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Renforcement de l’occupation :
rôle de la Haute Cour de Justice d’Israël

samedi 24 février 2007 - 10h:26

Louis Frankethaler - The Electronic Intifada

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La question n’est pas les violations des droits humains par l’occupant mais que l’occupation en est par elle-même une violation.

Le journaliste Gidéon Lévy du quotidien israélien Ha’aretz écrit : « Dorénavant, la Cour suprême (israélienne) fonctionnera sans Aharon Barak. Vraisemblablement cependant, elle poursuivra son action conformément à l’héritage qu’il a laissé, autorisant presque toutes les injustices dans les Territoires. Barak, pendant ce temps, sera toujours présenté en Israël et dans le monde comme quelqu’un qui recherchait la justice. »

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Le président de la Cour suprême d’Israël, Aharon Barak.

La Haute Cour de Justice israélienne, sous la présidence du Professeur Barak, a fait impression sur de nombreux observateurs comme étant notamment évolutive, audacieuse, faisant autorité. Cependant, les résultats actuels de la Cour sous Barak n’offrent que peu de comparaison avec un tribunal comme la Cour Warren des Etats-Unis. On se souvient particulièrement de la Cour Warren car c’est elle qui a mis bas le système cruel et complètement antidémocratique de la ségrégation raciale dans les écoles aux Etats-Unis et pour sa décision Miranda selon laquelle les défendeurs criminels devaient être clairement informés de leurs droits civiques, dont le droit à un avocat. La Cour Barak, par contre (sans rien retirer de la portée de certaines de ses décisions à propos des droits civils en Israël), si elle a admonesté l’Etat en de nombreuses occasions sur certaines manifestations les plus marquantes de la cruauté de l’occupation israélienne, elle n’a pas vraiment agi pour s’y opposer, elle a plutôt épargné l’occupation et en réalité, comme le note Lévy, elle l’a renforcée.

Subventionnée, la Cour suprême en Israël, siégeant comme Haute Cour de Justice, est sous la pression constante du centre et de la droite israéliennes qui menacent d’entraver son autorité sur les décisions relatives aux questions constitutionnelles. Du fait qu’Israël n’a aucune véritable constitution, ni certainement aucun instrument complet pour protéger les droits civiques et humains, la Cour est constamment confrontée à des sollicitations qui veulent restreindre son prétendu activisme jurisprudentiel.

Ceci cependant ne devrait pas gêner la Cour. Elle devrait déclarer l’occupation illégale. Elle peut se servir de cette argumentation juridique claire et très fouillée qui fait sa réputation, d’une part pour démontrer précisément qu’il n’existe aucune différence fondamentale entre un avant-poste « illégal » tel Kochav Ya’akov ouest, et une colonie « légale » telle Kochav Ya’akov ou Ma’aleh Adumim (tous se situent au-delà de la Ligne verte, sur la terre des Palestiniens qu’on occupe et dont on les a expropriés), et d’autre part, que l’Etat n’a aucun droit de confisquer cette terre pour y monter un mur pour séparer les Palestiniens et protéger des colonies qui n’ont pas le droit d’exister. La Cour pourrait facilement se reposer sur la loi humanitaire internationale (LHI) qui interdit à Israël de faire exactement ce qu’il fait dans les Territoires palestiniens occupés. La Cour ne fait rien contre la politique d’assassinats en cours. Elle produit des analyses juridiques méticuleusement argumentées mais oublie ou ignore la dimension de l’être humain et de ses droits.

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Nouvelles constructions dans la colonie Ma’ale Adumim, en Cisjordanie occupée.

Après tout, quelqu’un a-t-il pensé à demander à Israël comment il en sait autant sur tous ces « terroristes » ? Israël infiltre la société palestinienne, s’insinuant là où est la vie palestinienne pour « persuader » des Palestiniens de se joindre aux efforts contre insurrectionnels d’Israël en tant qu’informateurs. Le plus souvent, il est trop difficile de refuser devant le « choix », devenir un informateur ou se faire « cataloguer » comme tel.

