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Armada de haine et de violence ou armada de compassion ?

samedi 26 juin 2010 - 07h:40

Anait Brutian

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Quelque deux semaines après l’attaque israélienne contre les bateaux d’aide humanitaire se rendant à Gaza, il reste beaucoup de questions sans réponse, cela en partie parce que l’assaut mortel s’est déroulé en haute mer et que les journalistes et les observateurs à bord ont été empêchés d’envoyer des témoignages directs sur le massacre brutal qui a fait neuf morts et beaucoup de blessés.

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Mavi Marmara

Lors d’une conférence de presse tenue avec Mahmoud Abbas, le président Obama a appuyé l’idée d’une enquête « répondant aux normes internationales ». « Nous avons vu la tragédie des flottilles, tragédie qui a attiré l’attention du monde entier sur les problèmes actuels à Gaza. En tant que membre du Conseil de sécurité des Nations unies, nous condamnons formellement les actes qui ont mené à cette crise et nous avons demandé une enquête approfondie. Il est important que nous divulguions tous les faits. Comme nous le savons tous, la situation à Gaza est intenable.

Israël a carrément refusé une enquête internationale. Le mouvement Free Gaza - créé pour apporter de l’aide à Gaza assiégée et pour « faire savoir au monde que la fermeture de la bande a fait de Gaza une prison » - a été décrit comme « l’armada de la haine et de la violence soutenant l’organisation terroriste du Hamas » ; cette déclaration émane du vice-ministre des affaires étrangères, Daniel Ayalon, qui a ajouté que l’initiative du mouvement avait été « une provocation préméditée et scandaleuse » et qui accuse les organisateurs d’avoir des « liens avec le Djihad global, avec Al Qaïda et le Hamas ». Ces accusations scandaleuses passent totalement sous silence le fait que selon les statistiques des Nations unies, près de 70 % des Gazaouis vivent avec moins de un dollar US par jour, que 75 % dépendent de l’aide alimentaire et que 60 % n’ont pas quotidiennement accès à l’eau.

Les commentaires méprisables de M. Ayalon cherchent à cacher le véritable objectif du blocus israélien de Gaza - punir collectivement les Gazaouis pour avoir élu le Hamas lors d’élections démocratiques et affaiblir l’appui populaire dont le Hamas jouit en créant des conditions de vie insupportables. Les accusations visant des parlementaires, des observateurs internationaux, des humanitaires et des journalistes ne font pas oublier au monde que l’objectif d’Israël est de renverser le Hamas et montre qu’il est nécessaire de revoir le préjugé occidental à l’encontre d’un gouvernement dans la bande de Gaza, légitimement élu, qu’Israël appelle une organisation terroriste. Étant donné le dernier massacre israélien de civils non armés à bord du Mavi Marmara, l’Occident doit non seulement repenser son attitude envers le Hamas, mais également remettre en question la crédibilité de toutes les affirmations israéliennes - récentes et passées.

Alors qu’il commettait des actes de violence méprisables sur la personne des passagers de la flottille humanitaire, Israël « a étroitement contrôlé les images de son raid naval contre la flottille ; il a saisi presque tous le matériel photographique et vidéo des passagers, et a également bloqué toutes les communications lors de l’assaut ». Quelques passagers ont réussi à sortir en fraude des vidéos et des photos qui montrent l’activité à bord du bateau avant l’assaut israélien et la réaction des passagers pendant l’assaut ainsi que des séquences montrant les blessés et les morts. La vidéo brute d’une heure filmée par la cinéaste et militante new-yorkaise, Iara Lee, et les photos de la photographe australienne, Kate Geraghty, donnent un aperçu de ce qui s’est véritablement passé à bord des bateaux.

