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La percée des colons

vendredi 23 février 2007 - 06h:52

Eléonore de Narbonne - Témoignage chrétien

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« Je ne vis pas dans une colonie, mais dans une
implantation »,
rectifie Claude avec un phrasé
gouailleur. Depuis qu’il a quitté Paris, Claude
s’appelle Moshé et (...)

Dans les Territoires, on construit à tout-va.
Par nécessité économique ou par choix politico-religieux, des familles juives investissent ces villes nouvelles. Les tensions avec les Palestiniens voisins se multiplient.

« Je ne vis pas dans une colonie, mais dans une
implantation »,
rectifie Claude avec un phrasé
gouailleur. Depuis qu’il a quitté Paris, Claude
s’appelle Moshé et ne serre plus de main
féminine étrangère. « Je suis orthodoxe »,explique-t-il en montrant la large kippa dissimulée
par sa casquette. Il a trouvé un nid pour sa famille à
prix abordable dans une localité toute neuve peuplée
d’Israéliens, comme lui à la recherche d’un cadre
de vie agréable. En Cisjordanie.


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(Ph. Eléonore de Narbonne)


Les colons sont les juifs qui ont établi des unités de
peuplement dans les territoires conquis par Israël à
l’issue de la guerre des Six Jours, que la communauté
internationale considère depuis comme occupés.
En 1967, la résolution 242 de l’Onu prévoit leur évacuation
et infirme leur légalité. Depuis trente ans, ces
unités de peuplement poussent néanmoins comme
des champignons au-delà de la « Ligne verte » : en
1972, huit cents pionniers s’y installaient ; aujourd’hui,
ils sont 260 000 (sur 7 millions d’Israéliens) à
vivre au milieu de 2,4 millions d’Arabes. Selon le
ministère israélien de l’Intérieur, le nombre de juifs
en Cisjordanie a augmenté de près de 6% en 2006,
contre 1,4% en 2005. La Cour internationale de justice,
qu’Israël ne reconnaît pas, a jugé leur présence
illégale.

La majorité d’entre eux sont des « colons économiques » comme Moshé, davantage motivé par un logement
bon marché au grand air (1) - promis par la publicité - que par une idéologie antipalestinienne. Municipalité
officielle depuis plus de quinze ans, Ma’ale
Adumim est dotée d’infrastructures scolaires, sociales
et de loisirs. Avec plus de 31000 habitants - que le
maire compte doubler en dix ans -, c’est la plus grande
colonie de Cisjordanie. Qui sera coupée en deux
si le projet E2, qui prévoit de déployer la cité sur plus
de 50 km2 vers Jéricho à l’est, voit le jour.
Ramot, à une demi-heure de bus du centre de Jéru-
salem : dans les rues bordées de maisons en pierre
claire, les hommes portent caftan, papillotes et chapeau.
Les femmes, jupe longue et cheveux couverts,
sortent rarement sans poussette.

Rien, pas même l’appel
à la prière du village arabe voisin, ne perturbe le
rituel repas de shabat auquel tiennent ces laïcs convaincus
que sont les Foster. Enseignants, les parents ont
toujours voté à gauche. « Le temps est venu de créer
un État palestinien », professe le père, tout en admettant
que sa maison se trouve « à cent mètres derrière
la Ligne verte ». « Ce n’est pas une colonie puisque nous
ne seront jamais évacués »,
s’exclame le fils, défendant
la politique du fait accompli. Une technique sur laquelle
repose tout le développement des implantations.
Pragmatique, celui-ci n’exclut pas de rejoindre l’une
de ces villes nouvelles quand viendra l’heure de fonder
une famille. Comme ses voisins, il n’aura aucun
mal à oublier qu’il vit en zone militarisée et qu’il
contribue ainsi à l’occupation.