En outre, la Cour, dans un important arrêt, interdit soi-disant la torture en Israël. Cependant elle n’intègre pas dans les tortures l’euphémisme israélien, « pression physique modérée » alors que c’en est une. Mais plutôt que d’accorder sa décision sur le droit international et de proscrire de façon absolue la torture et tout traitement cruel et inhumain, elle laisse la porte entr’ouverte et, en fait, pave le chemin vers la torture et les traitements inhumains et dégradants pour qu’ils continuent à servir d’outils contre le terrorisme et l’insurrection, quoique (peut-être) à un moindre degré que par le passé. Bref, dans ces deux cas au moins, la Cour a agi comme un agent de l’Etat (même si critique) et non comme un arbitre pleinement impartial de la loi. Dans deux arrêts, le Président de la Cour, Barak, commence par un rappel des faits qui reprend la version très particulière d’Israël sur le combat contre le terrorisme et sur l’exigence d’employer des moyens spéciaux. Essentiellement, la Cour, dans ces deux cas, se comporte comme un régulateur et non comme un juge sur la justesse de ces méthodes de dernier ressort, soi-disant pour poursuivre sa « guerre contre le terrorisme ».

La barrière d’annexion continue de se monter, séparant les Palestiniens de leur famille tout en mettant en place les frontières pour un non Etat palestinien et un Etat colonial israélien agrandi. En réalité, dans l’un de ses arrêts les plus récents, la Haute Cour commence sa décision par le même texte sur le combat d’Israël contre le terrorisme et les besoins de sa sécurité. D’après les mots de Barak, le mur se construit bien « dans ce contexte ». Même si dans son arrêt (Mara’abe c/Premier ministre d’Israël, H.C.J. 7957/04) elle ordonne à l’Etat de revoir le tracé du mur, la Cour « approuve le choix politique de la construction du mur... ».

Essentiellement, la nature « évolutive » (dans le contexte israélien) de la Haute Cour de Justice est reléguée à un manque d’à-propos par son incapacité ou sa réticence à se révéler opposée à l’occupation, la Cour ne veut que la réguler.

La question n’est pas les violations des droits humains par l’occupant mais que l’occupation en est par elle-même une violation

La question que je veux soulever n’est pas celle du catalogue apparemment sans fin des violations des droits humains associées à l’occupation, mais plutôt le fait que ces violations sont des composantes intégrales de la violation première des droits humains, par la violence d’Etat qu’est l’occupation. L’avocat israélien pour les droits humains, Michael Sfard, notait que, par opposition aux « neutralistes pour les droits humains » qui veulent détourner l’occupation de ses violations, il faut considérer que « l’occupation est en elle-même une violation des droits humains. Par conséquent, en recherchant l’apport ou les atteintes du tribunal (la Haute Cour israélienne) aux droits humains, on analyse le rôle de la Cour dans l’affaiblissement ou le renforcement de l’occupation en tant qu’entité juridique et politique. »

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Le mur à Kalandya, au nord de Jérusalem, déclaré aujourd’hui frontière internationale par l’occupant.

Cette observation est absolument juste et elle doit cadrer toute discussion sur les violations des droits humains liées à l’occupation et toute référence aux prétentions israéliennes de puissance, de souveraineté et d’autorité sur la population palestinienne de Cisjordanie, de la Bande de Gaza et de Jérusalem. L’occupation, de plus, infeste Israël depuis quarante ans et emprisonne les Palestiniens tel un peuple apatride avec pratiquement aucune possibilité de protéger leurs droits, à l’exception de recours scandaleusement inadaptés au système juridique israélien. Celui-ci a pu parfois gronder Israël mais il a maintenu systématiquement fermés les barreaux de la prison qu’est l’occupation. Cela crée une situation si absurde que même lorsque l’avocat pour les droits humains « gagne » un jugement favorable devant la Haute Cour, il doit vraiment rechercher si la victoire obtenue n’est pas en réalité un élément nouveau dans l’organisation de l’occupation.

L’occupation et ses effets délétères continuent à l’intérieur et à l’extérieur de la Ligne verte. Israël interdit aux citoyens palestiniens de l’Etat (Israël) de se marier avec des Palestiniens des Territoires occupés. Les travailleurs migrants sont encore traités quasiment comme des esclaves, l’Etat harcèle leurs enfants qui ne savent rien de leur « patrie », les ciblant pour les expulser. Ces dernières semaines, le magazine hebdo Ha’aretz a publié des articles sur les réfugiés politiques africains qui se battent pour le droit à ne pas être expulsés par Israël et renvoyés dans leur pays d’origine, peut-être pour y être tués, violés ou tout autre abus qui recommencerait. Parmi ces articles, il y a la chronique de Gidéon Lévy sur la cruauté d’Israël à l’égard des Palestiniens - meurtres, destructions des familles et des maisons, humiliations, éradication de leur humanité - au nom de l’occupation. Après 40 ans de cette cruelle occupation qui a détruit la société palestinienne, ainsi que la société israélienne, Israël ne nourrit aucune appréhension et ne manifeste certainement aucun sentiment de honte.

