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Les États-Unis ne peuvent pas lancer aujourd’hui une offensive militaire contre l’Iran

samedi 24 février 2007 - 06h:49

Renaud Girard - Le Figaro

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L’analyse de Renaud Girard, grand reporter au service international du Figaro

Depuis que le président George W. Bush a ordonné l’envoi d’un second groupe aéronaval dans le golfe Persique, la rumeur enfle à Washington de la possibilité de frappes aériennes américaines visant à détruire le potentiel nucléaire iranien. La conférence de presse que le chef suprême des forces armées des États-Unis a donnée le 14 février n’a fait qu’alimenter encore la rumeur : Bush s’y est plaint de l’envoi par l’Iran en Irak d’engins explosifs ayant été utilisés contre les soldats américains et il a exclu toute possibilité d’un dialogue direct entre Washington et Téhéran.

Maints observateurs de l’Administration américaine en ont conclu que le président cherchait à provoquer un « conflit accidentel » avec l’Iran, pays qui figurait au même titre que l’Irak et la Corée du Nord dans sa fameuse liste de l’« axe du mal » révélée au monde lors de son discours au Congrès du 29 janvier 2002. De nombreux analystes valident cette hypothèse en affirmant que le président a désespérément besoin de laisser dans l’histoire un succès de politique étrangère, qui compenserait le fiasco de son intervention en Irak, son absence de solution au conflit israélo-palestinien, ainsi que l’embourbement de l’Otan en Afghanistan.

La réalité, pourtant, c’est que de trop nombreux obstacles rendent aujourd’hui invraisemblable une frappe américaine sur l’Iran. Ces obstacles sont aussi bien techniques, politiques que diplomatiques.

Techniquement, l’emplacement exact de toutes les installations iraniennes d’enrichissement d’uranium n’est pas connu par l’aviation américaine. L’espionnage par satellite a clairement démontré ses limites le jour où George Tenet, le patron de la CIA, a appris, comme tout le monde par la radio, un matin de 1998, que l’Inde avait procédé à une explosion nucléaire. Aucun stratège américain ne peut garantir aujourd’hui que des frappes aériennes anéantiraient efficacement et pour longtemps la capacité de l’Iran à enrichir l’uranium. Les centrifugeuses sont des outils relativement peu encombrants (de la taille d’un porte-parapluies), qu’il est facile de déménager et de cacher.

Politiquement, une opération militaire aurait en Iran deux conséquences immédiates, que les stratèges du Pentagone et du Département d’État sont obligés de prendre en compte. La première serait de rassembler, dans un réflexe patriotique, toute la population iranienne derrière le très radical président Mahmoud Ahmadinejad. Les tendances modérées, telles qu’elles se sont récemment exprimées lors des élections à l’Assemblée des Experts (Chambre correspondant à notre Sénat), seraient pour longtemps balayées du paysage politique local. L’espoir se dissiperait d’un changement interne du régime sous l’effet des aspirations avérées de la jeunesse à davantage de liberté.

La seconde conséquence immédiate serait évidemment le retrait par l’Iran de son adhésion au TNP (traité de non-prolifération nucléaire) et le renvoi du pays de tous les inspecteurs de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique, basée à Vienne). Les autorités de Téhéran ont toujours affirmé que leur volonté de maîtriser le cycle de production de l’uranium enrichi ne visait qu’à produire de l’électricité et qu’elles n’avaient pas l’intention de se doter de l’arme atomique. Des bombardements américains scelleraient la fin de ces bonnes intentions proclamées, sinon réelles.

À plus long terme, les stratèges américains doivent s’être interrogés sur l’étape suivante, question qu’ils avaient éludée lors de la planification de l’invasion de l’Irak, une défaillance que l’Amérique paie aujourd’hui très cruellement. Or personne à Washington ne peut actuellement prédire avec un minimum d’exactitude ce qui se passerait au Moyen-Orient après une telle frappe. Oui ou non, assisterait-on à une vague populaire sans précédent d’antiaméricanisme ? Les régimes alliés des États-Unis dans la région (Arabie saoudite et autres pétromonarchies du Golfe, Égypte, Jordanie, Liban, Irak) s’en trouveraient-ils renforcés ou fragilisés ? Des insurrections, voire des révolutions, éclateraient-elles ? L’Amérique serait-elle en mesure de les contenir ? Tant que les stratèges américains n’auront pas de réponse à ces questions, ils resteront enclins à la prudence.

Enfin, il y a les obstacles diplomatiques, considérables. Il n’y a aucune chance aujourd’hui pour que le Conseil de sécurité de l’ONU donne son aval à de telles initiatives militaires. La Russie y opposerait certainement son veto, comme l’a montré le récent discours de Vladimir Poutine en Arabie saoudite, où le chef du Kremlin s’en est pris très directement à l’« interventionnisme extérieur » des États-Unis. La Chine, qui entend maintenir ses liens pétroliers privilégiés avec l’Iran, suivrait très probablement la Russie sur ce terrain, en brandissant son propre veto.

Aux États-Unis même, l’hypothèse d’un nouveau viol du Conseil de sécurité de l’ONU par l’Administration Bush serait très mal reçue, y compris dans le camp républicain. Fondatrice de l’ONU en 1945, l’Amérique croit encore majoritairement à l’avantage de conserver intact le système actuel du droit international. En outre, l’Amérique n’aurait, pour une telle aventure, même pas le soutien de ses alliés habituellement les plus inconditionnels. Au Royaume-Uni, deux généraux viennent d’affirmer qu’attaquer l’Iran constituerait une « pure folie ».

L’envoi de forces navales américaines supplémentaires dans le Golfe doit donc se comprendre aujourd’hui comme une simple gesticulation, destinée à faire réfléchir les dirigeants iraniens. C’est le bâton qu’on agite dans l’espoir que l’adversaire réclamera une carotte raisonnable.

22 février 2007 - Le Figaro - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.lefigaro.fr/debats/20070...


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