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Ma’ale Adumim


Plus on gagne l’intérieur des Territoires, plus on a affaire à des « colons idéologiques » réfractaires à l’idée
d’une future Palestine. Estimés à environ 60000, ils
vivent au milieu de localités palestiniennes dans des
villages isolés où l’on n’entre pas sans montrer patte
blanche. Persuadés qu’il défendent la « frontière
orientale » israélienne du péril arabe, mus par une
mission d’ordre divin, ils sont souvent armés. Ils appellent
la Cisjordanie « Judée et Samarie » qui désigne
l’antique royaume juif d’il y a trois mille ans. « La
véritable ligne de partage entre [ces deux types de colons]
est le prix qu’ils sont prêts à payer »
(2) pour y vivre : leur vie pour la cause, quand d’autres déguerpissent face
au danger, surtout depuis septembre 2000, avec la
seconde intifada. De 2000 à 2005, plus de cent soixante
colons ont été tués par balles et des centaines furent
blessés sur les routes ou à l’intérieur des colonies ; les
milliers de victimes palestiniennes du feu israélien - civil et militaire - sont plus difficiles à chiffrer.
Impossible de circuler sur la « route des colons » (empruntée par les bus publics israéliens) ou sur celle autorisée aux Palestiniens, à travers ces espaces arides et
vallonnés, baignés d’une lumière si claire qu’on la
croirait volontiers divine, sans apercevoir ces lotissements aux toits rouges plus ou moins étendus sur la
crête des collines. Ici, chaque mètre carré est l’enjeu
d’un pouvoir sur une terre dont les colons estiment...
qu’elle leur est promise.

Résultat : la moindre récolte d’olives expose un fermier
palestinien au risque d’une mauvaise rencontre.
« Quand j’étais petit, tout ça c’était chez nous, désigne
d’un geste ample Abdelnasser, sous un olivier mangé
par les broussailles. Et puis on a vu pousser des maisons
ici, là-bas... »
Il n’appelle pas les habitants d’Eli
« les colons » mais « les Israéliens », trop habitué à voir, dans ces voisins juifs, des pilleurs ou des soldats.

Du pré d’en face, deux militaires lui ordonnent : « Pas plus
loin ! »
Située à plus de vingt-trois kilomètres de la
Ligne verte, Eli fondée il y a vingt ans, comptait 2500
habitants en juin 2006. C’est une colonie satellite
d’Ariel dont la moitié des 20000 habitants sont des
immigrants russes arrivés dans les années 90.
Avec leur sac sur le dos et leur allure baba-cool, les
jeunes que l’on croise aux carrefours peuvent facilement
être pris pour des hippies en vadrouille. Il n’en
est rien : la jeune génération de colons est souvent
plus virulente que celle des parents. Héritiers des sionistes religieux (3) qui ont fondé les premières colonies dans les années 70 pour peupler le « Grand Israël », ils préfèrent la nature à l’embourgeoisement de leurs aînés. C’est qu’il a bien fallu que l’establishement
colon -largement financé par la diaspora- fournisse
à ces Israéliens bientôt retraités un confort proportionnel
au danger quotidien encouru. Quand ils
ne sont pas partis vers l’ouest, ces jeunes ont bien souvent
perdu confiance dans des gouvernements qui
se sont progressivement compromis dans l’acceptation
d’un État palestinien, jusqu’à évacuer les 8000
colons de Gaza en août 2005. Un retrait soutenu à
l’époque par plus de 60% des Israéliens.

Les colons reputés les plus violents vivent dans la
région de Hébron. Dans les collines de Masafir Yata,
quelques milliers de Palestiniens habitent dans des
tentes et des grottes, selon un mode de vie ancestral.
Ils connaissent bien les colons qui vivent en face, à
Sussya, car ceux-ci essaient depuis longtemps de les
faire partir : expéditions punitives, empoisonnement de l’eau... Depuis le début de l’année, par deux fois,
la famille Khalaila a vu ses oliviers déracinés. Le différend
entre ces deux communautés est devant la justice
depuis 2001, mais sans issue. Impasse récurrente
 : selon le contrôleur de l’État, 75% des dossiers
ouverts contre les colons entre 1998 et 2000 ont été
clos faute de preuves.

