre 2010 - 17h:41

Mark Seddon - Al Jazeera

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La décision de prononcer la peine de mort contre Tariq Aziz a causé un émoi dans la communauté internationale.

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De tous ceux qui le félicitaient au début des années 80, lors de la guerre contre l’Iran, pas un ne lèvera le petit doigt pour aujourd’hui lui épargner la peine de mort.

Qu’est-ce qui se cache derrière la décision par le Haut tribunal irakien de prononcer une sentence de mort contre Tariq Aziz, longtemps ministre irakien des affaires étrangères et numéro deux après Saddam Hussein ? La décision a provoqué une onde de choc dans le monde, en grande partie parce que cette condamnation a tout l’air d’une vengeance.

Le Haut tribunal irakien a pris ce qui est une décision inhabituelle en annulant un jugement antérieur. Pour Tariq Aziz, sa peine de 27 années de prison a été ramenée à quelques de mois par sa condamnation à mort. Aziz a maintenant été jugé coupable de « persécution des partis islamiques », dont les dirigeants ont été assassinés, emprisonnés ou contraints à l’exil.

L’une des principales cibles de Saddam Hussein a été - selon le tribunal irakien - le parti islamique Dawa de l’actuel Premier ministre Nouri al-Maliki, un chiite. On peut supposer qu’il y avait suffisamment de preuves pour d"montrer que Tariq Aziz était impliqué dans cette persécution, et si oui, nous pouvons être à peu près certains que la volonté de le châtier a en effet joué un rôle dans sa condamnation à mort.

Quelle ironie que de nombreux gouvernements occidentaux semblaient si contents du régime de Saddam qui à l’époque, réprimait les partis islamiques. Mais n’attendez rien, il semble assez peu probable qu’il y ait des appels à la clémence venant de Washington et de Londres.

Tariq Aziz est bien entendu un chrétien chaldéen. Ceux-ci, avec les chrétiens assyriens ont terriblement souffert depuis la guerre, plus de la moitié d’entre eux étant aujourd’hui en exil. Être le seul chrétien dans une dictature laïque d’un parti Baas a été un facteur apparemment exploité par Saddam, avec des menaces à peine voilées de temps en temps pour la famille d’Aziz. Je me souviens, alors que j’étais en Irak, avoir entendu dire que Aziz craignait Saddam et qu’il n’était que trop conscient de la fragilité de la sécurité de sa famille. Ce qui n’est pas pour excuser Aziz d’avoir « suivi les ordres », mais cela peut d’une certaine façon expliquer pourquoi Aziz est resté à Bagdad, même quand il eétait devenu évident pour lui, si ce ne l’était pas pour Saddam, que l’Amérique et la Grande-Bretagne était très sérieux au sujet d’une invasion.

Il se disait même à l’époque que Aziz jouait un double jeu vers la fin - ce qui a été très certainement mon avis quand il a été incarcéré pour la première fois, la guerre terminée. J’attendais vraiment qu’il soit libéré dans cinq ans et qu’il se retire dans une petite maison à Beyrouth.

J’ai séjourné à deux reprises en Irak juste avant le début de la guerre. Je me souviens d’Aziz dans le hall de l’hôtel Al Rasheed à Bagdad, en présence de l’ultra-nationaliste russe Vladimir Jirinovski et du leader autrichien d’extrême droite, Jorg Haider. Pour finir, ma demande d’interview a payé. J’ai été emmené au ministère des Affaires étrangères dans une limousine opaque dans un parking souterrain, puis j’ai emprunté un ascenseur pour arriver dans une large corridor. Aziz était assis seul dans un grand fauteuil, des drapeaux irakiens à sa gauche et à sa droite, fumant un très grand cigare. Il m’a dit : « j’ai rencontré votre M. Heath et Mme Thatcher, mais pas votre M. Blair ».