Pendant son interview avec Amy Goodman sur Democracy Now, Iara Lee a dit que les militants à bord « se préparaient à un affrontement », mais qu’ils ne pensaient pas qu’il allait être aussi violent. « Lorsque nous avons vu les commandos descendre de l’hélicoptère et ces Zodiacs pleins de soldats qui nous encerclaient, nous sommes restés sans voix » ... Les Zodiac sont arrivés et nous ont encerclés et les hélicoptères ont fait descendre leurs commandos. Ce fut le chaos, un chaos total. On a dit aux femmes de descendre et de rester tranquilles et calmes. Comme je me faisais beaucoup de souci pour mon caméraman et mes amis, je suis montée. Et à ce moment-là j’ai vu beaucoup de blessés et des morts. C’était terrifiant.... À la fin de l’opération, on nous a confisqué notre équipement ». Selon Ms Lee, les gens avaient leur caméra et leur matériel vidéo pendant le raid et « tout le monde filmait ». Toutefois ils n’ont pas pu sortir leurs films ou leurs photos car tout a été confisqué.

Dès après l’attaque, les mégaphones ont annoncé dans tout le bateau « restez tranquilles et calmes. Ils utilisent des balles réelles. Nous n’avons pas les moyens de résister. Ils s’emparent du bateau. Restez calmes et ne résistez pas ». Effectivement, en plus des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes, les Israéliens ont tiré à balles réelles sur le Mavi Marmara. Ceci est corroboré par des témoins directs, des journalistes australiens à bord de Challenger One- Paul McGeough, auteur de Kill Khalid : The Failed Mossad Assassination of Khalid Mishalet the Rise of Hamas, correspondant en chef du Sydney Morning Herald, et Kate Geraghty, photographe au même journal. Dans une interview avec Amy Goodman de Democracy Now, Paul McGeough a dit : « nous étions à environ... 150 mètres du bâbord quand les Israéliens ont commencé à lancer des grenades sonores, des grenades lacrymogènes vers l’arrière du bateau où se tenait une foule importante. Vous pouviez les voir dans leurs gilets de sauvetage. Vous pouviez voir les éclairs des moyens incendiaires. Vous pouviez entendre le bruit des explosions et la panique et la colère qui ont suivi ».

Au moment de la prise de Challenger One, Kate Geraghty, était en train de prendre des photos ; « elle a reçu une secousse de taser et a été jetée sur le pont ». « J’étais en train de prendre des photos à côté de Paul. Et je regardais par-dessus bord lors de l’arrivée des commandos - un commando israélien est venu vers nous... Il m’a frappée sur l’avant-bras me repoussant d’un mètre, un mètre et demi. Et là j’ai immédiatement vomi ». Au moment où elle commencé à vomir, le commando s’est dirigé vers elle et lui a arraché sa caméra. Pas question de discuter avec ces hommes armés dont les prouesses se mesurent non dans les combats, mais en haute mer dans des actes de piraterie contre des photographes et d’autres civils non armés attaqués au taser. Pas glorieux dans un CV militaire ! Piètre utilisation d’une puissance militaire ! Victoire sans gloire !

Envoyer des unités militaires spécialement formées à des raids dangereux contre des civils sans armes n’a pas « résulté d’un différend entre les agences de renseignement » a affirmé un groupe de hauts officiers de la marine de réserve israélienne dénonçant le raid. Israël a la capacité d’intercepter toutes les communications radio et savait à l’avance que les bateaux humanitaires ne transportaient ni militants ni armes. En outre, six militants initialement à bord du Mavi Marmara n’ont toujours pas été retrouvés »... Ils ne sont pas blessés, ils n’ont pas été tués. Ils ont disparu... Certains pensent que nous avions des espions à bord, alors peut-être que ceux qui manquent à l’appel étaient... des agents du Mossad. L’hypothèse est tout à fait plausible et nous permet de comprendre pourquoi Israël a utilisé des commandos masqués en camouflage pour envahir un bateau humanitaire.

Tout comme les Palestiniens de Gaza subissent la force mortelle de l’armée israélienne pour avoir mal voté, il en va de même pour ceux qui soutiennent la Palestine. L’attaque a été montée pour intimider et punir tous ceux qui éprouvent de la compassion pour Gaza assiégée - une sorte de punition collective, imposée à des parlementaires, des humanitaires, des militants, des observateurs internationaux et des journalistes.