Arrogance et brutalité

Hébron, où se trouve le caveau des Patriarches, est
un haut lieu du judaïsme. Cinq cents juifs, protégés
par l’armée, y vivent en camp retranché au milieu
de 35000 Arabes. Début janvier, une vidéo circulait
sur internet (4), montrant un jeune colon de la Vieille
Ville qui insultait une Palestinienne tandis qu’un militaire assistait à la scène sans intervenir. Le Premier ministre Ehud Olmert déclarait, scandalisé :
« J’ai vu ce film et j’ai eu honte [...] Cette
arrogance et cette brutalité ne peuvent être
tolérées. »
Cela n’a pas empêché ses services d’annoncer (
5) son intention de déplacer une nouvelle
fois le tracé de la « barrière de sécurité
 »
(ou « mur de la honte », selon le point
de vue) : cette fois, de cinq kilomètres vers
l’est pour faire passer, du côté israélien, deux
colonies, Nili et Naaleh, où vivent 1500 colons. Quelque
20000 villageois palestiniens se retrouveraient alors
coupés du reste des Territoires (6). Ce qui les fait également
douter du maintien des colonies, c’est la « bataille
démographique »
que les juifs sont en passe de perdre :
en 2005, Israël comptait 5,2 millions de juifs et 1,3 million d’Arabes. À Jérusalem-Est, entre 1967 et 2003,
la population arabe a crû de 233%, contre 135%
pour les juifs. Confrontés aux statistiques de peuplement
fin 2003, 78% des juifs israéliens se disaient
favorables à la séparation des deux peuples, souvent
qualifiés de « frères ennemis ».

En attendant, l’un construit les maisons de l’autre,
entre deux nuits passées entre tôle et vieux cartons,
à un jet de pierre des gigantesques immeubles de
Modi’in. C’est l’histoire que raconte 9 stars hotel (7),
projeté la semaine dernière dans une salle presque
comble de la Cinémathèque de Jérusalem. Générique
de fin : la bonne société israélienne applaudit. A quoi ?

Notes :

(1) En moyenne, construire en Cisjordanie coûte 1000 dollars par m2.
(2) Qui sont les colons ? C. Snegaroff et M. Blum, Flammarion, 2005.
(3) Le courant sioniste religieux, hérité de la pensée du rabbin Abraham Kook (1865-1935), voit, dans l’État d’Israël aussi bien que dans son
armée, des instruments « sacrés » de la volonté de Dieu pour la réunification du « Grand Israël ».
(4) http://www.youtube.com/watch ?v=W2AaDg7-zD0
(5) Cette décision a été rendue publique le 1er février, le jour où Ehoud
Olmert comparaissait devant la commission d’enquête sur la guerre
du Liban et à la veille de la réunion du Quartet.
(6) Le tracé de la barrière est sujet à controverse car il est censé respecter
la frontière de 1967 mais, selon ses détracteurs, il ne « colle » à la Ligne
verte que sur 11%. Selon le ministère des Affaires étrangères israélien, le
nombre d’attaques terroristes a baissé de 30% entre 2002 et 2003.
(7) 9 stars hotel



COMPÉTITION DÉMOGRAPHIQUE

Entre 1967 et 2003, la population arabe a crû de
233%, contre 135% pour la population juive.

ÉPINE DANS LE PROCESSUS DE PAIX

La Feuille de route, qui vise à
régler le conflit israélo-palestinien,
prévoit le gel de la colonisation juive
dans les Territoires occupés, où un
État palestinien est censé voir le
jour. Fin décembre 2006, alors que
son auteur, le Quartet (États-Unis,
Union européenne, Russie et Nations-
Unies), tente de relancer les négociations
de paix en panne depuis six
ans, Israël donne son feu vert à la
construction d’une nouvelle colonie
de trente maisons dans la vallée du
Jourdain pour reloger des colons
évacués de Gaza.