Au lieu de cela, Israël continue son occupation destructrice sans aucune entrave et en toute impunité. L’Autorité palestinienne a été entraînée dans une guerre civile pendant qu’Israël, jubilant, restait bien calé dans son fauteuil comme si cela faisait partie de son plan. Pour les Palestiniens, Israël et sa Cour suprême sont les deux côtés de la même médaille. S’il a pu arriver que la Cour gronde du doigt l’Etat dans certains cas (et parfois accorder une aide honnête aux plaignants individuels), elle a failli - peut-être qu’elle en était incapable ou qu’elle l’appréhendait - elle a failli à prononcer le mot essentiel que chacun des cas exigeait : Non. Israël continue donc son entreprise d’occupation au point que tout semble être devenu irréversible. Les Palestiniens se voient retirer leur appartenance au monde humain, à un point qu’ils en arrivent à la définition d’Hannah Arendt à propos de ceux « qui ont été conduits hors de la notion de droit » et qui, même avec « des droits humains », ont été si coupés de leur communauté politique qu’on leur a refusé, à diverses périodes, jusqu’au droit à une identité.

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" Meurtres, destructions des familles et des maisons, humiliations, éradication de leur humanité - au nom de l’occupation."

Ces « droits de l’homme » qui, selon Arendt, sont inaliénables, ne peuvent être, même dans ces Etats qui prétendent fonder sur ces droit leur existence très démocratique, rendus de force aux personnes qu’on a privées de leur citoyenneté. C’est ce que précisément l’occupation israélienne fait aux Palestiniens, les retirant du champ de leur citoyenneté et repoussant totalement leurs aspirations à retrouver leur identité et leur souveraineté nationales. De la même manière, le concept d’Agamben de l’« homo sacer » comparé au statut des Palestiniens fait la lumière sur ce problème, dans le même sens qu’Hannah Arendt. Selon Agamden, le Palestinien, en vertu de sa position par rapport à la puissance absolue de l’occupation israélienne, a été dépouillé du statut et des droits les plus minimes dont jouit un esclave. Même un esclave a certains droits et protections or de plus en plus, il semble que les Palestiniens perdent même ces protections de base.

Le Palestinien est soumis à la volonté de l’occupant israélien. Il ou elle n’a pas le droit à la parole ni à un statut politique notable. Bien trop souvent, Israël agit en toute impunité quand il est question de la vie, des biens et du bien-être des Palestiniens. Même quand ils accèdent aux tribunaux, les Palestiniens reçoivent peu de secours et restent soumis à la puissance arbitraire d’Israël. D’ailleurs, il leur est réservé un système de justice particulier, à savoir « la justice militaire » où leurs droits à la procédure judiciaire, à un procès juste et à être interrogés sans violence sont gravement entravés.

Les Israéliens (spécialement les colons israéliens dans les Territoires occupés), de leur côté, sont administrés par une justice israélienne et tous constatent qu’ils bénéficient d’une exemption quasi-totale de poursuites quand ils commettent des crimes - même des crimes violents - contre les Palestiniens, et qu’ils poursuivent leur violence structurelle par l’expansion et la construction de colonies, actes illégaux manifestes. Pour les Palestiniens, le principe de l’égalité devant la loi ne s’applique pas. C’est quasiment incompréhensible. Alors qu’ils sont soumis aux lois d’Israël, ils ne possèdent aucune protection surtout si on compare avec celles accordées aux colons, aux autres Israéliens et à ceux qui ont eu le droit d’être Israéliens (c’est-à-dire les Juifs). Il est évident alors que le Palestinien est effectivement un « homo sacer » pour le système d’occupation israélien, si ce n’est pour la société israélienne toute entière. Selon Dani Filc et Hadas Ze’ev, « L’ ?homo sacer’ fait partie de la communauté en tant qu’exclu, comme quelqu’un qui peut être tué, et le tuer, lui ou elle, n’est pas considéré comme un meurtre. Lui ou elle est intégré par la loi mais comme quelqu’un d’exclu de sa protection... Dans certains contextes, tels que dans les Territoires occupés, les gens deviennent, de fait, des ?homines sacri’ » ( La fiction de la souveraineté et le déni du droit à la santé : la politique israélienne dans les Territoires occupés - Draft).