Ironiquement, les commandos israéliens ont eux-mêmes étayé cette affirmation puisqu’ils ont appelé le Mavi Marmara un « bateau de la haine » en dépit du fait que certains de leurs soldats blessés ont reçu des soins de la part des passagers du prétendu bateau de la haine. « Ils [les passagers] ont réussi à s’emparer de quelques soldats israéliens, mais ils étaient évidemment tellement imprégnés de non-violence, que nous n’en avons tué aucun. »

Si on compare leurs actions avec leurs paroles, on se demande si : « les Israéliens font aucune distinction entre le bien et le mal ? Au milieu des eaux internationales, les Israéliens sont venus à bord d’un bateau humanitaire et ont « utilisé des balles réelles ». Ils ne sont pas venus pour jouer... Ils sont venus pour tuer ». Neuf civils sont morts et 48 autres ont été blessées par balles. Et pourtant, ils osent parler de « bateau de la haine ». Les résultats d’autopsie des neuf victimes confirment que dans chaque cas 30 balles ont été tirées. Cinq des victimes avaient des blessures à la tête. Furkan Dogan, 19 ans, citoyen étasunien « a reçu cinq balles à moins de 45 cm[...] du visage, l’arrière de la tête, deux balles dans la jambe et une dans le dos. » Et pourtant le ministre des affaires étrangères adjoint, Daniel Ayalon, ose appeler Free Gaza « l’armada de la haine et de la violence ». Tirer sur un être humain « à bout portant » n’est pas de la haine et de la violence alors qu’il apporte de l’aide à Gaza ? C’est à se demander non seulement si Israël comprend le droit international, mais aussi de quel sens moral il fait preuve dans les actes brutaux de violence.

En construisant une toute nouvelle prison pour accueillir les quelque 600 militants kidnappés de la Flottille de la liberté au port d’Ashdod, les architectes de l’attaque préméditée ont élaboré un plan ingénieux pour aveugler, réduire au silence, obscurcir toute source d’information. La caméra de Kate Geraghty lui a été arrachée pendant qu’elle vomissait- elle a eu des contusions, elle a subi des brûlures mineures et a souffert de nausées. Le premier matelot de Challenger One , Shane Dillon, a assisté à l’attaque contre Kate Geraghty et à « l’arrachage » de l’équipement de Paul McGeough : « elle ne faisait que son travail de journaliste... Elle leur a dit qu’elle était photographe professionnelle ».

Pourtant, Peter Fray, rédacteur en chef du Sydney Morning Herald -avait envoyé une lettre aux autorités israéliennes, le 24 mai 2010, dans laquelle il disait« dans l’éventualité où Israël saisirait le bateau sur lequel ils voyagent, je vous demande instamment de permettre à McGeough et à Geraghty de poursuivre leur travail de journalistes... » ; l’ambassadeur, Yuval Rotem, avait reçu cette lettre avant le départ de la flottille, et malgré cela les deux journalistes n’ont pas pu faire leur travail ».... A bord, nous avons pu faire notre travail conformément à notre contrat. Nous avons envoyé des rapports réguliers. Nous avions les satellites. Nous avions des téléphones satellitaires. Nous avions des ordinateurs qui étaient branchés sur ces téléphones satellitaires. Du matériel coûtant entre 60 000 et 80 000 dollars nous a été confisqué. Nous ne l’avons pas revu. Ils ne nous ont même pas donné de reçu ».

Iara Lee, de Cultures of Resistance, dont les DD et les caméras ont été saisies par les commandos a exprimé le même sentiment. Bien qu’elle ait dit « ... Nous exigeons ce que nous avons filmé... Nous pourrions reconstituer les événements si nous avions nos films ... Sans faire de manipulation. Les Israéliens utilisent nos films pour leur narration et les publient sur YouTube... C’est une violation complète du respect des médias »- il est extrêmement probable qu’elle ne récupérera pas son matériel. Ce serait contraire à la censure israélienne.