« S’il vous plaît, dites à M. Blair que nous n’avons pas d’armes de destruction massive en Irak », m’a dit Aziz. « S’il vous plaît dites-lui qu’il est le bienvenu pour venir ici, ou envoyer quelqu’un qui souhaite voir par lui-même. » Je ne savais pas à quel point l’offre d’Aziz était importante, d’autant plus que chaque tentative au cours de la semaine précédente pour être autorisé à visiter les sites identifiés par les services secrets occidentaux comme contenant des armes de destruction massive, avait été rejetée avec des excuses de plus en plus discutables.

Mais après avoir interrogé assez longuement Scott Ritter, l’ancien chef de l’équipe de l’UNSCOM pour les inspections, j’étais presque sûr que Aziz a dit la vérité sur les armes de destruction massive quand il affirmé que l’Irak n’en disposait pas. À l’époque, j’étais aussi un membre élu du Comité exécutif du Parti travailliste britannique, et j’ai donc pu passer le message à Tony Blair, qui m’a regardé d’un air interrogateur. Il a ensuite fait une plaisanterie avec le ministre des Affaires étrangères, Chris Mullin, disant que « les Irakiens doivent être aux abois, s’ils se mettent à parler avec Mark Seddon ».

Quelques mois après la fin de la guerre, j’ai commencé à me demander ce qui était arrivé à Tariq Aziz. Après tout, il s’était rendu aux Américains quand ils sont arrivés à Bagdad. J’ai finalement réussi à retrouver sa femme et ses deux fils dans un hôtel à Amman, en Jordanie, où ils ont été pris en charge par les chrétiens chaldéens. Mme Aziz a été bouleversée quand elle a appris que son mari avait eu une crise cardiaque lors de sa garde à vue. Elle avait finalement réussi à retrouver la trace de Tariq Aziz dans un camp de prisonniers près de l’aéroport de Bagdad, et elle avait juste une note très brève griffonnée par son mari et qui disait : « Ne vous inquiétez pas, je suis ok », qui lui avait été transmise par la Croix-Rouge. Un des fils de Aziz était déjà en train d’envisager un séjour aux Etats-Unis afin de se qualifier comme dentiste, et je me souviens lui avoir conseillé de changer son nom pour qu’il puisse obtenir un visa, car « Saddam Aziz était peu probable d’être conforme aux règles d’accès aux Etats-Unis ».

Tariq Aziz est âgé de 74 ans, et il est en mauvaise santé. Il a déjà été emprisonné pendant une longue période. Compte tenu de la peine à laquelle il est maintenant condamné, il semble peu probable qu’il ne quitte jamais sa prison, sauf dans une boîte en bois. Mais la vengeance est clairement un puissant facteur de motivation. On ne devrait pas s’attendre à beaucoup d’aide de la part de ces hommes politiques occidentaux qui lui rendaient hommage dans les années 1980, alors que l’Irak était un allié précieux contre l’Iran des Ayatollahs. Je me souviens même avoir vu des photos de Donald Rumsfeld regardant tirer des roquettes irakiennes sur la péninsule Fawr - roquettes qu’il avait été très désireux de vendre. Peut-être Aziz, qui pourrait raconter toute l’histoire de l’intervention occidentale en Irak, avant, pendant et après la guerre, est tout simplement trop embarrassant et une figure potentiellement trop compromettante pour qu’il soit autorisé à finir ses jours en prison.

* Mark Seddon est écrivain et journaliste. Il est un ancien correspondant aux Nations Unies pour Al Jazeera en version anglaise. Il écrit actuellement pour, entre autres, The Guardian, The Independent, Daily Mail, Spectator, New Statesman, et Private Eye. Il est un ancien rédacteur en chef de Tribune.

Article lié :

- Procès de Tarek Aziz : il est noble, tandis qu’ils sont ignobles... - 11 mai 2008

27 octobre 2010 - Al Jazeera - Vous pouvez consulter cet article à :
http://english.aljazeera.net/indept...
Traduction : Info-Palestine.net


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