1967 et les décennies qui ont suivi prouvent qu’Israël est nullement intéressé par une réconciliation mais par la domination territoriale

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La culpabilité collective d’être l’Autre et d’oser résister à l’occupation illégale d’Israël.

Peut-être que la perte des droits humains des Palestiniens découle d’une autre situation dont parlait Arendt au sujet de ceux qui ont perdu d’abord l’essentiel de leurs droits : « la perte de leurs maisons... et la perte de la texture sociale toute entière dans laquelle ils sont nés et dans laquelle ils s’étaient fait une place distincte dans le monde. ». Ceci équivaut à la perte monumentale de la vie sociale et politique commencée dès 1948, sinon avant. Peut-être que sans l’occupation de 1967, qui a continué cette tendance à altérer les droits, il y aurait eu possibilité de cicatrisation et réconciliation. Mais 1967, et les décennies d’occupation qui ont suivi démontrent qu’Israël n’est nullement intéressé par une réconciliation mais plutôt par une domination territoriale, aux dépens de la sagesse politique, de la justice et de l’égalité. Il se pourrait que pour cette raison au moins, un universitaire renommé parle d’Israël comme d’un anachronisme, d’un pays qui, en vertu de sa destruction de la société palestinienne, de son occupation et de sa politique coloniale, s’est placé lui-même dans la même catégorie que les Etats colonialistes du 19è siècle, tels que les Etats-Unis qui se sont étendus au-delà de leurs frontières en conquérant et en s’implantant vers l’ouest, toujours aux dépens de la population américaine indigène.

La Haute Cour de Justice israélienne a surveillé, et surveille encore ces développements, en conférant à l’occupation sa propre autorité judiciaire. Ainsi, les Palestiniens restent surtout des personnes sans visages, privés de droits civils et humains, sans possibilités réelles de recours. Comme Gidéon Lévy l’écrit après les dernières décisions judiciaires d’Aharon Barak, « L’occupation israélienne a acquis un pouvoir considérable. Ce pouvoir supplémentaire arrivé sous la forme d’une vaste légitimation s’est vu concéder le droit aux injustices par l’institution la plus prestigieuse de la société israélienne, la Haute Cour de Justice. ».

Cependant, il est impossible de faire reposer toute la responsabilité de cette parodie sur le dos de la Haute Cour de Justice d’Israël. La politique d’occupation est une politique nationale que les citoyens israéliens ont tacitement, si ce n’est ouvertement, approuvée tout au long de ces quatre décennies. Il est difficile de mesurer le degré de leur complicité mais une chose est claire, c’est que l’occupation crée une situation dans laquelle, au moins indirectement, la société israélienne supporte autant de responsabilité que les autorités politiques, militaires et judiciaires d’Israël. Négation et myopie sont les pathologies israéliennes.

Tout comme l’Irakien est « incapable d’émotions » pour les Américains, les Palestiniens sont tout aussi incapables d’émotions pour les Israéliens.

Peut-être les Israéliens voient-ils la violence qu’ils infligent aux Palestiniens comme quelque chose qui ne peut constituer une violation des droits humains, ou plutôt pour rependre la ligne de pensée de Cyra Choudhury concernant les Etats-Unis et l’Irak, comme une mesure réparatrice « appliquée » à un peuple qui porte le poids d’une culpabilité collective, celle d’être l’Autre et d’avoir commis un « crime » collectif en osant résister et s’opposer à une occupation manifestement illégale. Tout comme Guantanamo Bay est devenu la métaphore pour montrer comme les Etats-Unis ont agi et continuent d’agir en toute impunité, l’occupation pourrait maintenant être regardée comme le Guantanamo Bay d’Israël.


Louis Frankenthaler vit à Jérusalem où il travaille pour le Comité public contre la torture en Israël. Il est docteur en droit et diplômé supérieur ès lettres. Les conclusions et opinions exprimées dans ce texte sont celles personnelles de l’auteur.

The Electronic Intifada - 21 février 2007 - - Trad. : JPP


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