Pleinement conscients du caractère illégal de l’attaque, les Israéliens ont monté une offensive disproportionnée contre des gens qui les ont repoussés avec des chaises, des balais, des pièces du bateau et des déchets. Les autorités israéliennes prétendent que « les commandos ont été attaqués par les militants » qu’il y avait, selon les FID des « armes hostiles à bord ». Les témoins réfutent les affirmations israéliennes et précisent que les commandos ont utilisé « des grenades étourdissantes, des tasers, des fusils paintball très rapides, des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et des balles réelles contre des civils sans armes.

Les mensonges Israéliens auraient probablement été acceptés en masse s’il n’y avait eu aucun enregistrement de l’attaque. Après avoir confisqué « tous les appareils d’enregistrement et de communication qu’il a pu trouver » le gouvernement israélien a "sélectionné, monté et diffusé les séquences qu’il voulait montrer au public ». Paul McGeough évalue la tentative de censure israélienne sur l’attaque : « ..... la première priorité des soldats israéliens dès leur débarquement dans le bateau a été d’étouffer l’histoire, de confisquer toutes les caméras, de fermer les satellites, de détruire les caméras CCTV à bord du Mavi Marmara pour s’assurer que rien ne transpire. Ils voulaient absolument contrôler la narration. Si vous revenez au désastre de Dubaï, une histoire qui a tourné très mal pour les Israéliens en janvier avec l’assassinat du responsable du Hamas, ceux-ci connaissaient si bien l’importance du contrôle de la narration à tout moment de la crise que leur priorité absolue était, comme je l’ai dit, d’étouffer tout autre témoignage.

Pendant qu’Israël « contrôlait sa version des faits » des civils saignaient à mort mais il n’a pas réussi à contrôler l’information. Iara Lee raconte « je crois que les Israéliens ont fait un mauvais calcul en brouillant notre système satellitaire, s’imaginant que le monde n’aurait pas accès à l’information. Et il ne savait pas que nous avions un système de sauvegarde qui pouvait transmettre en direct certains des événements. Et de toute évidence, il faisait noir au milieu de l’océan et ils ont donc pensé qu’ils avaient réussi. Aucune information ne serait diffusée. Ils allaient être les seuls à la détenir, puisqu’ils filmaient ouvertement. Comme nous étions des centaines, certains d’entre nous ont réussi à faire sortir des photos et des séquences vidéo. Aujourd’hui, nous montrons ce que nous avons filmé, sans montage, sans censure et le monde comprendra. Ce matériel sera disponible aux fins d’enquête.

Enquête ou non, le monde a vu les films de la brutalité israélienne et il s’est fait une opinion. Les commandos israéliens qui ont été « capturés et brièvement détenus au début de l’attaque » ont été rendus aux soldats. Iara Lee signale :[ceci] prouve amplement que nous n’étions pas là pour lyncher qui que ce soit car nous avons eu l’occasion de tuer ou de vraiment... maltraiter ces soldats et nous ne l’avons pas fait... Nous sommes des humanitaires. En dépit du chaos, nous savions que nous devions rester non-violents ». Et ils sont restés non-violents ! On pourrait demander où s’insère dans la narration non censurée les allégations du ministre des affaires étrangères adjoint, Daniel Ayalon, au sujet de « l’armada de la haine et de la violence » ou des accusations des commandos caractérisant le Mavi Marmara de « bateau de la haine ». La violence et la haine qu’il y a eues- comme en témoigne l’attaque contre la flottille de la liberté - étaient dirigées contre une humanité qui n’a pas perdu sa capacité d’être concernée par les opprimés, en dépit des distorsions , de la censure et des mensonges, israéliens.

* Anait Brutian (Bachelor en musique avec distinction en Théorie, McGill University ; master en théorie musicale, McGill University) est étudiante à la faculté des sciences religieuses de McGill. Elle a publié à compte d’auteur : Reconciling Geometry, Rhetoric and Harmony : A Fresh Look at C. P. E. Bach.
Elle travaille actuellement à un autre livre traitant des paradigmes mathématiques en littérature (ancien et nouveau testaments ), art, architecture, et musique. Vous pouvez lui écrire à : anaitbrutian@videotron.ca

22 juin 2010 - Cet article peut être consulté ici :
http://sabbah.biz/mt/archives/2010/...

Traduction : amg


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