Le principal négociateur palestinien,
Saëb Erakat, estime que cette annonce
va « certainement gâcher l’atmosphère
créée après la rencontre entre
MM. Abbas et Olmert » trois jours
plus tôt, lors de laquelle l’État hébreu
a consenti à débloquer 100 millions
de dollars pour l’Autorité palestinienne
(sur les 600 millions qu’il lui doit).
Un mois plus tard, sous les pressions
nationale et internationale, le gouvernement
renonce au chantier. Résultat :
des mécontents chez les colons
et leurs adversaires, et une pierre de
plus dans le jardin de l’opposition.
Parallèlement, Israël continue à autoriser
la construction dans des colonies
existantes. Le 15 janvier, alors
que Condoleezza Rice était en tournée
au Proche-Orient, le ministère du
Logement publiait un appel d’offres
demandant aux entreprises de soumettre
leur devis pour construire
quarante-quatre maisons à Ma’ale
Adumim.

LE PRIX DU MUR

La construction du mur, initiée par Ariel Sharon
en 2002, vise à empêcher toute intrusion
terroriste vers Israël. Émaillée de points de passage
constitués de fils de fer barbelés, de métal
ou de béton, la clôture -déclarée illégale par la
Cour internationale de justice dès 2004- atteint
aujourd’hui presque 700 km. Pour ses détracteurs,
elle sert surtout à protéger les habitants
des implantations, quel qu’en soit le prix pour le
contribuable. Car l’occupation coûte cher : 556
millions de dollars par an, selon l’organisation
israélienne Shalom Akshav (La paix maintenant).
De quoi faire réfléchir de nombreux Israéliens.

LES CHIFFRES DE L’OCCUPATION

- En octobre dernier, Shalom Akshav
annonce que les colons auraient profité
de la guerre du Liban, à l’été
2006, pour développer trente et une
colonies sauvages (sans accord des
autorités) : déploiement d’infrastructures,
de routes, de caravanes. L’armée
ne serait pas intervenue. Un
mois plus tard, elle publie un rapport
fondé sur des données officielles et
illustré de photos aériennes aboutissant
aux conclusions suivantes :
- Près de 40% des terres sur lesquelles
les colonies ont été construites
appartiennent à des personnes
privées palestiniennes.
- Plus de 40% des terres sur lesquelles
ont été construites les colonies
situées dans les blocs de colonies
à l’ouest de la clôture en train
d’être érigée par Israël, dont 86% de
Ma’ale Adumim, 44% de Giv’at
Ze’ev, 48% de Kedumim, et 35%
d’Ariel, appartiennent à des personnes
privées palestiniennes.
- Plus de 3400 bâtiments dans les
colonies sont construits sur des
terres appartenant à des propriétaires
palestiniens.
- Les « terres à l’étude » (survey
lands) sont des zones dont la propriété
reste à déterminer et sur lesquelles
le développement est illégal.
Mais seuls 5,7% du territoire couvert
par les colonies, et 2,5% de
celui couvert par les blocs des colonies
sont des « terres à l’étude ».
- Seule une petite proportion des
terres des colonies a été achetée par
des juifs.
- Plus de 50% des terres où les
colonies ont été construites ont été
déclarées « terres d’État », souvent par
des moyens contestables et la plupart
du temps au bénéfice des colonies.
Le Conseil de Judée-Samarie, qui
représente les colons, qualifie le rapport
de « tissu de mensonges » et
s’abrite derrière « l’autorisation du
gouvernement ».

Eléonore de Narbonne - Témoignage chrétien, 49 rue du Faubourg Poissonnière, 75009 Paris - n° 3241 du 22 février 2007

Lire aussi :
- Les colons appellent les Juifs américains à acheter des maisons en Cisjordanie


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